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Climat : le Kenya parie sur la géothermie

Les négociations mondiales sur le climat s’ouvrent ce lundi à Lima au Pérou. Une réunion pour préparer la conférence de l’année prochaine à Paris, date cruciale pour parvenir à un accord pour limiter la hausse de la température du globe. Comment s'y prendre pour se développer, sans polluer ? Exemple d’une solution au Kenya, pays de l’Est africain pionnier dans la géothermie.
Article rédigé par Clara Beaudoux
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
  (La centrale géothermique d'Olkaria s'étend sur 240 km2 © Radio France / Clara Beaudoux)

La vallée du Rift s’étend à perte de vue. Surnommée "berceau de l’humanité" - car de nombreux fossiles d’hominidés y ont été retrouvés - cette gigantesque faille de plus de 7.000 km traverse le territoire kenyan. Couverte de roches volcaniques, cette vallée est aujourdhui un des atouts qui permet au Kenya de se placer parmi les leaders mondiaux de la géothermie.

La vapeur chaude issue de la Terre est une précieuse ressource naturelle, et dans cette zone le manteau terrestre est particulièrement proche du sol. "Durant la formation du rift, une fracture s’est produite, et a facilité le mouvement du magma plus haut et plus près du sol. Ainsi il chauffe les roches et l’eau alentours, ce qui facilite la formation des eaux thermales utilisées dans la géothermie pour produire de l’énergie ", explique un géologue sur le site d’Olkaria, centrale géothermique située à environ 130 km au nord-ouest de Nairobi, la capitale kenyane.

Point de vue sur la vallée du Rift © Radio France / CB

Intensification de la production à Olkaria

240 km2, huit forages en activité, 1.200 emplois : Olkaria est le joyau de la nouvelle impulsion géothermique initiée par le gouvernement kenyan. Cette année un gros coup d’accélérateur a été donné sur ce qui est devenu le plus grand site géothermique d’Afrique. Un dédale de tuyaux impressionnants emportent la vapeur chaude à travers les montagnes, croisant des troupeaux de vaches et moutons, le tout accompagné d’une odeur résurgente de souffre (ou d’œuf pourri).

Le Kenya intensifie sa production d'éléctricité par la géothermie : reportage à Olkaria, au coeur de la vallée du Rift
Il y a un mois, Olkaria IV a été inauguré, ce sera au tour d’Olkaria I en décembre. De nouvelles turbines ont été ajoutées sur ces différents site. 280MW vont pouvoir être produits en plus d’ici la fin de l’année, soit 15% de la production du pays en géothermie. Ces turbines, alimentées par la vapeur d’eau venant du sol, permettent de produire de l’électricité.

 

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"Secteur de l’énergie bouillonnant"

Depuis le début des années 2000, face au manque d’électricité dans le pays et à l’augmentation des prix, le Kenya s’est lancé dans une diversification de ses moyens de production d’électricité. Totalement dépendant de l’énergie fossile, le pays a décidé d’exploiter ses ressources en matière de géothermie.

Le gouvernement promet 5.000 MW produits grâce à la géothermie d’ici 2030. Contre près de 2.000 aujourd’hui. Un pari qui semble bien ambitieux mais qui a le mérite de montrer la motivation du gouvernement, qui tente de rattraper son retard en termes d’infrastructures. "Le secteur de l’énergie est bouillonnant actuellement au Kenya ", explique Arthur Honoré, chargé de mission Energie à l’agence de l’Agence française de développement (AFD) à Nairobi.

Manque d'eau : chute de l'hydroélectricité

Il faut dire que depuis quelques années, le cœur historique de la production kenyane, l’hydraulique (environ 50% des installations actuellement), a connu une baisse spectaculaire. Notamment à cause du réchauffement climatique, et de sécheresses de plus en plus fréquentes.

"Le Kenya souffre de variations annuelles des pluies, qui ont donc un impact sur la production électrique. Des sécheresses dans les années 2000 ont entraîné des coupures d’électricité. Elles ont eu également comme conséquence de devoir utiliser des unités d’urgence de production électrique, à base de thermique (diesel ou fuel lourd), ce qui a fortement augmenté les prix ", ajoute Arthur Honoré, de l’AFD.

  (Sources : Kenya National Bureau of Statistics / The Economist © Radio France / Stéphanie Berlu-Vigné)

Seuls 30% des Kenyans raccordés à l’électricité

Le Kenya fait donc le pari de la géothermie, qui dépasse depuis cette année la production hydraulique. Si cette manière de produire est propre pour l’environnement, car sobre en émission de carbone, l’objectif premier du gouvernement reste celui de répondre aux besoins, criants, des Kenyans.

Seuls un peu plus de 30% d’entre eux sont raccordés au réseau électrique, le gouvernement voudrait atteindre 70% en 2020. "Le sujet climatique est renforcé par le sujet économique ", explique Yves Boudot, directeur de l'AFD au Kenya. "Investir dans la géothermie c'était assurer l'indépendance nationale et faire baisser les prix ", ajoute-t-il. "Pour les dirigeants, le climat c'est essentiel, pas pour le peuple, pour lui ce sont les prix ".

Test du puits 804 à Olkaria : un ancien puits, les plus récents ne peuvent pas s'ouvrir ainsi © Radio France / CB

Impossible sans bailleurs de fonds étrangers

Mais ce développement coûte très cher. Un milliard de dollars (800 millions d’euros) ont été nécessaires pour développer les améliorations récentes de la centrale d’Olkaria. Le gouvernement kenyan a été aidé par de nombreux bailleurs de fonds internationaux, notamment l’AFD pour la France qui a prêté 150 millions d’euros, et invite des journalistes découvrir les projets sur place.

Ce lourd investissement nécessaire peut en rebuter certains, notamment quand les questions politiques s’invitent dans le débat : un mandat électoral sera toujours plus court que la mise en place d’un projet d’une telle ampleur… Alors qu’une centrale à charbon satisferait bien plus vite les électeurs.

"La géothermie nécessite un fort capital de départ ", indique Goeffrey Muchemi, directeur pour KenGen (EDF local) du site d’Olkaria. "Il faut mettre beaucoup d’argent au début, puis dans la vie du projet, vous mettez beaucoup moins d’argent. Mais c’est pour cela qu’on a besoin de partenaires au début, à la construction. Puis à terme, le coût de production est moins cher, aujourd’hui nous produisons de l’électricité moins chère et les prix baissent ", assure-t-il.

  (Goeffrey Muchemi, directeur KenGen d'Olkaria, et Arthur Honoré de l’AFD © Radio France / CB)

Une facture d’électricité en baisse

Vérification à une trentaine de kilomètres de là, dans la ville de Naivasha. Jane, qui ne veut pas donner son âge mais est née ici, est employée dans un magasin de pesticides dans une des rues principales. Elle a vu la différence le mois dernier, avec sa facture l’électricité en baisse, explique-t-elle.

Et puis elle assure qu’avant, "l’électricité était coupée le soir, ils rationalisaient, ils coupaient à 18h, jusqu’au lendemain matin, mais maintenant quand ils coupent c’est seulement le vendredi, quelques heures et ça revient ", se félicite-t-elle. "Ça aide beaucoup, car dans certaines zones ils disent qu’ils n’ont pas d’électricité pendant des jours ", ajoute-t-elle. Le Nord-Est du pays est par exemple très peu raccordé au réseau.

Des animaux contraints de déplacer leur habitat

Plus d’électricité, moins cher, et produite proprement… Le tableau semble idéal. Les quelques Maasaï présents sur le site ont été relogés par KenGen et bénéficient d’un accès au site pour vendre leur artisanat. Bémol du côté du parc naturel, situé juste à côté de la centrale géothermique et baptisé "Hell’s Gate Park" (le parc des Portes de l’enfer), notamment à cause de l’activité volcanique qui ne devait pas rassurer les ancêtres.

Millicient Atieno, directrice adjointe du Hell’s Gate Parc, décrit un impact sur les zèbres, antilopes, girafes, et autres phacochères qui peuplent la vallée. Certains animaux ont d’abord été obligés de déplacer leur habitat. Et puis la masse des employés se rendant sur le site à un impact sur le comportement des animaux : "ceux qui cherchaient de la nourriture la journée, le font maintenant la nuit quand il y a moins de passage . Elle décrit aussi des espèces de plantes invasives introduites sur le site, ou encore des décès inexpliqués d’animaux.

Zèbres du Hell's Gate park près de la centrale géothermique d'Olkaria © Radio France / CB Ce parc naturel touche quatre millions de schillings kenyans par an (35.000 euros), de la part de la centrale géothermique, de quoi accepter les désagréments ? "On a besoin d’énergie mais on a aussi besoin de la vie sauvage ", dit la responsable. Sachant que le tourisme des safaris dans les grands parcs est un des revenus majeurs du Kenya, avec un million et de demi de visiteurs par an. Et puis, la géothermie elle-même ramène des touristes puisque des bains thermaux ont été aménagés aux abords du site. "Nous devons trouver une balance, on doit co-exister, donc minimiser les impacts de la géothermie mais en même temps produire de l’électricité ", conclut-elle.

Sur l’ensemble du territoire kenyan, le potentiel de production par géothermie est estimé à 7.000 MW. Alors avec le développement d’Olkaria, plus grand site géothermique d’Afrique, quel poids le Kenya peut-t-il peser dans les discussions internationales sur le climat qui s’ouvrent à Lima lundi et se poursuivront à Paris l’année prochaine ? Comme l’indique le chercheur volcanologue Jacques Varet, le berceau de l’humanité peut-il devenir celui de son développement durable ? 

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