"C’est toujours le même scénario" : la lassitude, un problème central pour les habitants de Fessenheim
Alors que l'avenir de la centrale nucléaire reste en sursis avec une possible fermeture prévue au plus tôt à l'horizon 2019, les habitants de cette petite ville alsacienne sont désabusés face aux nombreux rebondissements dans cette affaire. Franceinfo est allé à leur rencontre.
"Voilà que c’est reparti", lance un quinquagénaire, une bière à la main. A la télévision de ce bar situé sur la plus grande artère de Fessenheim, la nouvelle vient de tomber, jeudi 6 avril : la doyenne des centrales nucléaires françaises, située dans cette ville du Haut-Rhin, reste en sursis. Le conseil d'administration d'EDF a repoussé la fermeture du site, promise par François Hollande en 2012. Elle pourrait désormais coïncider avec la mise en service de l'EPR de Flamanville, prévue à l'horizon 2019. Les habitants attendaient cette décision, entre angoisse et lassitude. Il faut dire qu'ils vivent presque tous grâce à l’usine EDF, qui fournit un emploi, direct ou indirect, à plus de 1 900 personnes.
"Nous sommes soulagés de voir que la centrale ne fermera pas tout de suite, lance Karen, qui tient fermement la main de sa fille. Mais en même temps, tout le monde s’y attendait." La veille de cette annonce, Jean-Luc Cardoso, salarié et syndicaliste, l’avait prédit : "Fessenheim ne fermera pas avant la fin du quinquennat d’Hollande."
Une usine menacée depuis 2011
Si les habitants de cette ville frontalière avec l'Allemagne, aux villas colorées, affichent une forme de lassitude, c'est par la force de l'habitude. "Ça fait depuis 2011 que les annonces sur la fermeture de Fessenheim se multiplient", souffle Jean-Luc Cardoso.
On me pose tous les jours la même question, en boucle : ça en est où ? Au travail, je rase les murs, en dehors aussi. Sinon, je n'y échappe pas.
Jean-Luc Cardoso, salarié et syndicaliste à l'usine de Fessenheimà franceinfo
"On me pose tous les jours la même question, en boucle : ça en est où ? Au travail, je rase les murs, en dehors aussi. Sinon, je n'y échappe pas." Et l’annonce d’EDF, jeudi, a été accueillie avec une certaine distance. "Tout ce que je vois pour l’instant, c’est que la fermeture définitive est encore repoussée", explique Maxime. Le jeune homme est prestataire pour la centrale. Si l’usine ferme, il ne bénéficiera pas d’une proposition de reclassement, au contraire des salariés embauchés directement par EDF. "C’est toujours le même scénario qui se joue, s'agace-t-il. On nous fait miroiter la fin de la centrale et puis on finit toujours par la laisser ouverte."
Une instabilité qui a fini par user. Elodie rince des verres en écoutant ses clients bavarder. La jolie rousse est serveuse dans le restaurant de sa sœur, situé tout près de la centrale. "Bien sûr que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, confie-t-elle. J’irai chercher du travail ailleurs." Elle jette un sourire attendri aux trois hommes accoudés sur le comptoir. "Mais je ne partirai pas de gaieté de cœur. On s’habitue trop aux gens ici." Dans la moyenne surface installée en retrait de la ville, Olivier Porcu, le directeur du magasin, est catégorique : "Tant qu’on ne sait pas si l’usine va rester de manière pérenne, les embauches sont difficiles." Son chiffre d’affaires est directement lié à la centrale. "Des couples n’osent pas s’installer dans la commune ou acheter une maison car ils ne savent pas s’ils devront partir dans quelques mois", s'agace-t-il.
"Ici, c’est ça ou le chômage, alors pourvu que ça dure"
"Il faudra bien que l’usine ferme un jour", lâche Eliane Schwein, restauratrice, avant de glisser "mais dans dix ou quinze ans, pas maintenant". La plupart des habitants sont résignés, mais pas fatalistes. "Le problème aujourd’hui, c’est que rien n’a été mis en place pour compenser la fermeture : aucune alternative n'est prévue pour remplacer les emplois perdus", conclut-elle. Un plan d’aide à la conversion a bien été promis par le gouvernement et l'implantation d'une usine de fabrication de voitures électriques Tesla a été envisagée, un peu vite, par Ségolène Royal, mais, pour l’instant, les habitants n’ont rien vu de concret.
"Mon rêve, c'était pas d'être intérimaire dans une centrale nucléaire", grince Max*. A 30 ans, il s’occupe de la manutention de l’usine et rêve de mieux. "Mais ici, c’est ça ou le chômage, alors pourvu que ça dure...", souffle-t-il. Deux rues plus loin, André acquiesce. "EDF fait bosser les jeunes du coin. Si on enlève ça, où vont-ils aller pour trouver un emploi ?" D’un air triste, il parle de ses deux enfants. Son fils est parti travailler en Allemagne, sa fille en Suisse. "Quel gâchis."
Dans la commune, personne ne regrette la création de la centrale nucléaire, sauf peut-être le buraliste. "Si cette centrale n’avait jamais existé, on nous aurait foutu la paix", maugrée-t-il. A 60 ans passés, il se souvient avec émotion de l’époque où il a acheté son commerce : Fessenheim n’était qu’un petit bourg, pas encore entré dans l’histoire. "J’ai tout perdu", soupire-t-il. Pour pouvoir couler des vieux jours au soleil, il a mis l’établissement en vente. "Cela fait plus d’un an et aucun acquéreur ne s’est manifesté." La mairie estime que, sans la centrale, le chiffre d’affaires des commerçants risque de chuter d'au moins 30%. De quoi refroidir les éventuels investisseurs.
Des élus brocardés
L’hôtel-restaurant géré par Eliane Schwein, Au bon frère, a prospéré grâce à l’usine EDF. "Les travailleurs de la centrale, c’est plus de 70% de nos recettes. Sans eux, on ferme", assure-t-elle. Elle montre la large salle à manger de son restaurant, à la décoration légèrement dépassée. "Ce sont les parents de mon mari qui l’ont fait construire. Sans Fessenheim, je n'ai plus qu'à la condamner, jamais nous ne ferons assez de couverts", déplore-t-elle. Les deux hôtels du village pratiquent la demi-pension, source de revenus supplémentaires.
Le village tient à la centrale et l'énorme bannière qui surplombe la route principale est là pour le rappeler. "Ensemble, préservons la centrale nucléaire", peut-on lire. C’est le maire qui l'a fait installer avec une association. "Environ 80% des recettes de notre budget proviennent de ce que nous verse EDF", explique Claude Brender, l’édile de la ville. La centrale rapporte 3 millions d'euros nets, sur un budget de 4,9 millions d'euros. Une somme bien plus conséquente que dans les villages environnants. Rues fleuries, grand musée à un million d'euros, parking flambant neuf ou activités périscolaires à coût réduit : les habitants louent leur qualité de vie. "Il fait bon vivre à Fessenheim", approuve le maire UDI.
Pour lui, tout peut changer lors de l'élection présidentielle. "J’ai apporté mon soutien à François Fillon, car lui croit au nucléaire", assène-t-il. Dans les cafés, tous les élus sont brocardés. "Moi, j’en ai marre qu’ils décident tout dans leurs petits salons, sans mettre le nez ici." D'ailleurs, pas une des personnes rencontrées ne se souvient avoir croisé un responsable politique. "C’est de leur faute si on en est là, fustige une commerçante. Ils prennent des décisions, comme de fermer la centrale par électoralisme, sans nous consulter." La politique, les habitants de Fessenheim ne veulent plus en entendre parler.
C'est tous les mêmes, ils brassent le vide avec leurs promesses.
un habitant de Fessenheimà franceinfo
A trois semaines des élections, la plupart ont décidé d'arrêter de voter. "Que ce soit à droite ou à gauche, c'est pareil", fustige un retraité de l'usine. "Moi, je vais voter du côté bleu marine, bien foncé, ironise un homme accoudé au bar. Faut tous qu'ils dégagent." Lors des dernières élections départementales, il y a deux ans, le FN avait obtenu 42% des voix. Un score qui pourrait bien grimper cette année.
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