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#AlertePollution : la crise du coronavirus signe-t-elle le retour du plastique ?

Article rédigé par Brice Le Borgne, Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Avec la crise du coronavirus, de nouveaux déchets, comme les masques en plastique, sont apparus dans les rues de nos villes. (JOHANNES EISELE / AFP)

Masques, vitres en Plexiglas, suremballages... Avec la crise du Covid-19, de nouveaux usages nécessitant du plastique, un matériau sur lequel le virus se maintient pourtant pendant de longues heures, sont apparus. Un retour en force qui inquiète les associations environnementales.

#AlertePollution

Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?

Le message date du 10 mai, veille du déconfinement. Via notre opération collaborative #AlertePollution, un habitant de Meyzieu (Rhône) nous écrit pour regretter l'abandon de masques chirurgicaux sur la voie publique alors que les Français sont encore confinés chez eux. Comme lui, de nombreuses personnes se sont émues ces dernières semaines de cette nouvelle source de pollution. "J'ai été écœurée de voir ces masques ou gants potentiellement contaminés jetés au bord des routes et des champs (...) à la fois pour l'aspect de risque sanitaire (...) et pour l'environnement", témoigne Valérie Masson-Delmotte, climatologue et ramasseuse de déchets dans sa commune de l'Essonne. 

La suite est connue. S'ils ne sont pas ramassés et traités dans une filière dédiée, ces masques en plastique finiront probablement dans un cours d'eau puis dans l'océan, où ils mettront des centaines d'années à se décomposer. Certains ont déjà été retrouvés sur les plages des îles Soko, au large de Hong Kong, le 28 février, par Oceans Asia. Cette ONG se rend régulièrement sur ces îles inhabitées pour ramasser des déchets aussi variés que des bouteilles en plastique ou des frigos. "Rien ne nous surprend plus vraiment", raconte Gary Stokes, directeur des opérations de l'ONG, qui n'en est pas pour autant moins inquiet "de voir soudainement de si nombreux masques dans un endroit isolé et inhabité". "Cela souligne le fait qu'il faut seulement six à huit semaines pour qu'un nouvel objet, introduit en masse dans notre société, se retrouve dans l'environnement", regrette-t-il.

"J'ai vraiment l'impression que nous allons connaître un grand bond en arrière", déplore Gary Stokes. Ces images ne sont d'ailleurs qu'une des nombreuses illustrations de l'essor de certains usages du plastique, dans le sillage de la crise du Covid-19. Dans plusieurs secteurs, le plastique a la cote, notamment quand il est à usage unique. 

Un succès... limité

Dès le début du confinement, les usines d'emballage plastique ont augmenté leurs cadences. Une hausse d'activité de 30%, selon Emmanuel Guichard, délégué général d'Elipso, regroupement des producteurs d'emballages. "La première chose sur laquelle on a eu des tensions a été les flacons pour les gels hydroalcooliques avec un doublement de la production. Avec le confinement, des millions de Français ne mangeaient plus à l'extérieur mais chez eux. Il y a donc eu un report énorme, des produits emballés en grande quantité pour la restauration, vers plus de petits produits acheminés en supermarchés. Pour la même quantité d'aliments, il y a eu plus d'emballages", explique-t-il à franceinfo. L'industriel indique également que le recours aux services "drive" des supermarchés ou au e-commerce implique davantage d'emballages, plastiques ou non.

En plus de cette évolution logistique, de nouveaux usages sont apparus. Outre les visières de protection, les gants et les masques, des plaques de Plexiglas sont installées dans bon nombre de commerces, et notamment aux caisses de supermarché pour protéger les employés, ou dans des projets d'aménagement de plages en Italie. La dimension protectrice prêtée au plastique a aussi fait apparaître plusieurs cas de suremballages dans les rayons. Comme à Prissé (Saône-et-Loire), où un supermarché a décidé d'emballer de plastique la quasi-totalité de ses fruits et légumes "pour la sécurité de tous".

Une explosion encore difficile à quantifier, mais qui ne fait pas de doute pour Eric Quenet, directeur général de Plastics Europe. "Sur le Plexiglas, les producteurs tournent à fond, les unités sont saturées. L'enjeu actuellement c'est d'augmenter les capacités", estime-t-il. Malgré tout, les chiffres de production ne témoignent pas d'un "retour" du plastique. Avec l'arrêt d'une large partie de l'industrie, la reprise dans le secteur reste difficile et les volumes globaux restent encore à un bas niveau. Pour Eric Quenet, les besoins supplémentaires ne vont pas compenser la baisse dans les autres secteurs et 2020 ne sera pas une meilleure année pour l'industrie plastique. "Globalement, la demande en France sera inférieure à l'an dernier", estime-t-il.

Une explosion des déchets hospitaliers infectieux

Le vrai boom est à chercher dans les poubelles des hôpitaux, encombrées de masques, gants ou surblouses. Dans les services Covid, ces objets usagés, bien souvent faits de plastique, partent systématiquement dans la poubelle sensible des "déchets d'activités de soins à risques infectieux" (Dasri). Dans le Var, en Lorraine ou ailleurs en France, les volumes des poubelles Dasri ont explosé, allant jusqu'à doubler. Une tendance confirmée par Veolia, qui gère celles de 5 000 hôpitaux, cliniques et Ehpad en France, et qui constate une augmentation globale de 50% des volumes et tonnages. L'entreprise indique à franceinfo avoir doublé ses cadences pour acheminer ces déchets sensibles jusqu'à l'incinération. Plus généralement, les acteurs du secteur estiment qu'il est encore trop tôt pour connaître l'évolution chiffrée des déchets plastiques.

Leurs dangers pour la santé et pour l'environnement sont en revanche bien documentés. Le PVC par exemple, très utilisé à l'hôpital, est déconseillé par l'OMS, son incinération – méthode classique d'élimination des déchets – émettant des dioxines et des particules toxiques. "La pollution plastique est particulièrement dangereuse pour la santé des minorités ethniques défavorisées qui vivent près des usines pétrochimiques, des incinérateurs et des sites d'enfouissements, celles-là mêmes qui sont frappées le plus durement par le Covid-19", observe Perry Wheeler, porte-parole de l'antenne américaine de Greenpeace.

En bout de chaîne, le recyclage, fortement secoué par la crise et la chute du pétrole, reste une goutte d'eau. Le Plexiglas installé aux caisses ? On ne sait pas le recycler entièrement et il contient des produits nocifs pour l'environnement. En 2018, on estime que seul 9% du plastique jamais produit par les activités humaines avait été recyclé. Le reste finit en majorité enfoui dans des décharges ou rejeté dans le milieu naturel. Enfin, comme produit dérivé du pétrole, le plastique contribue au réchauffement climatique.

Cela provoque des maladies chez les animaux, des modifications des milieux naturels et cela nous revient. Lorsqu'on mange des fruits de mer, on ingère des microplastiques.

Laura Châtel, Zero Waste France

Cela n'empêche pas certaines entreprises et lobbys de profiter de la brèche pour tenter de redorer l'image du plastique. Dans un courrier adressé à la Commission européenne, l'association des transformateurs de plastiques EuPC a demandé un report de la mise en place de la directive sur les plastiques à usage unique. "Nous voudrions attirer votre attention sur les bénéfices des produits en plastique, et particulièrement sur ceux à usage unique, en cette période difficile", plaident-ils. Une requête néanmoins écartée par la Commission. Aux Etats-Unis, l'industrie du plastique a été beaucoup plus virulente, espérant profiter de la crise pour juguler l'interdiction des sacs plastique à usage unique, invoquant un "risque de santé publique". Et de comparer les sacs réutilisables à "des transporteurs d'agents pathogènes dangereux". Résultat, plusieurs Etats américains ont suspendu l'interdiction des sacs jetables.

>> Derrière les discours écolos, comment les lobbys tirent profit de l'épidémie de Covid-19 pour relancer leur industrie

En France, le discours est moins provocateur, même si le Medef a demandé un moratoire sur certaines dispositions de la loi économie circulaire, qui traite des déchets plastiques. Pour Emmanuel Guichard, d'Elipso, si "le plastique ne nous dispense pas d'avoir recours aux gestes barrières", il estime que "les vertus de l'emballage redeviennent visibles. Une partie des inquiétudes légitimes que les consommateurs avaient se voient relativisées par la crise"

"On pouvait faire autrement"

Ces manœuvres et ces usages de plastique jetable inquiètent les associations environnementales. "Je pense qu'on pouvait faire autrement, même s'il ne s'agit pas de dire de façon dogmatique qu'il faut éviter le jetable partout. Il n'y a pas d'usage raisonnable du jetable. C'est vraiment par réflexe, par automatisme", analyse Laura Châtel, responsable du plaidoyer à Zero Waste France. Le recours au produit jetable en plastique par les entreprises ou les commerçants est, poursuit-elle, "une mesure visible, ce qui explique en partie pourquoi elle est rassurante". Délégué général du réseau Amorce, l'association des collectivités locales pour la gestion des déchets, Nicolas Garnier regrette lui aussi le "réflexe un peu pavlovien" du retour à l'usage unique. 

Avant de rebasculer dans le Moyen-Age du tout plastique, du tout jetable, il y a quand même une réflexion à avoir sur d'autres solutions, notamment par le lavage.

Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce

à franceinfo

Ce recours au plastique jetable est d'autant plus difficile à comprendre pour ses détracteurs que rien ne prouve son efficacité contre le virus par rapport à d'autres matériaux. Selon deux études récentes (disponibles ici et ), le plastique fait partie, avec l'acier, des surfaces sur lesquelles le Covid-19 reste stable le plus longtemps, jusqu'à sept jours.

Ce qui ne veut pas dire qu'il est automatiquement risqué de manipuler du plastique – la possibilité d'être infecté en touchant ce matériau n'a pas été évaluée par ces deux recherches – mais signifie, à tout le moins, que ce dernier n'offre pas plus de garantie que d'autres matériaux. "Quand vous touchez un emballage, vous ne pouvez pas avoir la garantie que personne ne l'a touché avant vous, dans le supermarché, tout le long de la chaîne logistique", pointe Laura Châtel, en rappelant que l'Anses recommande de jeter ses emballages et de se laver les mains ensuite.

Pour ces militants, la crise sanitaire ne doit pas faire oublier les risques liés au plastique ; ils appellent à utiliser un maximum de produits réutilisables, notamment pour les masques. "Je pense que la plupart des gens utilisent des objets jetables parce qu'ils n'ont pas accès à des alternatives réutilisables sûres. Nous devons les développer, en même temps que des infrastructures pour les décontaminer tout en maintenant leur propriété barrière", estime Chantelle Rizan, une chirurgienne britannique engagée pour la réduction du plastique à l'hôpital. "Même si la peur s'est emparée de nous et certaines décisions imposent l'utilisation de plastique jetable pour notre sécurité, nous devons être attentifs aux crises qui se poursuivent en même temps que la pandémie, estime Perry Wheeler, de Greenpeace.

La crise climatique n'a pas disparu, la crise de la pollution plastique n'a pas disparu.

Perry Wheeler, Greenpeace

Pour le moment, en Europe et en France, les autorités assurent vouloir garder le cap vers un moindre recours au plastique. Sur Twitter, la secrétaire d'Etat Brune Poirson a mis en garde contre la "tentation d'utiliser toujours plus de plastique". "Nous restons confiants sur les règles déjà votées, assure Laura Châtel, de Zero Waste France. Après, tout va dépendre de la réaction collective. S'il y a un rejet dans la population de tous ces produits qui s'accumulent, nous aurons de plus en plus de réglementation contraignante. Si nous basculons sur un mode où le tout-jetable devient la nouvelle norme, nous prendrons du retard."

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