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Des milliers de personnes sont revenues sur la place Tahrir dimanche où l'armée tente de disperser les manifestants

Le trafic a repris sur cette place, centre du mouvement populaire qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir. Des bousculades ont opposé certains manifestants aux soldats qui tentent de dégager la place.La police militaire encercle les manifestants dans le centre du rond-point.
Article rédigé par France2.fr avec agences
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Un militaire et un civil en train de démonter une tente place Tahrir au Caire le 13 février 2010 (AFP - PEDRO UGARTE)

Le trafic a repris sur cette place, centre du mouvement populaire qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir. Des bousculades ont opposé certains manifestants aux soldats qui tentent de dégager la place.

La police militaire encercle les manifestants dans le centre du rond-point.

Ces derniers entendent rester sur place jusqu'à ce que l'armée tienne ses promesses. "L'armée et le peuple sont unis", "Révolution, révolution jusqu'à la victoire", ont-ils scandé.

L'armée, qui assure respecter les demandes des manifestants, a appelé les occupants de la place à rentrer chez eux pour permettre à la vie de reprendre son cours. Les magasins devraient rouvrir dans la matinée.

La sécurité est la première priorité du gouvernement égyptien, a déclaré dimanche le Premier ministre, Ahmad Chafic. "Le gouvernement restera en place pendant plusieurs mois, jusqu'à la fin du processus de transition", a indiqué son porte-parole. "Un nouveau gouvernement sera alors nommé sur la base de principes démocratiques", a poursuivi ce porte-parole. Des portefeuilles ministériels pourraient néanmoins changer de mains dans les prochains mois, a-t-il ajouté.

Les opérations de nettoyage de la place Tahrir, entamées samedi, se poursuivaient dimanche matin. Des soldats démontaient des tentes, jetaient les bâches en plastique et autres matériaux dans une benne, aidés par des civils qui empilaient les couvertures et balayaient le sol.

Par ailleurs, huit pièces inestimables, dont une statue de Toutankhamon, ont été volées au Musée des antiquités du Caire, a annoncé dimanche le patron des antiquités égyptiennes, Zahi Hawass.

Manifestation de policiers au Caire, incidents avec l'armée
Plusieurs centaines de policiers, dont l'attitude vis-à-vis des manifestations anti-Moubarak a été très critiquée, ont défilé dimanche dans la capitale, notamment pour réclamer des hausses de salaires. Ils demandaient aussi l'exécution de leur ancien ministre, Habib El Adli, révoqué fin janvier sous la pression de la rue.

Des incidents ont eu lieu avec les soldats présents, qui ont tiré des coups de semonce en l'air.

Les policiers qui manifestaient dimanche insistaient sur le fait qu'ils avaient reçu des ordres des services de sécurité pour réprimer avec brutalité les manifestations. Ils ont aussi souligné qu'ils étaient mal payés par un gouvernement corrompu. La police égyptienne, accusée de brutalité et de corruption, est méprisée par une grande partie de la population, à l'inverse de l'armée, dont les manifestants ont apprécié la retenue.

L'Egypte respectera ses traités internationaux
Le Conseil suprême des forces armées
, instance de dirigeants militaires chargée de la gestion du pays depuis la démission vendredi du président Moubarak, a assuré que son objectif est d'assurer une "transition pacifique" et de restituer le pouvoir à un "pouvoir civil élu".

Dans le même temps, l'armée a promis que l'Egypte "restera engagée envers tous ses traités régionaux et internationaux", de respecter les traités régionaux et internationaux et a demandé au gouvernement de gérer les affaires courantes. L'Egypte est, avec la Jordanie, le seul pays arabe à avoir signé un traité de paix avec Israël.

L 'Etat hébreu, qui n'a pas caché ces derniers jours ses craintes de voir émerger au Caire un nouveau pouvoir hostile à cet accord, s'est félicité de ces "assurances". Pour le gouvernement israélien, ce traité est "une pierre angulaire pour la paix et la stabilité dans tout le Moyen-Orient".

Le président américain, Barack Obama, a salué cette promesse du retour à un pouvoir civil et du respect des obligations internationales de l'Egypte.

Quelle place pour les religieux ?
Dans un communiqué publié samedi, la confrérie islamiste des Frères musulmans déclare : "les Frères musulmans ne recherchent pas de profits personnels, par conséquent, ils annoncent qu'ils ne seront pas candidats à la présidence, qu'ils ne chercheront pas à obtenir une majorité au Parlement et qu'ils se considèrent comme les serviteurs de ce peuple raisonnable".

"Nous soutenons et apprécions la saine direction que le conseil suprême des forces armées a prise sur la voie d'un transfert pacifique du pouvoir pour aboutir à un gouvernement civil conformé à la volonté du peuple", poursuit le mouvement.

Dans une tribune du monde.fr, Olivier Roy, professeur et directeur du programme méditerranéen de l'Institut universitaire européen de Florence (Italie), spécialiste de l'islam, estime que "la révolution égyptienne est post-islamiste". A ses yeux, "l'opinion européenne interprète les soulèvements populaires en Afrique du Nord et en Egypte à travers une grille vieille de plus de trente ans: la révolution islamique d'Iran. Pour la "nouvelle génération", "c'est de l'histoire ancienne", pense ce chercheur. Elle "ne s'intéresse pas à l'idéologie: les slogans sont tous pragmatiques et concrets ("dégage", "erhal"); ils ne font pas appel à l'islam comme leurs prédécesseurs à la fin des années 1980. Ils expriment avant tout un rejet des dictatures corrompues et une demande de démocratie. Cela ne veut évidemment pas dire que les manifestants sont laïcs, mais simplement qu'ils ne voient pas dans l'islam une idéologie politique à même de créer un ordre meilleur: ils sont bien dans un espace politique séculier".

Après l'euphorie, l'incertitude
Les Egyptiens ont continué à fêter samedi la démission d'Hosni Moubarak mais les incertitudes se sont fait jour quant au futur et au rôle de l'armée.

Nombreux étaient ceux qui comme Mohamed Rida, un manifestant de 26 ans, espérait la formation rapide d'un "gouvernement civil". "Nous ne voulons pas être gouvernés par des militaires. Nous aspirons à un gouvernement de coalition avec des gens expérimentés", expliquait-il.

Le journal gouvernemental Al-Goumhouriya demandait de son côté que "le futur président (soit) transparent". "Il est de notre droit de connaître sa fortune avant et après sa prise de fonctions".

L'annonce de la démission de M. Moubarak est intervenue au 18e jour de révolte populaire, alors que plus d'un million de personnes manifestaient contre le raïs à travers l'Egypte.

L'armée est désormais maître du jeu
Le nouvel homme fort du pays est désormais le ministre de la Défense Mohamed Hussein Tantaoui. Agé de 75 ans, il est à la tête du Conseil suprême des forces armées, une commission de dirigeants militaires qui a pris la direction de l'Egypte. Les spécialistes américains de l'armée égyptienne jugent réticent au changement ce fidèle d'Hosni Moubarak.

Autre nom qui revient fréquemment: celui d'Omar Souleimane, 74 ans, nommé vice-président durant la crise, lui aussi issu des rangs de l'armée. Il s'est interrogé cette semaine sur la capacité des Egyptiens à vivre en démocratie.

La puissante armée égyptienne, aux commandes du pays le plus peuplé du monde arabe avec plus de 80 millions d'habitants, a assuré qu'elle ne souhaitait pas se substituer à "la légitimité voulue par le peuple". Mais elle n'a guère donné de détails sur la "phase de transition" qui vient de s'ouvrir, ni sur le calendrier électoral.

"Tenant compte des revendications de notre grand peuple qui souhaite des changements radicaux, le conseil suprême des forces armées étudie (ces revendications) et publiera des communiqués qui préciseront les mesures qui vont être prises", a-t-elle indiqué vendredi soir.

Vendredi matin, alors que M. Moubarak était encore président, mais qu'il avait délégué ses prérogatives à son vice-président Omar Souleimane, ce conseil avait assuré qu'il garantirait "une élection présidentielle libre et transparente". Il avait aussi promis de mettre fin à l'état d'urgence, en vigueur depuis 1981, "dès la fin des conditions actuelles".

Liberté entravée pour plusieurs ex-responsables égyptiens
Le ministre égyptien de l'Information, Anas el Fekky, a été assigné à résidence, a-t-on appris de source militaire tandis que l'ex-Premier ministre égyptien, Ahmad Nazif, s'est vu interdire de quitter le pays.

"Le procureur général Abdel Maguid Mahmoud a décidé d'interdire à l'ancien Premier ministre Ahmad Nazif et au ministre de l'Information Anas el-Fekki (...) de quitter le pays au vu des plaintes déposées contre eux", a rapporté l'agence de presse officielle Mena, sans plus de précision sur ce qui leur est reproché.

Des instructions ont été données pour empêcher la fuite du pays de plusieurs anciens hauts responsables égyptiens, ont indiqué samedi des sources proches de la sécurité. Sont concernés: "d'ex-ministres, de hauts responsables et des dirigeants de sociétés".

Pour sortir du pays, il leur faudra obtenir une autorisation du procureur de l'Etat ou des forces armées. L'objectif est qu'ils ne puissent échapper à d'éventuels interrogatoires.

Le comportement de responsables de l'ancien régime accusés de corruption et de détournements de fonds est dans le viseur de l'opinion égyptienne depuis le soulèvement du 25 janvier.

L'ouverture d'enquêtes en corruption contre de hauts fonctionnaires du régime, des caciques du Parti national démocrate (PND, la formation de Hosni Moubarak) et des hommes d'affaires liés à l'ancien pouvoir fait partie des revendications exprimées par les manifestants.

La semaine dernière, la justice égyptienne a interdit de sortie du territoire et gelé les avoirs financiers de trois anciens ministres et un ancien cadre du PND, accusés d'avoir dilapidé l'argent public et de s'être illicitement enrichis.

La réaction de l'Iran
"Le 11 février, nous avons assisté à un grand évènement dans la région avec le départ du dictateur égyptien, qui représente le début du printemps égyptien", a commenté dimanche le président du Parlement iranien, Ali Larijani. "Mais avant et après cet événement, les Etats-Unis ont comploté pour confisquer la révolution égyptienne", a dit M. Larijani. "Sur ordre des Etats-Unis, certains pays de la région qui soutenaient Hosni Moubarak ont apporté leur soutien au processus actuel" de transition, a-t-il ajouté, faisant référence en particulier à l'Arabie Saoudite.

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