"Badge sacré" et pistes de ski désertes : cinq anecdotes sur la vie en Corée du Nord
Deux journalistes français ont pu tourner un documentaire dans ce pays totalitaire, l'un des plus fermés du monde. Le réalisateur Michaël Sztanke revient sur les conditions du tournage.
Une nation entière conditionnée pour célébrer du matin au soir son dirigeant suprême, alors que l'économie nationale est exsangue. C'est le portrait que brosse le documentaire Corée du Nord, la grande illusion, réalisé par les journalistes français Michaël Sztanke et Julien Alric. Leur documentaire sera diffusé en avant-première samedi 16 et dimanche 17 mai, sur francetv info, puis mardi 19 mai, à 21h45, dans le "Monde en face", sur France 5.
Les images, très contrôlées, filmées sous le contrôle attentif des guides, rendent compte d'un pays où la propagande, l'illusion et la surveillance sont omniprésentes. Le réalisateur Michael Sztanke, qui s'est rendu dans le pays à trois reprises, entre 2008 et 2014, afin de préparer ce documentaire, revient pour francetv info sur quelques anecdotes et sur les conditions de tournage dans l'un des pays les plus fermés de la planète.
Une policière pour réguler un trafic inexistant
"La première fois que je suis arrivé à Pyongyang, en octobre 2008, ce qui m'a surpris, c'est l'absence totale de circulation et de vie dans les rues." Le réalisateur raconte sa première visite dans la capitale, une visite chaperonnée en permanence par un guide, surveillant les moindres gestes du journaliste, comme cela sera la règle à chacun de ses voyages. "A un moment, mon guide et moi sommes arrivés à un carrefour désert, il n'y avait personne à part une jeune policière qui jouait le chef d'orchestre d'une circulation inexistante. Surréaliste."
Mais pas de quoi ébranler son guide, à qui il fait remarquer l'absurdité de la scène. Alors qu'un bus arrive au loin et avec la mauvaise foi la plus totale, ce dernier lui rétorque : "Vous voyez bien qu'il y a de la circulation, puisqu'il y a un bus".
Interdiction d'aller aux toilettes lors d'un festival du film
En septembre 2012, Michaël Sztanke assiste à la cérémonie d'ouverture du Festival international du film de Pyongyang (FIFP). "Deux heures et demie de cérémonie officielle, avec des discours de ministres et de hauts responsables, suivies de la projection d'un film chinois sans sous-titres." Toujours sous bonne escorte, le réalisateur demande l'autorisation de se rendre aux toilettes à son guide, collé à lui : "J'étais un peu comme un enfant parce qu'il y avait une telle pression sur ce qu'on avait le droit de faire ou pas."
Mais, la réponse est non. On lui demande froidement de "ne pas faire d'histoires" tout en expliquant que, pour des raisons de sécurité, toutes les portes du bâtiment sont fermées. Personne ne se lèvera pendant les cinq heures de la cérémonie. "Lorsque j'ai enfin pu me lever à la fin, le guide m'a suivi un peu paniqué jusqu'aux toilettes. Un épisode qui montre l'absurdité de la surveillance qu'ils mettent en place sur les étrangers de passage."
Des figurants sur des pistes de ski désertes
Michaël Sztanke s'est également rendu, en février 2014, dans le seul domaine skiable de la Corée du Nord, construit selon la volonté du dictateur Kim Jong-un en personne, à 200 km de Pyongyang, en souvenir de sa scolarité en Suisse. Le régime nord-coréen y a créé, de toutes pièces, une dizaine de pistes de ski en creusant dans la roche et en installant des canons à neige, dans une région où il ne neige pas. Ce luxe indécent, alors qu'une bonne partie de la population a du mal à se nourrir, sert la propagande du régime, qui assure que la station est destinée à offrir des loisirs pour tous. "La station flambant neuve est aux standards internationaux, sauf qu'il n'y a strictement personne qui skie", explique Michaël Sztanke.
Après s'être faussement étonné auprès de son guide de ne voir personne sur les pistes, le journaliste assiste à une scène surréaliste : "Une vingtaine de skieurs qui déboulent d'un coup, avec du matériel de pointe. Le guide venait de passer discrètement un appel pour qu'on puisse les filmer."
Un badge du leader à ne perdre sous aucun prétexte
Lors de ses différents voyages, le réalisateur constate que la plupart des citoyens arborent, sur la poitrine, un badge à l'effigie du leader Kim Jong-un (ou de ses prédécesseurs, son père et son grand-père), dont ils prennent le plus grand soin. "En septembre 2012, j'ai demandé à mon guide ce qu'il se passait s'il perdait le badge. Il m'a répondu, catégorique : 'On ne perd jamais le badge, c'est très grave'."
Michaël Sztanke tire alors une bande dessinée de cette anecdote, ce que les autorités nord-coréennes n'apprécient pas du tout. "On m'a expliqué que le badge était sacré." Perdre un badge à l'effigie des grands leaders peut, en effet, entraîner de très graves ennuis et même aller jusqu'à la condamnation à un séjour en camp de travail.
Interdiction de filmer de travers les portraits de dirigeants
Lors de ses trois voyages, Michaël Sztanke n'a eu le droit qu'à des rencontres choisies par le régime et à des visites organisées. Et le régime a également contrôlé la façon dont les journalistes filment. "Les guides ont toujours un œil sur notre écran de caméra."
Lors de visites dans les musées, les écoles ou dans tout autre lieu imposé par les autorités, des portraits des dirigeants trônent toujours en bonne place. "Lorsque vous filmez ces portraits, vous n'avez pas le droit de les filmer en plongée ou contre-plongée, sur la droite ou la gauche. Vous devez obligatoirement les filmer de face, pour qu'ils soient représentés du mieux possible. Si vous ne le faites pas, on vous rappelle à l'ordre. C'est le côté demi-dieu des leaders qui veut ça."
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