: Reportage "L'impact est considérable" : après les premiers rejets des eaux de la centrale de Fukushima, pêcheurs et "influenceurs" chinois s'inquiètent
Comme tous les soirs à la tombée de la nuit, c’est un véritable show qui démarre sur le grand port de pêche de Lianyungang, à l'est de la Chine. Sur toute la longueur du quai, des dizaines de vendeurs de fruits de mer sont installés avec des projecteurs lumineux.
Assis devant les caméras de leurs téléphones portables, ces "influenceurs de la mer", comme on les appelle en Chine, diffusent en direct sur Internet et s’adressent à leurs clients virtuels à travers tout le pays. "Regardez, achetez, cliquez sur le lien et merci de votre soutien", lance l’une des vendeuses aux talents d’actrice, en train de montrer à l’écran une énorme crevette.
Et ce soir, la jeune femme insiste beaucoup sur la qualité de ses produits. Car, malgré l’ambiance haute en couleurs qui règne ici, le climat est morose. Depuis que le Japon a commencé à rejeter les eaux de la centrale de Fukushima le 24 août dernier, les consommateurs chinois, normalement très friands de fruits de mer, sont devenus méfiants.
Ils redoutent une contamination des crevettes et autre crabes, y compris ceux pêchés en Chine, et les ventes ont déjà commencé à baisser, alors même que les eaux sont encore à des milliers de kilomètres des côtes chinoises. "C'est bientôt la fête de la lune, précise la jeune femme. Normalement, tout le monde aurait dû acheter des fruits de mer pour les offrir en cadeau et nos produits auraient dû bien se vendre, mais les gens ont peur de les manger. Ces deux derniers jours, les ventes n'ont pas été bonnes."
"Pour nous, c’est comme un précipice, le sentiment de tomber du ciel au sol. Avant, nous avions 300 ou 400 commandes par jour. Aujourd'hui, il n'y en a plus que quelques dizaines. Nous avons même dû arrêter les ventes en ligne pendant deux jours, et c’est la même situation pour tous nos confrères."
Une influenceuse de la merà franceinfo
"Aujourd’hui, sur les 4 heures de vente en ligne que je viens de faire, il n’y a pas eu plus de 40 à 50 acheteurs qui ont suivi notre show en direct, contre 500 avant. Les gens ont peur de manger des fruits de mer. Les acheteurs en ligne nous demandent dans le direct si les fruits de mer sont contaminés et s’ils sont encore sûrs, raconte cette "influenceuse de la mer". Ils s'inquiètent de beaucoup de choses, nous demandent pourquoi on continue de vendre si les fruits de mer sont contaminés."
Alors, les vendeuses sont obligées de faire preuve de pédagogie. "Je leur explique que c’est encore sûr et qu'il reste encore un peu de temps avant que les eaux arrivent en Chine." L'inquiétude grandit dans le secteur, et cette jeune femme confie "envisager de changer de métier, vendre du bœuf et de l'agneau ou autre chose. Mais, nous sommes nés ici, et nous ne savons pas vraiment vendre autre chose que des fruits de mer."
Une véritable course contre-la-montre
Les autorités chinoises ont fait de cette question des eaux de Fukushima une affaire politique, en critiquant ouvertement Tokyo. Le pays a même suspendu ses importations de produits de la mer en provenance du Japon. Un discours particulièrement alarmiste repris par cette chercheuse de l’université normale de Pékin : "L'eau contaminée par le nucléaire peut être transportée dans les écosystèmes marins et, à travers la chaîne alimentaire, elle peut pénétrer dans le corps humain après la consommation de fruits de mer. Il y a donc des impacts potentiels sur les écosystèmes marins et aussi sur la santé humaine. Il n’y a pas de véritable suivi international. Il est donc très important de mettre en place des équipes capables de réaliser des contrôles indépendants et efficaces à long terme sur ces rejets d’eaux contaminées."
"Sur la base des résultats obtenus lors de précédents contrôles, nous pouvons prédire que les eaux contaminées qui viennent d’être libérées par la centrale de Fukushima atteindront les eaux chinoises au plus tôt dans un an et demi ou deux ans", poursuit l'experte. Car la question du temps est dans toutes les têtes. À Lianyungang, chacun y va de sa petite hypothèse. Une femme en train de préparer les filets de pêche explique : "Ce sera peut-être après le nouvel An chinois. Je pense que le gouvernement trouvera alors une solution et nous dira comment pêcher, car les gens ne savent pas ce qu’il faudra faire." C’est donc une véritable course contre-la-montre qui est lancée. L’objectif ? Pêcher le plus possible, avant l’arrivée des eaux japonaises potentiellement contaminées. "On peut toujours congeler les fruits de mer et les stocker, mais quelle quantité ?", s'interroge un pêcheur, visiblement inquiet.
"Si les eaux contaminées arrivent ici, où pêcherons-nous ?"
"L'État est en train de surveiller la situation, mais si les eaux contaminées arrivent ici, où pêcherons-nous ?", interroge ce même pêcheur. "Dans nos villes côtières, si nous ne pouvons pas pêcher, la vie est paralysée. Avant, il y avait l'épidémie. Nous ne pouvions pas sortir en mer pour travailler. Maintenant, ce sont les eaux contaminées. L'impact est considérable pour nous", souligne-t-il. "Le prix du poisson est en baisse", explique un autre pêcheur, employé sur un chalutier spécialisé dans le crabe. "Moins de gens consomment des produits de la mer."
"Je suis dans ce secteur depuis plus de 30 ans. Si je ne pêche plus, je n'aurai plus de travail lorsque les eaux contaminées arriveront."
Un pêcheur chinois de la mer Jauneà franceinfo
En ce moment, le temps est mauvais, mais les chalutiers vont reprendre le travail dans quelques jours. Désormais, ils travaillent uniquement près des côtes chinoises pour éviter le plus possible d’approcher les eaux qui arrivent en provenance du Japon.
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