Quand la Chine s'éveille, le monde tremble-t-il?
Le livre de Xi Jinping, intitulé «La gouvernance de la Chine», est un livre «très austère (…) et difficile à lire», écrivait Géopolis le 28 janvier 2015. Pour autant, il énonce la feuille de route de l’ex-Empire du milieu pour les années à venir, ont déclaré les participants au colloque. Il ne faut pas oublier que «les Chinois disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent», a résumé Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, dont l’influence reste apparemment importante dans les milieux économiques et politiques français.
«Ce que la Chine a fait depuis Deng est remarquable d’intelligence et de continuité. Contrairement à ce qui se passe dans les pays occidentaux où l’émotion l’emporte souvent», a déclaré de son côté Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Dans le même temps, ce pays garde une croissance forte, malgré un certain ralentissement (autour de 7%). Tandis que ses entreprises figurent parmi les toutes premières au monde dans tous les secteurs d’activité.
Ces dernières années, «la Chine a complètement réalisé son programme de développement», a expliqué Jean-Louis Beffa. «Grâce à sa politique d’innovation, elle a diminué ses exportations à faible valeur et augmenté celles à haute valeur. Elle s’est appuyée sur deux cartes maîtresses: ses start-ups privés et ses grands projets publics. Elle est le seul pays à refuser la domination américaine. Notamment dans le domaine de l’internet où elle a su développer ses propres technologies».
Résultat : l’ex-Empire du milieu est devenu la première ou la seconde puissance économique mondiale, selon les chiffres choisis par les classements. «Dans ce contexte, les dirigeants chinois ne peuvent plus faire profil bas comme auparavant. La Chine a besoin de s’expliquer, d’expliquer ce qu’elle veut faire. D’où sa volonté de transparence» qui se manifeste notamment avec l’ouvrage du président Xi Jinping, a estimé l’économiste Jean-Paul Tchang, président de WST Conseils.
Un «développement pacifique»
Il reste alors à comprendre la stratégie menée par la puissance chinoise au niveau mondial. A commencer par sa stratégie face aux conflits qui déchirent la planète. «La Chine a un développement pacifique, comme le répète le livre. Elle n’entend pas se montrer agressive. Et son développement est une opportunité pour le monde», a fait valoir Zhai Jun, son ambassadeur en France, en ouvrant le colloque.
L’ex-Empire du milieu est devenu «un des grands pôles» mondiaux, a expliqué Hubert Védrine. Mais «malgré une croissance et un développement sans précédent, le pays n’a pas la possibilité de reconfigurer les relations internationales comme ont pu le faire les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale en 1945. Pour autant, il impose qu’on le prenne en compte. Et de ce point de vue, on constate qu’il intervient très intelligemment dans la reconfiguration mondiale. Il a une vraie politique de défense avec une grande armée moderne, même si le Pentagone en exagère la puissance. Néanmoins, il ne semble pas animé par l’activisme occidental qui cherche parfois à convertir le monde entier à ses valeurs universelles», a poursuivi l’ancien ministre.
«A Pékin, on explique : ‘‘Nous n’avons pas à dire à un pays ce qu’il doit faire. Nous sommes Chinois, nous avons nos propres valeurs. Mais nous nous refusons à intervenir chez les autres», a précisé Jean-Louis Beffa. Une conception qui s’oppose au concept de «droit d’intervention» développé par les Occidentaux,
En matière de relations internationales, la priorité numéro un de la Chine concerne les Etats-Unis, qualifié un temps d’«hyperpuissance» par Hubert Védrine. Pour l’ex-Empire du Milieu, «Washington doit admettre qu’il faut traiter avec lui sur un plan d’égalité», a constaté l’ancien ministre. Pour le reste, ledit ex-Empire agit en fonction de ses intérêts. Notamment en fonction de ses besoins en matières premières. C’est la raison pour laquelle il développe ses relations avec des pays ou des régions comme l’Australie, le Chili et l’Afrique.
«Il a besoin de matières premières et de terres cultivables. Pour autant, il ne tombe pas dans les travers occidentaux qui ont théorisé le droit d’intervention. Au départ, les Africains, par exemple, étaient très contents. Ils trouvaient les Chinois moins exigeants, moins arrogants, moins colonialistes. Mais à la longue, leur présence finit par devenir pesante», a précisé le consultant.
La Chine domine l’économie écologique
Quoi qu’il en soit, il n’en convient pas moins d’être très attentif à la stratégie économique de la Chine. En raison du nombre d’entreprises qu’elle pourrait acheter en Europe, l’un de ses tout premiers partenaires économiques, et plus précisément en France.
Secteur dont il faut particulièrement suivre le développement : l’environnement. «La Chine est en train de dominer l’économie écologique. Et ce vraisemblablement pour très longtemps»», a constaté Jean-Louis Beffa. Elle poursuit ainsi un développement impressionnant en matière de système de trains à grande vitesse, qui permet de désenclaver les provinces lointaines et de développer le transport de masse. «Les deux grandes entreprises chinoises du secteur viennent de fusionner pour ne former qu’une seule entité qui est de loin la première du monde». Sans parler de l’industrie solaire, «complètement dominé par les Chinois», selon l’ex-dirigeant de Saint-Gobain. Et sans parler, non plus, de l’industrie du charbon «propre».
«Ce processus n’est en aucun cas du gadget», comme le montrent les récentes discussions entre les présidents Barack Obama et Xi Jinping sur les gaz à effet de serre, insiste Hubert Védrine. Là comme ailleurs, les Chinois joueraient franc-jeu en annonçant clairement ce qu’ils ont décidé de faire. Et là, comme ailleurs, ils entendent agir «sans pression», a précisé l’ancien conseiller de François Mitterrand.
Quel Etat de droit ?
Et qu’en est-il de la démocratisation du pays ? «Pour l’instant, on assiste plutôt à un durcissement», a constaté Jean-Louis Beffa, un brin sarcastique. «La Chine entend affirmer sa propre voie. Pour elle, la démocratie n’est pas un thème particulier. Il n’y a pas de discussion à ce propos, comme on le fait en Occident. Aux yeux de son président, il faut écouter le peuple, affirmer ‘‘l’importance des liens avec le peuple’’, comme le dit le livre», a observé de son côté Jean-Paul Tchang. Le souci actuel de Xi Jinping serait bien plus d’«affirmer son leadership et de développer la lutte contre la corruption, objectifs à 100 lieues de tel ou tel dissident», estime l’économiste.
Et l’Etat de droit dans tout ça ? «En la matière, on dira qu’on se trouve au début d’un processus», a répondu Jean-Louis Beffa, là encore un brin sarcastique. Ca et là émergent des éléments intéressants, a rapporté Hubert Védrine. Exemple : les notaires français qui ont observé «un intérêt grandissant des Chinois pour la sécurisation juridique» et animent des formations sur ce sujet,.
Pour autant, a-t-il poursuivi, «il ne faut pas s’attendre à une évolution à l’occidentale». Cela ne veut pas dire que rien ne va se passer car «les citoyens chinois supportent de moins en moins que leurs droits ne soient pas respectés comme le montrent leurs réactions sur internet». Aux yeux de l’ancien ministre des Affaires étrangères, on s’achemine plutôt vers «une évolution de type ‘‘despotisme éclairé’’». Et de conclure : «Les Chinois vont continuer leur développement de manière rationnelle. Sauf si l’on assiste à des débordements nationalistes».
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