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Explosions de Tianjin : comment l'Etat gère la contestation

Malgré l'inquiétude et la colère des habitants de Tianjin, le gouvernement chinois verrouille la communication pour préserver sa stabilité.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des habitants de Tianjin manifestent, le 17 août 2015, en marge d'une conférence de presse des autorités municipales. (KIM KYUNG HOON / REUTERS)

Cinq jours après la catastrophe, la contestation enfle à Tianjin. Environ 150 habitants ont manifesté, lundi 17 août, en marge d'une conférence de presse des autorités locales, pour réclamer des indemnisations et des explications. Inquiets pour leur santé et leurs appartements détruits, ils ont été ignorés par les responsables municipaux, qui ont quitté les lieux sans les rencontrer.

"En Chine, l'échelon local doit être l'interface de crise et le gouvernement lui demande de prendre ses responsabilités, explique à francetv info Nicholas Bequelin, directeur régional d'Amnesty International. Mais il n'est pas dans la culture politique de répondre aux attentes de transparence des victimes. L'Etat ne considère pas qu'il doit des comptes au public." 

Capable de réagir vite et de mobiliser d'importants moyens logistiques lors des catastrophes, la Chine subit pourtant un certain amateurisme en matière de communication. "Le jour de l'explosion, à la télévision, tous les canaux ont été suspendus et des séries coréennes ont été diffusées, raconte Nicholas Bequelin. Le monde avait les yeux rivés sur Tianjin, et Tianjin avait les yeux rivés sur des drames télévisés coréens."

"La défiance des habitants est systématique"

Une cellule de crise a été mise en place à Pékin, chargée de transmettre aux médias les instructions du gouvernement central, par l'intermédiaire de l'agence officielle Chine Nouvelle. "La ligne est fixée en haut, ce qui prend du temps et retarde la délivrance des informations", indique le responsable d'Amnesty. Selon lui, les autorités demandent aux médias de censurer certaines informations ou de manipuler la liste des sujets les plus lus sur les sites, par exemple pour mettre en avant la visite à l'hôpital d'un officiel chinois.

Le Premier ministre chinois Li Keqiang rencontre des victimes des explosions de Tianjin, le 16 août 2015, à Tianjin (Chine). (  REUTERS)

A l'occasion de catastrophes naturelles ou d'accidents industriels, les habitants touchés expriment une grande défiance à l'égard des informations des autorités, souvent contradictoires. "Cette défiance est systématique, assure à francetv info Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS. Comme on l'a vu ici, la première réaction du gouvernement a été le black-out, ce qui génère des rumeurs, auxquelles les autorités ne répondent qu'au goutte-à-goutte." 

La hantise du gouvernement central est que la catastrophe révèle des éléments gênants et mette en péril la fragile "stabilité sociale". En 2008, après le tremblement de terre au Sichuan, un système de corruption institutionnalisée avait ainsi été mis au jour après l'effondrement des écoles construites sans respect des ratios de sable dans le ciment.

A Tianjin, l'accident a déjà mis en lumière la question du statut des pompiers. Certains sont statutaires, d'autres contractuels, employés par la municipalité. "Ce sont ceux-là, originaires de campagnes, qui sont morts les premiers", souligne Jean-Philippe Béja.

Les responsables locaux comme boucs émissaires

Par le passé, il était possible de passer des événements entiers sous silence. "J'étais en Chine en 1976 lorsque les deux tiers de la ville de Tangshan ont été détruits par un tremblement de terre, se souvient le chercheur. On en a à peine entendu parler à Pékin. Avec les réseaux sociaux, cela ne serait plus possible aujourd'hui."

Un policier muni d'un masque bloque une rue menant au site des explosions, le 17 août 2015, à Tianjin. (KIM KYUNG HOON / REUTERS)

Désormais, le gouvernement déploie une stratégie destinée à apaiser la colère des victimes et à étouffer les affaires dérangeantes. "On empêche les familles de s'organiser et de demander des comptes, on contrôle internet, on licencie ou on condamne symboliquement des responsables locaux, et on insiste sur le courage des pompiers et les visites des dirigeants auprès des victimes", résume Nicholas Bequelin.

Les responsables locaux servent de fusibles. A Tianjin, la presse officielle gouvernementale a ainsi commencé, lundi, à dénoncer la piètre communication des responsables municipaux. "Une réaction trop tardive donne libre cours aux plus folles rumeurs, et cela affaiblit la confiance générale dans les autorités", écrit The Global Times, lié au Parti communiste chinois.

D'après le directeur régional d'Amnesty, la gestion de crise du gouvernement empêche de tirer des leçons des accidents, en limitant notamment les possibilités d'enquête. "Il y a une logique utilitariste, qui fait que le sacrifice d'un petit nombre de personnes n'est pas quelque chose à éviter à tout prix, avance-t-il. On peut sacrifier des travailleurs dans les mines de charbon si cela profite à l'économie du pays. C'est pareil pour les sites pétrochimiques."

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