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En Chine, le terrible destin des orphelins de guerre japonais

Nous sommes en 1945, la guerre sino-japonaise prend fin avec la reddition du Japon. Le pays laisse environ un million et demi de ses ressortissants bloqués dans l'Etat fantoche du Manchukuo. Les anciens colons se suicident par centaines. Leurs enfants, s'ils ne sont pas tués, se retrouvent orphelins.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié
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Yohachi Nakajima, 73 ans, tient une photo de ses parents adoptifs chinois (AFP/YOSHIKAZU TSUNO)

En vertu de sa politique expansionniste inaugurée avec l'invasion de la Mandchourie en 1931, des milliers de colons japonais avaient été envoyés dans cette région du nord-est de la Chine. Survient 1945 et la défaite de l'empire du Soleil levant. Les colons doivent fuir pour sauver leur vie. Selon des documents officiels, en mai 1945, environ 320.000 colons japonais vivent dans la région en vertu d'un programme d'immigration pour assurer le contrôle du Mandchoukuo.

Après l'annonce de la capitulation par l'empereur Hirohito, leur situation se détériore brusquement. Des dizaines de milliers d'entre eux meurent de faim et de maladie alors que l'hiver rigoureux s'installe dans la région. Certains ont recours au suicide collectif, se rassemblant dans des maisons qu'ils font exploser. Des groupes de migrants japonais armés de sabres tuent femmes et enfants pour abréger leurs souffrances.


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Des enfants japonais deviennent orphelins de guerre
Au cours du retrait nippon et du rapatriement des prisonniers de guerre, entre 2.800 et 4.000 enfants japonais furent abandonnés, dont 90 % dans les trois provinces du nord-est de la Chine et la région autonome de Mongolie intérieure. Ils sont adoptés par plusieurs milliers de familles chinoises malgré des conditions de vie difficiles.
 
L'histoire de Wu Yun, racontée dans le Bejing Information, est particulièrement dramatique. «Sa mère a d’abord assassiné sa fille de moins d’un an, puis elle voulait attraper Wu Yun pour la tuer. Wu Yun a pris ses jambes à son cou. Se retournant après avoir couru quelques dizaine de mètres, elle a vu que sa mère s’était transpercé la poitrine d’un sabre. Wu Yun était devenue orpheline.»

Dans un article du China Daily, Zhang Zhilan, une mère adoptive, témoigne: «Je détestais l'armée japonaise beaucoup. Ils étaient tellement atroces, tuant des civils chinois comme s'ils coupaient un arbre. Mais en regardant le nouveau-né, je pris ma décision. Si je ne voulais pas l'élever, il allait bientôt mourir. Après tout, l'enfant était innocent»

Stèle en bronze portant l’inscription « Merci, parents chinois », inaugurée à Shenyang le 21 août 1999  (China.Rednet)

Un retour au pays douloureux
En 1981, les gouvernements japonais et chinois concluent un accord prévoyant une résolution conjointe du problème des orphelins japonais en Chine. Ceux-ci sont identifiés pour la plupart, et on organise la recherche de leurs familles d'origine. Mais pour les orphelins, dont la plupart n'ont jamais été informés de leur vraie identité, c'est un choc. Retourner ou non au Japon, ce pays qu'ils ont à peine connu, et quitter les familles qui leur ont tout donné, est un choix extrêmement difficile.
 
Selon des chiffres du ministère du Travail japonais datant de 2004, 2476 orphelins sont retournés dans leur pays d'origine.
 
Destins
Des années plus tard, certaines jeunes femmes ont aussi été envoyées pour épouser des migrants japonais. L'une d'elles, Fumiko Nishino, a aujourd'hui 88 ans. Elle devait officiellement travailler comme opératrice téléphonique avec ses deux sœurs. Les trois sœurs ont eu plusieurs années après leur arrivée la possibilité de monter à bord d'un navire pour retourner dans l'archipel. Mais Mme Nishino a refusé de partir.

«J'ai perdu contact pendant des années et des années avec ma famille japonaise, pas un appel, pas une lettre», dit-elle. «Lorsque j'ai fini par rentrer (au milieu des années 70) il y avait une tombe disant que j'étais morte à 19 ans. J'ai fait basculer la stèle et l'ai brisée en pleurant et riant à la fois avec ma famille», se souvient-elle.

Des orphelins de guerre japonais présentent une pièce de théâtre basée sur leur vie au cours d'une réunion avec une association de parents d'accueil chinois à Harbin, province du Heilongjiang, dans le nord de la Chine, le 12 Juillet, 2015 (KYODO NEWS)

D'autres aussi ont trouvé une sépulture à leur nom. En 1959, le Japon avait en effet déclaré que près de 20.000 Japonais restés à l'étranger,  essentiellement en Chine, étaient morts ou ne voulaient pas rentrer, les abandonnant une seconde fois.

M. Nakajima fait partie de deux qui ont eu de la chance. Il a retrouvé sa mère biologique et est resté très proche de celle-ci jusqu'à sa mort à 98 ans. Mais la gentillesse de sa mère adoptive et des villageois, les travaux des champs récompensés le soir par une assiette fumante de pommes de terre restent dans son cœur. «Et si les choses avaient été inversées ? Je me demande si les Japonais auraient agi de la même manière», dit-il.

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