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Chine-Taïwan: je t’aime moi non plus

Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile en 1949, les dirigeants de la Chine populaire et de Taïwan se rencontrent le 7 novembre. Le président chinois Xi Jinping et son homologue taïwanais Ma Ying-jeou vont se voir à Singapour. Une petite révolution qui s'inscrit dans un mouvement de lent rapprochement.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Banderole contre la rencontre entre les présidents taïwanais et chinois à Taipei (capitale de Taïwan), le 4 novembre 2015. (SAM YEH / AFP)

Pékin, qui a toujours revendiqué sa souveraineté sur l’île de Taïwan, décrit cette rencontre comme un «arrangement pragmatique» qui sera «en cohérence avec le principe d’une seule Chine». Une seule Chine car autant pour Pékin que pour Taïwan, pas question d'abandonner ce principe. Pour chacune des deux capitales, Pékin ou Taipei est le seul et unique représentant de la vraie et unique Chine.

Ce que les Chinois appellent le «consensus de 1992» définit le cadre des rapports entre la Chine continentale et Taïwan. Des rapports qui ne peuvent s'inscrire que dans l'idée qu'ils ne forment qu'un seul pays.

Mais on est loin de l'époque où Pékin pouvait rêver de reprendre Taiwan les armes à  la main. Depuis la guerre civile chinoise entre le Kuomintang (KMT, parti nationaliste) et le Parti communiste chinois (PCC) qui a vu la victoire de ce dernier sur le continent, les relations sont officiellement inexistantes entre les deux «pays».

Terrain neutre: Singapour
A Pékin on se félicite de la «rencontre prochaine entre les dirigeants», mais on évite de trop nommer l’autre pays en parlant «des deux rives du détroit de Taïwan», comme le dit l’Agence Chine Nouvelle citant «le responsable chargé des affaires de Taïwan de la partie continentale de la Chine». 

La rencontre a cependant lieu à Singapour, un endroit neutre. «Les premières rencontres "non officielles" entre la Chine et Taïwan se sont tenues dans de tels lieux : Hongkong (avant la rétrocession) en 1992 et Singapour en 1993», souligne pour Géopolis la sinologue Samia Ferhat.  

Dans les années 50, la Chine envisageait de reprendre Taïwan. (AFP)

Une histoire difficile
Les relations sino-taïwanaises étaient marquées par la défiance depuis la proclamation par Mao Tsé-toung de la République populaire de Chine (RPC) il y a 66 ans.
 
C’est au gouvernement nationaliste mené par Chiang Kai-chek, situé à Taïwan, que fut d'abord reconnue la légitimité internationale. «Puis, l’évolution du contexte international qui suivit la décolonisation, ainsi que le début du processus de normalisation des relations entre Washington et Pékin ont entraîné un renversement de la situation en 1971. Pékin est en effet devenu membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et obtint de la part de la majorité des Etats la reconnaissance politique qui lui faisait défaut jusqu’alors», rappelle la revue Perspectives Chinoises.
 
Au niveau des Etats, même phénomène. La plupart des pays reconnaissent la Chine populaire et pas Taïwan. Seuls 22 pays ont une représentation diplomatique avec l’île nationaliste. Ainsi la France a une ambassade à Pékin (depuis 1964, date de la reconaissance de la Chine de Mao par De Gaulle) mais seulement un bureau à Taïwan.  


Un rapprochement continu
C’est au début des années 90 que les relations entre les deux «pays» commencent à se détendre. «Des rencontres officieuses entre deux organismes privés, chargés de traiter des questions techniques ou commerciales liées aux échanges entre les deux rives. A Taiwan, il s’agissait de la Fondation pour les échanges à travers le détroit et, en Chine, de l’Association chargée des relations entre les deux rives du détroit», raconte Perspectives chinoises. 

Malgré les discours politiques et les différences idéologiques officielles, les échanges entre les deux rives ne cessent de progresser. En 2003, des liaisons aériennes sont officialisées, puis élargies en 2005. «Taïwan et la Chine communiste ont franchi en 2010 une étape décisive sur la voie du dégel en signant un accord-cadre de coopération économique sous l'impulsion de Ma Ying-jeou (l'actuel président de Taïwan, NDLR). Cet accord, et d'autres gestes d'ouverture comme la reprise des vols aériens directs, n'ont toutefois été négociés que par des organismes semi-officiels, Pékin et Taipei n'ayant toujours aucune relation diplomatique», rappelait Le Monde. Aujourd'hui, ce sont quelque 500 vols par semaine qui relient les deux pays.

Résultat de cette politique, les échanges économiques ne cessent de se développer. On ne compte plus les investissements taïwanais sur le continent. De nombreuses entreprises font des affaires dans les deux pays et les flux de capitaux sont incessants. «Mais, sous le mandat de M.Ma, les échanges dans les deux sens ont connu un bond en avant. Les liens économiques et financiers n'ont cessé de se resserrer de part et d'autre du détroit. A tel point que le bien-être de l'île (23 millions d'habitants) est de plus en plus dépendant de sa relation avec la deuxième économie du monde (1,3 milliard d'habitants)», ajoutait le quotidien.
 
La «partie continentale de la Chine» a approuvé 2.081 projets d'investissements de Taïwan au cours des neuf premiers mois 2015, soit une augmentation de 21,3% sur un an, se félicite Pékin. Le volume du commerce entre les deux parties a atteint 137,7 milliards de dollars pendant les neuf premiers mois. «Taïwan constitue le 7e plus grand partenaire commercial de la partie continentale», note le Quotidien du peuple, au style reconnaissable. 

Manifestations de 2014 à Taïwan contre le rapprochement avec Pékin (Mandy Cheng / AFP)

Sauver le soldat Ma Ying-jeou 
Côté taïwanais, l’élection du président Ma Ying-jeou en 2008 a permis une détente avec Pékin. Artisan de la renaissance du Kouomintang (KMT), le parti nationaliste de Chiang Kaï-chek, réélu en 2012,  Ma Ying-jeou est favorable à des liens avec la Chine continentale.

Le sommet de Singapour intervient quelques semaines avant les élections générales de janvier 2016 dans un contexte difficile pour l’actuelle majorité alors que l’opposition, moins favorable à un rapprochement, pourrait revenir au pouvoir. En 2014, des manifestations du «mouvement des tournesols» avaient secoué Taipei, la captale taïwanaise, pour protester contre le rapprochement entre les «deux rives». 

Pékin montre que «les dirigeants taïwanais peuvent être considérés comme des homologues avec qui il est possible de parler de l’évolution des relations entre les deux rives, à la condition qu’ils adoptent le langage que comprend la Chine (consensus de 1992)», analyse Samia Ferhat. La Chine continentale envoie ainsi un message avant les élections à la candidate de l'opposion: «Elle saura que Pékin est prêt à discuter à un haut niveau mais suivant des codes très précis que les autorités chinoises partagent depuis plusieurs années avec les forces politiques taïwanaises dans la mouvance de la majorité actuelle», ajoute la chercheuse. 

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