Cannes 2015: l'anglais, «l'espéranto» du cinéma
Réalisateurs et acteurs se sont tous mis à la langue de Shakespeare pour parler cinéma dans les œuvres qui espèrent décrocher la Palme d'or du 68e Festival de Cannes. C'est l'anglais qui a été choisi par les Italiens Paolo Sorentino et Matteo Garrone, respectivement pour Youth et Il racconto dei racconti (Tale of the Tales). A l'instar du Grec Yorgos Lanthimos dans The Lobster, du Norvégien Joachim Trier dans Louder than bombs, de Chronic du Mexicain Michel Franco, de Sicario du Québequois Denis Villeneuve.
Ces six films s'ajoutent à trois autres dont les réalisateurs sont anglo-saxons (Carol de l'Américain Todd Haynes, The Sea of Trees de son compatriote Gus Van Sant et Macbeth de l'Australien Justin Kurzel).
L'anglais pour s'imposer sur le marché américain?
Au total, neuf des dix-neuf films en compétition ont été tournés en anglais. Interrogé sur cette tendance lourde dès l'annonce de la sélection officielle,Thierry Fremaux avait expliqué, notamment à propos des œuvres italiennes (Youth et Tale of Tales), qu'il n'était pas question pour leurs réalisateurs de s'attirer les faveurs du marché américain mais que leur démarche était le résultat d'un itinéraire artistique. L'occasion de souligner combien le Festival de Cannes était attentif à cette problématique linguistique.
Selon le délégué général du festival, «il y a deux choses: d'abord ce n'est pas de l'anglais, c'est de l'esperanto. C'est-à-dire que l'anglais est aussi devenu un langage mondial qui fait que ce n'est pas forcément une langue attachée à un pays. Il n'est pas dans mon rôle de dire ici que l'on pourrait s'en plaindre : c'est comme ça ! Deuxième chose: ce sont des films anglais avec des comédiens (anglophones) et avec une logique narrative qui fait que les personnnages sont internationaux ou anglo-saxons, comme par exemple dans le film de Paolo Sorentino. Chaque année, nous refusons un nombre incalculable de films qui se passent dans certains pays et qui tentent d'en raconter la culture et l'histoire dans une langue anglaise qui apparaît (alors) saugrenue. De ce point de vue, nous sommes assez vigilants.» Un message qui s'adresse «à certains producteurs américains qui croient véritablement que la langue anglaise est devenue l'espéranto».
Pour les cinéastes, adopter l'anglais, c'est l'opportunité de s'offrir des stars de Hollywood,comme le rapporte Le Monde qui s'est intéressé à la question. Ce fut le cas, explique le quotidien, pour le réalisateur mexicain Michel Franco. «Tim Roth (comédien britannique) m'a dit qu'il aimerait jouer le rôle, si j'acceptais de transformer le personnage en homme, et de le tourner en anglais.» Accéder à la demande du comédien n'aurait eu aucune incidence artistique ou même financière.
Démarche inverse pour les grandes pointures du cinéma français, qui collaborent depuis longtemps à des productions internationales, comme Isabelle Huppert, Vincent Cassel, Marion Cotillard et récemment Léa Seydoux. Sur la Croisette, elles relèvent le défi de l'anglais, avec néanmoins quelques concessions dans le scénario à leur langue maternelle.
Dans Louder than bombs, Isabelle Huppert interprète une grande photojournaliste mariée à un Américain et vivant aux Etats-Unis. Léa Seydoux incarne, pour sa part, une rebelle dans le monde étrange de The Lobster, où les individus qui restent célibataires plus de 45 jours, sont transformés en un animal de leur choix. Quant à Marion Cotillard, elle n'est rien d'autre que Lady Macbeth dans le film Macbeth. Vincent Cassel donne également la réplique en anglais dans Il racconto dei racconti de Matteo Garonne. Cette fois-ci sans accent comme récemment dans Enfant 44 où il interprétait un responsable militaire russe. Egalement à l'affiche de Mon roi de la réalisatrice française Maïwen, l'un des cinq films français en compétition, le comédien n'a pas fait mystère du confort de travailler dans la langue de Molière.
«On ne peut pas avoir la liberté que l'on a dans sa langue maternelle»
Interrogé par Géopolis sur le fait de retrouver le français dans un rôle où sa performance, très fluide, a été le fruit «d'une improvisation dirigée», comme il le souligne, il estime qu'«il y a des limites à jouer dans une langue étrangère». «C'est vraiment dommage d'ailleurs, poursuit-il. On ne peut pas avoir la liberté que l'on a dans sa langue maternelle. Ou alors, il faut intégrer le fait que (le personnage) ne parle pas correctement (...). Cela peut être très bien. Il n'y a pas de règle.»
Un autre acteur, japonais cette fois-ci, Ken Watanabe joue en anglais face à Matthew McConaughey dans The Sea of trees de l'Américain Gus Van Sant. L'action se déroule dans une forêt au pays du Soleil levant, fréquentée par des candidats au suicide.
Dans la compétition 2015, les derniers résistants sont asiatiques ou européens. Le Japonais Kore-Eda Hirokazu (Unimachi Diary), le Taïwanais Hou Hsiao Hsien (Nie Yinniang), le Chinois Jia Zhang-ke (Shan He Gu Ren) – même si son film conduit les spectateurs de la Chine à l'Australie –, le Hongrois László Nemes (Saul Fia) ou encore l'Italien Nanni Moretti (Mia Madre). Dans cette fiction, où l'on parle aussi (un peu) anglais, ce dernier invite une star américaine à jouer dans sa langue maternelle. Ainsi, son héros, incarné par John Turturro (aux origines italiennes connues), est le personnage principal d'un film, en terre italienne, dirigé par une native du pays et dont la mère est hospitalisée. Les difficultés professionnelles et linguistiques de la tête d'affiche sont évidentes et apportent une belle dose d'humour à une œuvre dramatique.
A Cannes, capitale du cinéma mondial pendant dix jours, les rois sont les Américains. Ils constituent la première délégation au marché du film qui se tient en parallèle du festival. En Europe ou en Chine, où ils dominent le box office, c'est eux qui donne le «la» d'une chanson dont les paroles sont écrites... in english!
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