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Au Québec, des «accommodements raisonnables» contre la discrimination

Pour contrer les discriminations, les tribunaux québécois appliquent depuis les années 80 une vision plus libérale de la législation antidiscrimination. Conséquence : la mise en place des accommodements raisonnables, principe d'égalité pour les uns, communautarisme pour les autres.
Article rédigé par Lola Bondu
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Lors d'une manifestation contre la Charte des valeurs à Montréal, le 14 septembre 2013, des membres des communautés juives, sikhes et musulmanes, entre autres, ont revendiqué leur droit à porter des signes religieux dans les lieux publics, comme la commission Bouchard-Taylor l'autorise. (Ryan Remiorz/AP/SIPA)

«Si l'on veut trouver un autre mot pour accommodement raisonnable, ce serait "statu quo", un moyen pour permettre aux gens de vivre ensemble», explique Jacques Amar, maître de conférences en droit privé à l'université Paris-Dauphine. Issus du droit américain de 1970, les accommodements raisonnables concernent, d'après la Charte des droits et libertés de la personne québécoise, toute situation de discrimination «fondée sur le handicap, la religion, l'âge, le sexe».

Ils sont aujourd'hui connus avant tout par rapport à quelques exemples qui ont fait polémique. Comme ce centre sportif de Montréal en 2006 qui, à la demande des fidèles de la synagogue voisine, a remplacé ses fenêtres par des vitres teintées, cachant ainsi ses adeptes en tenue de sport. Ou encore cet écolier sikh qui souhaitait porter en cours un kirpan, sorte de poignard considéré comme symbole religieux, alors que le port d'arme blanche est interdit.

La Commission Bouchard-Taylor, base du vivre-ensemble canadien
Ces exemples, très médiatisés, ont été résolus : le centre sportif a réinstallé ses vitres d'origine, l'adolescent a pu porter son couteau, une fois placé dans un écrin scellé. Mais les polémiques ont mené le Premier ministre québécois Jean Charest (2003-2012) à instaurer en février 2007 une commission de consultation sur les accommodements raisonnables, qui portait notamment sur les différences culturelles. A sa tête, le sociologue Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor.

«Quand les enquêteurs ont regardé la réalité des faits, toujours montés en épingle par les opposants au "communautarisme", ils se sont rendus compte que la plupart ne menaçaient pas la paix civile et la laïcité, relate Patrick Savidan, maître de conférences à Sciences Po Paris, dans Le MondeIls ont aussi observé que, sur le terrain, les gens avaient plutôt tendance à trouver des solutions de bon sens pour cohabiter.»

Charles Taylor (au premier plan) et Gérard Bouchard lors de la présentation du rapport de la commission de consultation sur la pratiques des accommodements raisonnables. (Distribution/NEWSCOM/SIPA)

La commission a défini le flou autour des accommodements raisonnables, surtout en ce qui concerne le religieux. Par exemple, l'interdiction de signes religieux ostensibles concerne désormais au Québec certains agents de l'Etat, tels que le président et le vice-président de l'Assemblée nationale, les magistrats, les procureurs et les gardiens de prison. Tous les autres sont libres de porter un signe religieux. Le devoir de laïcité s'attache aux actes de l'Etat, selon la commission. Pas à l'apparence des employés ni des usagers.

La commission Bouchard-Taylor en a conclu, dans son rapport Le temps de la conciliation, que les accommodements raisonnables sont nécessaires à la société québécoise pour rétablir l'égalité, parce que ses lois reproduisent les normes tacites de la culture majoritaire et ne sont pas neutres et universelles.

Des accommodements applicables en France?
Ces arrangements, souvent menés à l'amiable, pacifient les esprits. «Il faut éviter que le débat devienne judiciaire, sinon les positions se radicalisent. Ce qui rend impossible la résolution du problème», avance Jacques Amar, conférencier à l'université Paris-Dauphine.

En France, alors que les accommodements raisonnables existent déjà – pour les personnes en situation de handicap par exemple –, ceux qui tournent autour de la question religieuse font vite polémique, et se heurtent au principe de la laïcité.

«Le problème, c’est que l’on se base sur une loi qui ne correspond pas à la Convention européenne des droits de l’Homme de 1948», estime Jacques Amar. Celle-ci instaure en effet dans l'article 9 la liberté de manifester sa religion dans l’espace publique. «Donc, soit on dit que la France n’est pas compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme, qu’on a tout de même ratifiée, soit on cherche un équilibre, continue le conférencier. D'autant plus que dans les textes internationaux, le principe de laïcité n’existe pas.»

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