De Chirac traitant Margaret Thatcher de "mégère" aux dirigeants brésiliens insultant Emmanuel Macron : comment l'injure est devenue une stratégie politique
Longtemps considérée comme une bévue, l'insulte en politique semble être progressivement devenue une stratégie pour se rapprocher du peuple.
L'insulte semble de plus en plus être utilisée comme arme par les chefs d'État. Dernier épisode en date : le président brésilien Jair Bolsonaro s'est moqué de l'âge de Brigitte Macron(Nouvelle fenêtre) et de la virilité du président français, alors que son ministre de l'Éducation Abraham Weintraud a qualifié Emmanuel Macron de "crétin opportuniste". Ces propos ne sont pas propres au Brésil et aux tensions actuelles au sujet des incendies en Amazonie(Nouvelle fenêtre).
L'insulte en politique, longtemps réservée aux joutes de politique intérieure, paraît désormais s’installer dans les relations internationales(Nouvelle fenêtre). Si ces propos ont toujours existé, ils restaient jusqu'à présent à leur place, c'est-à-dire dans les bureaux ou les couloirs feutrés. Et quand ces insultes sortaient, c'était un problème et jamais une stratégie.
Margaret Thatcher, "une mégère" pour Jacques Chirac
En février 1988 par exemple, lors d'un sommet européen très tendu à Bruxelles, Jacques Chirac, alors Premier ministre français, fait un faux pas. Ignorant qu'il était enregistré par un magnétophone après une prise de parole très policée sur la question du budget européen et de son financement par les Britanniques, il lâche en parlant de Margaret Thatcher : "Qu'est-ce qu'elle veut de plus, la mégère ? Mes couilles sur un plateau ?" La presse anglaise s’empare de cette déclaration. Jacques Chirac doit nier sur le plateau du 20h d’Antenne 2 d’Henri Sannier : "Je ne sais pas comment sont nés ces bruits, j'ai défendu fermement les positions de la France, c'est dans ma nature". Le Premier ministre français nie, ce qui prouve que l'insulte n'est alors pas un outil diplomatique.
Plus récemment, en 2010, Wikileaks(Nouvelle fenêtre), qui s'est donné pour mission de rendre publics les propos tenus dans les couloirs ou derrière les portes, diffuse des dizaines de milliers de messages électroniques de l'administration américaine. Parmi eux, quelques insultes adressées aux dirigeants européens, censés être des alliés des États-Unis. Nicolas Sarkozy est par exemple considéré comme "susceptible et autoritaire", la chancelière allemande Angela Merkel aurait "peur du risque" et manquerait "d'imagination", Silvio Berlusconi serait "irresponsable et inefficace, fatigué par ses longues nuits sans sommeil".
À l'époque, les Européens ont préféré regarder ailleurs et ont continué à soutenir les États-Unis contre Wikileaks. On ne faisait pas de politique par l’insulte, bien au contraire. La diplomatie, c’était la tempérance, la courtoisie de façade, le temps long.
Une manière de montrer que les politiques parlent comme le peuple
On a tendance à penser que tout a changé avec l’émergence des leaders néo-populistes, Donald Trump en tête. Le président américain a successivement traité Kim Jong-un de "rocket man"(Nouvelle fenêtre), de "petit gros" et de "psychopathe" avant de devenir son meilleur ami. Ces dirigeants qui prétendent avoir aboli les filtres avec le peuple et prétendent parler vrai, manient l’insulte publique comme le peuple le fait, selon eux.
En 1938, l'académicien Georges Duhamel, ulcéré par les insultes adressées par Goering et Hitler au peuple tchèque et à son président Benes, écrivait déjà ces lignes dans un article intitulé "une politique de l'insulte" : "Ce n’est pas sans étonnement que les observateurs des mœurs ont vu l’insulte, en ces temps troublés, prendre rang parmi les artifices du langage diplomatique. Pour sévères que fussent les conflits entre les peuples, les hommes qui se trouvaient chargés de diriger les groupes humains parlaient un langage qui pouvait être arrogant, mais qui conservait toujours la marque d’une certaine décence. Voilà que tout est changé."
Et Georges Duhamel ajoutait que "l’insulte a cet effet pour les gaillards décidés à tout, d’entraîner les esprits vulgaires, de les attacher et de les convaincre". 81 ans plus tard, cette phrase prophétique prend tout son sens.
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