Persécutions religieuses en Indonésie
Pays musulman depuis au moins onze siècles, l’Indonésie a longtemps été réputé pour son islam modéré auquel se mêlaient les anciens cultes javanais comme l'hindouisme ou le bouddhisme. Outre ces deux religions, la Constitution du pays en reconnaît quatre autres : l’islam, le catholicisme, le protestantisme, le confucianisme.
Pour autant, en juillet 2012, Amnesty International (AI) annonçait avoir reçu «des signalements d’agression et d’actes d’intimidation commis à l’encontre de minorités religieuses en Indonésie». Pour les six premiers mois de 2012, l'ONG Institut Setara pour la démocratie et la paix, a ainsi dénombré 309 «incidents», en nette hausse par rapport aux années antérieures (543 cas pour toute l’année 2011, 502 en 2010). La dernière agression recensée a eu lieu en août 2012 dans l’île de Madura: plusieurs centaines de sunnites s’en étaient alors pris à des habitants chiites, tuant un homme et incendiant une trentaine de maisons.
Les autres musulmans
Selon les estimations, la population chiite compterait entre un et cinq millions de personnes. Chiffres difficiles à vérifier, car les fidèles doivent souvent pratiquer leur culte dans la clandestinité. Pourtant, les premiers membres de la communauté seraient arrivés sur les rivages de Sumatra aux alentours du VIIIe siècle. Au début des années 80, une vague de conversion au chiisme s’est développée en Indonésie, dans la foulée de la révolution islamique en Iran. Des tensions sont apparues quand des nouveaux convertis ont commencé à contester l’interprétation sunnite du Coran.
Outre les chiites, d’autres «déviants» musulmans sont particulièrement opprimés : les quelque 200.000 ahmadis indonésiens. Ils appartiennent à une communauté qui croit à la venue d’un messie, leur fondateur indien Mirza Gulham Ahmad (1835-1908), qui serait donc arrivé sur terre après le prophète Mahomet. En février 2011, quatre d’entre eux ont été lynchés et plusieurs autres blessés dans un village de l’ouest de Java, «sous l’oeil de la police». Un caméraman a réussi filmer ces violences dont certaines séquences sont visibles sur Youtube. Des images qui peuvent choquer.
Vidéo, tournée par un témoin, des violences contre la communauté ahmadie dans l'ouest de Java en février 2011
Vidéo donnée à un membre de l'association Human Rights Watch à Jakarta par des témoins de la scène
Attaques contre des chrétiens
Alors que des temples bouddhistes ont dû être fermés en octobre 2012 à la suite de menaces proférées par des islamistes radicaux, les communautés chrétiennes, protestantes (6,5% de la population) et catholiques (3,1%), sont elles aussi touchées par l’intolérance religieuse. En août 2011, des militants musulmans ont brûlé trois églises à Sumatra. Et depuis 2004, plus de 400 autres auraient été fermées.
Dans ce contexte, les autorisations pour les ouvertures de lieux de culte se font apparemment au compte-goutte. Résultat : des centres cultuels ouverts… dans des boutiques de centres commerciaux («mall churches») sont devenus une spécialité à Java.
Dans le même temps, l’activisme et le prosélytisme de certains évangélistes suscitent la colère des formations islamistes. Maniant la théorie du complot, des intégristes musulmans n’hésitent pas à affirmer que l’islam pourrait devenir minoritaire dans l’archipel d’ici une vingtaine d’années…
Pour leur défense, les autorités affirment que les évènements de ces dernières années ne sont pas révélateurs de la situation générale de la liberté religieuse dans le pays. Selon elles, le nombre de lieux de culte a plus que doublé depuis l’arrivée d’un pouvoir démocratique en 1998.
Le laxisme du gouvernement
Mais d’une manière générale, le pouvoir fait preuve d’une grande ambivalence vis-à-vis de la montée de l’intolérance religieuse. Il lutte ainsi apparemment avec efficacité contre des organisations comme Jemaah Islamiya, considérée proche d’al-Qaïda et accusée d’être à l’origine des attentats de Bali en 2003 (202 morts et 209 blessés).
Mais il ne fait pas preuve de la même efficacité vis-à-vis de groupes comme le FPI (Front des défenseurs de l’islam), qui a fait annuler en mai 2012 le concert de la «satanique» Lady Gaga ou le MMI (Conseil des moudjahidins indonésiens), à l’origine de l’agression contre l’écrivaine musulmane canadienne et militante homosexuelle Irshad Manji. Petite précision : le fondateur du MMI n’est autre que Abu Bakar Bashir, leader spirituel de Jemaah Islamiya, condamné en 2011 à 15 ans de prison pour terrorisme.
L’influence de ces extrémistes au sein de la société est tout sauf négligeable. Le FPI a réussi à faire adopter en 2008 un décret contre les ahmanistes. Il s’est aussi fait une spécialité des raids contre des bars ou des «salons de massage». «Quand nous voulons faire une rafle dans des endroits de débauche, la police est de notre côté», a déclaré en toute franchise à l’AFP le président du FPI à Djakarta, Habib Salim Hatalas.
«La solution pour les chiites, c’est de se convertir» au sunnisme, estime le ministre des Affaires religieuses, Suryadharma Ali. De son côté, l’actuel président Susilo Bambang Yudhoyono est carrément accusé de «fermer les yeux» sur les activités des groupes radicaux. Tout en se prononçant dans ses discours publics contre l’intolérance religieuse. Motif de cette ambiguïté : il a formé une coalition de gouvernement avec les partis islamistes radicaux et a besoin d’eux pour conserver sa majorité au Parlement. La tolérance peut donc attendre. D’autant plus qu’aux dires des enquêtes d’opinion, si les méthodes des islamistes sont critiquées, la population semble approuver en grande partie leurs idées…
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