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Lobsang Sangay, celui qui porte les aspirations d'un Tibet «auto-administré»

Depuis 2011, c'est à lui que le dalaï-lama a symboliquement confié le destin politique du Tibet qui lutte pour se libérer du joug chinois depuis des décennies. La diaspora tibétaine a de nouveau choisi Lobsang Sanjay pour être son «Sikyong» (Premier ministre). Portrait.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Lobsang Sangay, le Premier ministre du gouvernement tibétain en exil, le 27 avril 2016 à Dharmsala (Inde).  (Ashwini Bhatia/AP/SIPA)

«Nous continuerons aussi longtemps qu'il le faudra afin que les libertés fondamentales soient rétablies au Tibet, jusqu'à ce qu'une autonomie véritable soit accordée au peuple tibétain à l'intérieur du Tibet», affirmait Lobsang Sanjay le 28 avril 2016 après sa réélection à la tête du gouvernement tibétain en exil, rapporte l'AFP. Le Sikyong (le mot signifie «leader politique» et il a remplacé en 2012 le terme Kalon Tripa qui désignait jusqu'ici le Premier ministre tibétain) a obtenu 57% des suffrages exprimés, selon la commission électorale basée dans la ville indienne de Dharamsala.

L'ancien universitaire laïc a décroché un second mandat au terme d'un processus électoral dont le chef spirituel des Tibétains, le dalaï-lama, s'est dit mécontent. D'une durée de neuf mois, il aura exacerbé les tensions régionalistes au grand dam du dalaï-lama qui «œuvre si ardemment à l'unité des Tibétains», a déclaré Lobsang Sanjay, indique The Indian Express

Le novice en politique qui est devenu Sikyong
Quand le chef spirituel des Tibétains décide de renoncer à son pouvoir temporel en 2011, en d'autres termes à son rôle politique, les Tibétains en exil font l'apprentissage de la démocratie en élisant un nouveau Premier ministre. A 43 ans, Lobsang Sanjay est crédité de 55% des suffrages exprimés par la diaspora tibétaine le 20 mars 2011. Il prendra fonction quelques mois après, en août à 9h09'09''. 

La mission de celui qui dirige le gouvernement en exil du Tibet, à savoir l'Administration centrale tibétaine (CTA) qui n'a aucune reconnaissance internationale, est simple. «Je lui ai clairement dit qu'il devait endosser la pleine responsabilté politique», aurait dit le dalaï-lama au Lobsang Sanjay, rapporte Sabine Verhest dans son livre Tibet.

Tout en affirmant : «Il est plus jeune que moi et il est logique de vouloir bénéficier de l'expérience des plus âgés ! Souvent, il m'explique ses plans, ses penséees. Occasionnellement, je lui fais des suggestions. C'est une manière très saine de faire émerger le nouveau leadership et la démocratie. Ce n'est pas comme la Chine.»

Bénéficier des précieux conseils du guide spirituel n'est pas un luxe pour celui que la tibétologue Françoise Robin décrivait à son arrivée au pouvoir comme un «jeune 
dirigeant 
issu
 de 
la
 deuxième
 génération
 de
Tibétains 
en
 exil, 
ceux 
qui 
n'ont 
jamais 
mis les
 pieds
 dans 
leur 
pays 
d'origine».
 «Il
 n'appartient
 pas 
non 
plus 
à
 une
 famille 
rompue aux
 joutes
 du
 pouvoir», poursuivait-elle.

«Je suis effectivement né en exil, en 1968 (...). Mes parents ont fui le Tibet en 1959, la même année que le dalaï-lama. Ils ont trouvé refuge dans un camp que les Indiens avaient mis en place pour nous accueillir. C'est là que j'ai grandi, entouré de mon père et de ma mère, de leurs trois vaches, d'une douzaine de poules et de moins d'un hectare de terre cultivable. Nous avons mangé du riz et de la soupe de lentilles tous les jours pendant mes dix premières années», confiait-il dans un entretien à la sinologue Marie Holzman quelques mois après sa première prise de fonction.

Des études grâce une vache
Ainsi, d'un certaine manière, le Sikyong a aussi eu une vache sacrée. «Mes parents ont vendu l'une de leurs vaches pour que je puisse rejoindre une école destinée aux enfants tibétains». Son brillant cursus scolaire lui permettra d'être admis dans une des universités de la Ivy League (groupe des huit universités les plus anciennes et prestigieuses des Etats-Unis).

«Après avoir terminé mes études de droit à l'Université de New Delhi, j'ai obtenu une bourse d'études Fulbright pour approfondir mes connaissances à la faculté de droit de l'Université de Harvard.» Docteur en droit, il y obtient un poste de chercheur qu'il abandonne afin d'embrasser sa nouvelle carrière politique. Un activisme qui n'est pas nouveau pour celui qui fut membre en 1992 du comité exécutif du congrès de la jeunesse tibétaine (Tibetan Youth Congress, TYC). 

«Servir le Tibet et les Tibétains, perpétuer l’héritage de nos aînés, réaliser la vision de Sa Sainteté le Dalaï Lama d’une société séculière et démocratique, et, bien sûr, représenter les Tibétains vivant hors et à l’intérieur du Tibet.» C'est en ces termes qu'il expliquait en 2011 les raisons de son engagement politique au journal belge, La Libre Belgique

«J'ai choisi de renoncer à mon travail à Harvard, confiait-il Marie Holzman, où je vivais dans des conditions extrêmement confortables, entouré de ma famille, pour venir m'installer à Dharamsala, en Himachal Pradesh. C'est un ancien lieu de villégiature coloniale situé sur les contreforts de l'Himalaya, au nord-ouest de l'Inde. Il y fait extrêmement froid et humide en hiver et il pleut presque tout le temps en été ; bref, je ne peux pas dire que j'aurais choisi de vivre là si ce n'était pas pour me consacrer à la cause de notre peuple !» Le Premier ministre du gouvernement du Tibet en exil vit depuis «dans dans la frugalité et la simplicité». «A vrai dire, précise-t-il, avec un salaire de 367 dollars par mois, je n'ai pas trop le choix !»

Ses priorités sont ailleurs et font écho à son parcours. L'éducation de ses concitoyens est l'une d'elle. «De nombreux parents tibétains choisissent d'envoyer leurs enfants à l'étranger pour qu'ils y reçoivent une éducation conforme à leurs souhaits  à savoir une éducation qui soit donnée en tibétain et qui respecte nos valeurs traditionnelles. La volonté du pouvoir de Pékin est, consciemment ou non, d'éradiquer la culture tibétaine en imposant la langue chinoise dès le plus jeune âge et en encourageant la jeunesse à se détourner de la religion tibétaine pour se perdre dans les plaisirs du consumérisme. Si nous ne veillons pas à la préservation de notre culture à l'extérieur du Tibet, qui saura encore la transmettre d'ici quelques dizaines d'années?», interrogeait-il face à la journaliste Marie Holzman. 

Le défi à relever : amener les Chinois à la table des négociations
Son second mandat, Lobsang Sanjay le compare à la construction du premier étage d'une bâtisse après en avoir érigé les fondations. Il continuera à prôner «la voie du milieu» voulue par le dalaï-lama.

Une solution définie par le chef spirituel dans les colonnes du Monde, comme «consistant en ce que les Tibétains soient gouvernés par une administration qui jouisse d'une authentique autonomie régionale nationale avec toutes les garanties afférentes, c'est-à-dire l'autoadministration et la pleine capacité de décision, sauf en ce qui concerne les questions touchant aux relations avec l'étranger et à la défense nationale».

Le dialogue, le Sikyong s'y est converti depuis longtemps. «En seize ans de faculté de droit à Harvard, j’ai rencontré des centaines d’étudiants chinois, organisé des conférences auxquelles j’ai invité des universitaires de Chine. Ce qui démontre mon engagement en faveur du dialogue», déclarait-il dans les colonnes de La Libre Belgique.

Mais pendant son premier mandat, en dépit de ses nombreuses tentatives, il n'a pas réussi à amener les Chinois à la table de négociations. Même ses plus fervents soutiens estiment que c'est son «talon d'Achille».

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