L’île de Nauru : du rêve au cauchemar
Successivement colonisée par l’Allemagne, puis l’Australie, Nauru connaît une prospérité sans précédent. La petite île, située au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, présente en effet un développement très important grâce à l’exploitation et l'exportation du phosphate. Ce minerai, très utile pour fabriquer l’engrais agricole, alimente l'agriculture australienne et britannique.
Commence alors une longue période d’exploitation : les Australiens, qui possèdent l’entreprise construisent les infrastructures indispensables à l'extraction de la matière phare. Et en quelques années, l’entreprise connaît des profits «records». Mais les Naruans souhaitent désormais jouir eux-mêmes de leurs ressources naturelles. L’île accède donc à son indépendance le 31 janvier 1968 et devient ainsi la République de Nauru.
Dès lors, l’entreprise est rachetée et nationalisée. Pendant 30 ans, de 1968 à 1998, la richesse s'empare de la population et la vie des Nauruans n'est plus la même. La période est faste, le cours du phosphate s'envole. L'année 1974 bat tous les records : le pays fait 225 millions d'euros de bénéfice et le PIB par habitant est le 2e au monde. Un PIB trois fois plus élevé qu’aux États-Unis.
Nauru investit alors sa fortune dans l'immobilier. Des buildings sont construits à Melbourne et à Washington, des terres sont achetées dans divers pays du pacifique, des spectacles sont entièrement financés par l’État, un golf luxueux est construit sur l’île. La compagnie aérienne nationale est aussi créée, Air Nauru, couvrant la majeure partie de l'Océanie.
La descente aux enfers
Cependant, dès les années 1990, l'épuisement des réserves minières, une mauvaise gestion des finances publiques et la dégradation de la santé publique caractérisée par l'apparition de maladies liées à une mauvaise hygiène de vie entraînent une paupérisation de la population et du pays en général, aboutissant à une faillite nationale.
Autrefois pays au plus haut revenu annuel moyen par habitant juste derrière l'Arabie Saoudite, Nauru connait une chute vertigineuse. Les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’entreprise nationale ont mené une gouvernance extravagante, matérialisée par des investissements douteux et n'ont pas assuré l'avenir du pays. Avec une gestion sérieuse, même avec l’épuisement des ressources de phosphate, l'argent accumulé aussi facilement aurait suffi à pérenniser le futur de l'État.
Quant à la population, l’opulence des années de richesse a engendré de mauvaises habitudes alimentaires. Le pays recouvre aujourd’hui le plus fort taux d’obésité de la planète. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 95% de la population est en surpoids. Les habitants se plaignent aujourd'hui de ne plus manger que du poisson, nourriture du «pauvre» pour les îles du Pacifique. La nourriture est de moins en moins disponible, détruisant la notion de solidarité entre les citoyens nauruans, pourtant très présente il y a encore quelques années. L’État ne semble pas informer la population sur un mode de vie sain et le seul organisme public fonctionnant correctement est l’hôpital.
Aujourd'hui, la quasi-totalité du territoire de Nauru ressemble à un désert de pierres. La surexploitation du phosphate sur l’île a dégradé l’environnement : 80% de la surface du territoire a été creusée et la déforestation a tué des espèces entières d’oiseaux.
Symbole de la déchéance du petit pays, le célèbre building que l’État avait acheté à Melbourne en Australie a dû être vendu en 2004 pour essayer de rembourser ses dettes. La République de Nauru commence alors à blanchir de l’argent et à vendre des passeports. La mafia russe de Saint-Pétersbourg a blanchi à Nauru près de 70 milliards de dollars. Le pays a même appartenu à la liste noire des paradis fiscaux. Des activités illégales qui n'ont jamais bénéficié aux habitants de l’île.
Aujourd’hui, le système de sociétés-écrans n’existe plus et l’île de Nauru a été retirée de cette liste noire, mais les faux passeports circulent encore dans le monde.
Survivre ou partir
Nauru s’applique dorénavant, pour survivre, à prendre soin de ses relations diplomatiques. Taïwan a racheté pour 10 millions de dollars la ligne faisant quelques allers-retours entre Nauru et Australie, le tout avec le carnet de chèques de banques créancières. En échange, Taïwan est soutenue par Nauru sur la scène internationale, et notamment dans sa lutte pour obtenir un siège à l’ONU. Pour preuve, la seule ambassade présente sur l’île est celle de Taïwan.
L’île abrite également une prison, à disposition non pas de l’État, mais de l’Australie. Ce camp d’internement est habité par des clandestins que l’Australie capture dans les eaux internationales, près de leurs côtes. Le fait que ces clandestins soient directement amenés à Nauru ne leur permet pas de demander le statut de réfugiés politiques en Australie. Ce système, plus connu sous le nom de «Solution du Pacifique», rapporte à Nauru plusieurs millions de dollars chaque année. Mais devant un début de polémique, le nouveau Premier ministre australien, Kevin Rudd, a stoppé les acheminements de clandestins vers Nauru.
Les habitants de Nauru auraient dû être riches, il ne leur reste plus rien. Une lueur d’espoir est cependant apparue. Des géologues affirment qu’il existerait sous les anciens gisements de nouvelles sources de phosphate. Des explorations ont été lancées, financées par de grands entrepreneurs australiens mais c'est une fausse bonne nouvelle, car compte tenu des dettes encore en cours, Nauru et ses habitants ne profiteront plus jamais de leurs ressources naturelles.
La plus petite République du monde, en apparence semblable à des dizaines d’autres, est aujourd’hui une île complétement dévastée, qu'on a même envisagé d'abandonner en préparant l’exil de ses habitants. Pour l'heure, près de 9.000 personnes vivent encore sur l'île mais son avenir est compromis. Entre surexploitation écologique, faillite économique et hyperconsumérisme : l’histoire de Nauru est l’exemple parfait du rêve qui vire au cauchemar.
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