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L'article à lire pour comprendre l'épidémie de peste porcine qui sévit en Asie

Le virus de la peste porcine africaine s'est diffusé comme une traînée de poudre dans les élevages de porcs chinois depuis plusieurs mois. Franceinfo fait le point sur cette maladie qui provoque une montée des prix de la viande dans de nombreux pays. 

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Temps de lecture : 17min
Des porcs à Yunyang, dans la province de Chongqing (Chine), le 8 janvier 2019. (CHEN MEIMING / IMAGINECHINA / AFP)

"C'est la plus grande épidémie animale jamais vue sur la planète." La peste porcine africaine qui sévit en Asie inquiète un vétérinaire épidémiologiste de la City University de Hong Kong dans les colonnes du Guardian (en anglais), jeudi 6 juin. Cela fait pâlir, en comparaison, les épidémies de fièvre aphteuse et de vache folle", insiste-t-il. Franceinfo vous donne les clés pour comprendre cette épidémie aux conséquences mondiales.

C'est quoi, la peste porcine africaine ?

"La peste porcine africaine [PPA] est une maladie virale hémorragique qui touche exclusivement les porcs domestiques et les sangliers", explique sur son site l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Si l'on parle de "peste porcine africaine", c'est parce qu'elle a d'abord été découverte sur le continent africain. A l'origine, le virus de la PPA "est endémique dans une vingtaine de pays, du Sénégal au Kenya", explique Sciences et Avenir. On trouve sa trace pour la première fois au Kenya en 1921. "Les phacochères et potamochères, cousins sauvages du cochon, sont les hôtes naturels du virus", précise le magazine. Mais ce virus ne les rend pas malade. En revanche, cette maladie hautement contagieuse "se révèle généralement mortelle" pour les animaux d'élevage atteints, écrit l'autorité européenne pour la sécurité alimentaire.

Il faut distinguer cette maladie de la peste porcine classique (PPC). Celle-ci, "dans les formes graves", peut présenter des "manifestations cliniques [qui] ressemblent beaucoup à celles de la peste porcine africaine", explique l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) dans ce document PDF. La différence majeure est qu'il existe un vaccin contre la peste porcine classique, contrairement à la peste porcine africaine.

Quels sont les pays asiatiques concernés ?

La Chine est particulièrement touchée. La PPA est arrivée dans le pays aux alentours de la mi-2018, vraisemblablement via des sangliers venant de Russie. Ensuite, la propagation a été extrêmement rapide. En novembre, la maladie est constatée dans la région de Pékin. En décembre, elle a été trouvée dans celle du Sichuan, région du sud-ouest qui est la principale province productrice de porcs en Chine (65 millions par an).

Le dernier bulletin de la FAO indique que la totalité des provinces du nord et de l'est de la Chine, celles où l'on trouve le plus d'élevages, sont touchées. Les dernières apparitions de la maladie déclarées par la Chine se rapprochent de la frontière du Laos, dans le sud du pays, et l'épidémie a même atteint la grande île tropicale de Hainan.

Mais la Chine n'est pas le seul pays asiatique concerné. Le Vietnam, cinquième producteur mondial de porcs, est aussi touché. Des foyers ont également été détectés en Corée du Nord, en Mongolie et au Cambodge, comme le montre cette infographie de la chaîne économique Bloomberg, qui retrace la propagation de la PPA dans le monde.

Pourquoi l'épidémie est-elle plus virulente en Asie qu'ailleurs ?

La concentration de porcs sur le continent asiatique est énorme, facilitant la propagation de cette maladie très contagieuse. La Chine, par exemple, est le premier producteur au monde (55 millions de tonnes de viande porcine par an, soit 45% du total mondial). L'Agence des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) rappelle que le pays accueille "près de la moitié" des cochons vivant sur la planète dans un rapport (en anglais) publié le 9 mai. "La Chine est le marché déterminant de la viande de porc, il faut bien comprendre que 700 millions de porcs vivent au quotidien en Chine, contre 20 millions en France par exemple", souligne auprès de l'AFP Jean-Paul Simier, consultant en économie agricole et agroalimentaire.

Les mesures d'hygiène en Chine et dans les autres pays asiatiques sont également mises en cause. "Environ la moitié des porcs chinois sont élevés dans des exploitations familiales où ils mangent les restes alimentaires des éleveurs, qui sont potentiellement du porc contaminé", explique Sébastien Abis, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et directeur du club Demeter, un think tank international spécialisé dans les enjeux alimentaires mondiaux.

Un éleveur de porcs à Panggezhuang, dans la province de Hebei (nord-est de la Chine), le 8 mai 2019. (MARK SCHIEFELBEIN / AP / SIPA)

"Il y a également en Chine une importante circulation d'animaux", souligne auprès de franceinfo Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste à l'Institut de l'élevage, et co-auteur du livre La Chine au risque de la dépendance alimentaire (Presses universitaires de Rennes, 2017). Les consommateurs chinois aiment manger de la viande tout juste abattue, donc les animaux sont élevés à un endroit puis transportés à des centaines ou des milliers de kilomètres. Cette circulation d'animaux contribue, elle aussi, à la propagation de la maladie."

Selon l'expert, "l'inefficacité des services sanitaires", leur impréparation et le manque d'infrastructures peuvent également être mis en cause, en Chine comme dans les autres pays asiatiques touchés. C'est ce qu'illustre dans Le Monde Sun Dawu, patron d'une grande entreprise de production de viande dans le Hebei, province au sud de Pékin gravement touchée par l'épidémie. "Jusqu'en février, seuls trois laboratoires en Chine étaient autorisés à tester la grippe africaine, explique-t-il. J'ai dû envoyer mes carcasses à Qingdao [à 650 kilomètres de là] pour les faire analyser. C'est une grosse perte de temps, or la réactivité est la clé pour répondre à une épidémie."

La France est-elle concernée ?

La peste porcine africaine s'est aussi installée en Europe. Son virus "est en train de devenir endémique" dans "certaines parties de l'Europe de l'Est et dans certaines parties de l'Union européenne", selon Matthew Stone, le directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé animale. Sur le Vieux continent, l'épidémie est partie de Géorgie, en 2007, avant de gagner peu à peu les pays voisins.

Pour l'instant, la France est épargnée mais des cas ont été détectés en Belgique dès le mois de septembre 2018. Une zone blanche a rapidement été créée à la frontière franco-belge pour éradiquer des centaines de sangliers à problème dans ce périmètre. "Nous avons construit une barrière de 112 kilomètres infranchissable et nous avons fait un vide sanitaire total" entre la Meuse et les Ardennes, en tuant tous les sangliers dans cette zone et en interdisant les promenades en forêt, a expliqué le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, le 18 mai. L'armée a été mobilisée pour cette mission d'abattage.

L'armée française mobilisée contre la peste porcine
L'armée française mobilisée contre la peste porcine L'armée française mobilisée contre la peste porcine (France 2)

Mais l'hécatombe se poursuit et la menace est toujours présente. "La Belgique vient de trouver 657 sangliers morts atteints de la peste porcine africaine et le dernier est à deux kilomètres de la frontière", avait également indiqué Didier Guillaume.

Comment se transmet la peste porcine africaine ?

Le virus de la peste porcine africaine se transmet d'un animal à l'autre et peut aussi être disséminé par des personnes ou des aliments infectés. "Les suidés (porcs et sangliers) s'infectent par contact direct avec d'autres suidés infectés ou leur cadavre, par contact avec des sécrétions contaminées ou par ingestion de produits alimentaires fabriqués à partir de suidés infectés", explique la direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture dans un document PDF.

"Les cas sévères de la maladie se caractérisent par une forte fièvre et une évolution mortelle en 2 à 10 jours en moyenne. Le taux de mortalité peut atteindre 100%", décrit l'Organisation mondiale de la santé animale (en PDF). "Les souches modérément virulentes du virus donnent lieu à des symptômes moins intenses, bien que le taux de mortalité puisse aller jusqu'à 30 à 70%", précise-t-elle.

Est-elle dangereuse pour l'homme ?

Absolument pas. Elle ne menace pas la santé humaine, y compris si on mange de la charcuterie contaminée.

Alors pourquoi faut-il s'inquiéter ?

Ce sont les conséquences économiques qui sont redoutées et qui sont déjà visibles. Les autorités chinoises ont annoncé avoir tué un million de porcs depuis le mois d'août 2018, un chiffre sous-évalué, selon de nombreux experts. Cette campagne d'abattage a fait chuter la production chinoise de viande de porc de 30%. Dans le même temps, elle a fait grimper le prix d'achat d'un cochon vivant : +40% sur un an. Mais "une augmentation plus importante est attendue pour le second semestre de l'année 2019 en raison du manque de bêtes qui se fera sentir à cette période", relève auprès de franceinfo l'agroéconomiste Jean-Marc Chaumet.

La Chine, le premier consommateur mondial de viande porcine, est contrainte d'en acheter à l'étranger. Les importations en provenance de l'Union européenne ont augmenté de 20 à 30%. Une nette progression est également constatée à partir du Canada et du Brésil. Jean-Marc Chaumet rappelle que la Chine compte 1,4 milliard d'habitants et que si la production de viande porcine chinoise était réduite de moitié dans le pays, comme l'estiment certains analystes, la demande chinoise risque de drastiquement faire gonfler les prix.

Les autorités françaises sont en alerte car les conséquences d'une arrivée du virus en France seraient désastreuses. Si l'Hexagone est touché, "ce sont toutes les frontières qui se ferment, c'est l'effondrement d'une filière, ce sont 300 millions de pertes par an (...). Cela serait une vraie catastrophe pour l'élevage français, car cela voudrait dire une fermeture totale des frontières et l'effondrement des cours", avait prévenu Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, sur franceinfo, en janvier.

A l'échelle globale, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) "prévoit une baisse de la production mondiale de viande pour 2019, alors qu'elle était en croissance constante depuis vingt ans". Une tendance qui "devrait avoir un impact profond sur les prix alimentaires dans le monde entier pour les consommateurs", estiment des analystes de la banque néerlandaise Rabobank dans une note citée par Bloomberg (en anglais).

Le marché mondial de la viande porcine est touché, mais d'autres produits vont-ils en pâtir ?

D'après Jean-Marc Chaumet, la Chine pourrait involontairement déstabiliser de nombreuses filières dans plusieurs régions du monde. "En raison des interconnexions du marché mondial autour de la viande à l'heure actuelle, ce n'est pas seulement le marché du porc qui est affecté, commente Matthew Stone, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Face à la hausse du prix du porc, certains Chinois ont déjà commencé à modifier leurs habitudes alimentaires. Le Financial Times (en anglais) rapporte qu'"une partie des Chinois, pour qui le porc est devenu trop cher, cherchent déjà des alternatives et se tournent vers le poulet". Ce qui risque de tirer les cours vers le haut. "Les prix de la volaille augmentent à peu près tous les ans, mais il y a ce moment une tension [sur ces cours]", observe Jean-Marc Chaumet. Il n'exclut pas une augmentation des prix de la viande bovine si les Chinois reportaient leur consommation de viande de porc sur la viande de bœuf. Bref, selon lui, cette crise sanitaire pourrait déstabiliser plusieurs filières dans plusieurs régions du monde.

"L'incertitude crée un impact sur les marchés de la viande et des protéines animales, mais elle a même un impact sur les produits végétaux associés aux aliments pour animaux, tels que les marchés du soja", estime également Matthew Stone. Un avis nuancé par Jean-Marc Chaumet. Il relève que le prix du soja est très bas en ce moment à cause de la guerre commerciale entre Pékin et Washington, et que les prix des céréales ne risquent pas d'exploser sauf en cas de phénomènes météorologiques exceptionnels et de mauvaises récoltes.

Mais selon Jean-Marc Chaumet, il est encore trop tôt pour se prononcer sur les conséquences car il faut attendre d'observer l'évolution de la peste porcine africaine en Asie et le comportement des consommateurs asiatiques.

Comment endiguer l'épidémie ?

A l'heure actuelle, il n'existe ni traitement ni vaccin contre la peste porcine africaine. "Tant qu'elle ne concernait que l'Afrique, la communauté internationale s'est assez peu mobilisée pour combattre l'épizootie. Les laboratoires n'ont pas beaucoup investi pour élaborer un vaccin", rapporte L'Opinion (article payant), citant un spécialiste sous couvert d'anonymat.

"Nous dépendons donc totalement des dispositions relatives à l'abattage, constate Matthew Stone auprès de l'AFP. Il est très important que des processus humains de mise à mort des animaux et des méthodes sûres de mise au rebut et de décontamination sur ces lieux soient mis en place afin d'éviter toute contamination de l'environnement susceptible de propager l'infection chez les animaux sauvages", poursuit-il.

Tous les pays doivent renforcer leur sécurité biologique, tous les pays doivent réfléchir sérieusement à leur chaîne d'approvisionnement et à la gestion de la sécurité biologique.

Matthew Stone, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé animale

à l'AFP

Sauf que deux obstacles se dressent en Asie. Le premier est que le virus de la PPA est tenace. "C'est un virus très difficile à éradiquer. Il peut contaminer les sols, l'eau et la viande. Il y aura toujours un risque de réinfection tant qu'il y aura de la viande contaminée en circulation", a expliqué au Monde Christine McCracken, analyste à la Rabobank.

L'autre obstacle réside dans les habitudes des éleveurs. Il est "quasiment impossible" que la Chine parvienne à contenir l'épidémie, avance auprès du quotidien économique Les Echos Arlan Suderman, chez FCStone. "Les élevages de porcs sont en grande partie des petites exploitations familiales et les normes de sécurité réclamées par le gouvernement, comme l'installation de périmètres sanitaires autour des élevages contaminés, seront difficiles à mettre en œuvre", écrit le journal. Des réflexes qui ne sont "pas dans la culture des producteurs chinois, cela peut durer des années", avait commenté Guillaume Roué, le président de l'interprofession porcine française Inaporc, dans le même journal, en avril.

Selon des experts, un délai de deux à dix ans pourrait être nécessaire pour que le virus soit maîtrisé en Asie. "Pour l'instant, il est difficile de se prononcer. C'est le flou total", commente Jean-Marc Chaumet. Soit on trouve un vaccin, soit on n'en trouve pas. Et si l'on en trouve un, à quelle date ?" s'interroge-t-il. Une chose est certaine, selon lui : "Sans vaccin, cela sera extrêmement compliqué."

J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

La peste porcine africaine, hautement contagieuse et généralement mortelle pour les porcs d'élevage, fait des ravages en Asie depuis le mois d'août 2018. La Chine, premier producteur et premier consommateur de viande porcine, est particulièrement touchée. La maladie n'est pas dangereuse pour l'homme, mais ce sont les conséquences économiques du virus qui sont redoutées. La production de viande porcine en Chine pourrait être réduite de moitié, selon certains experts. Et l'importante demande chinoise risque de déstabiliser les marchés mondiaux en faisant grimper les prix non seulement du porc, mais aussi d'autres viandes, ainsi que des céréales.

Il n'existe pas encore de vaccin contre la peste porcine africaine et les experts estiment qu'il faudra entre deux ans et dix ans pour endiguer l'épidémie sur le continent asiatique. Suivre des règles d'hygiène strictes est le seul moyen de contenir la maladie en l'absence de vaccin, mais les infrastructures manquent cruellement sur le continent asiatique où les exploitations porcines sont souvent petites et familiales.

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