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Indonésie : l’alcool n'est pas en odeur de sainteté

La vente de bière est désormais interdite dans les petits commerces indonésiens. Mais les partis islamiques veulent aller plus loin et ont présenté une proposition de loi pour instituer une prohibition générale. Un exemple significatif de la montée de l’islam radical dans le plus grand pays musulman du monde.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Dans un restaurant d'un quartier touristique de Djakarta, le 15 avril 2015. Le client est prévenu qu'il ne peut pas acheter de boissons alcoolisées.

Le texte en cours d'examen au Parlement prévoit l'interdiction de la vente, de la consommation, de la production et de la distribution de boissons contenant plus de 1% d'alcool. 

Haro sur la bière
Première étape de cette interdiction: la vente de bière et d'autres boissons faiblement alcoolisées est prohibée depuis le 16 avril dans les petits commerces. La mesure concerne les 55.000 détaillants et 16.000 supérettes dont l'immense majorité ne vendait déjà aucun alcool fort en raison de la difficulté à obtenir les autorisations nécessaires. Les ventes pourront continuer à Bali, île à majorité hindoue.

Le ministère du Commerce a justifié la mesure par des raisons de santé publique et morales, sur fond d'inquiétudes provoquées par la consommation des mineurs. Le député Fahira Idris, fondateur du Mouvement national anti-alcool et ardent défenseur de l'interdiction, a estimé que l'alcool était une «machine à tuer les jeunes». «Nos bénévoles voient souvent des mineurs acheter facilement de l'alcool dans les petits commerces», a-t-il ajouté.

Mais d'importants brasseurs ont fait part de leur mécontentement. Cette interdiction est «regrettable», a ainsi déclaré le géant multinational de spiritueux Diageo, qui distribue des marques de bière populaires telle la Guinness en Indonésie, première économie d'Asie du Sud-Est. De son côté, l'Association des brasseurs d'Indonésie, qui représente la majorité des distributeurs de bière du pays, a estimé que la nouvelle loi se traduisait par une quasi-prohibition dans les petites villes, où les grands magasins sont rares.

Bouteilles de bière sur une plage de Bali le 16 avril 2015. (AFP - Sonny Tumbelaka)

Vers une prohibition totale
Avec le projet de loi déposé par des formations religieuses, l'interdiction risque de devenir générale. Ces formations reprennent, elles aussi, des arguments de santé publique. «La consommation d'alcool augmente, en particulier chez les jeunes, et elle menace leur avenir parce qu'elle provoque l'addiction et peut nuire à leur santé», estime le député Muhammad Arwani Thomafi, du Parti unifié du développement (PPP). Tout consommateur clandestin serait passible d'une peine de prison allant de trois mois à deux ans tandis que les trafiquants risqueraient jusqu'à dix ans d'enfermement.

Des autorisations pourraient être délivrées à l'occasion de certaines fêtes religieuses. De plus, les sites touristiques, à commencer par Bali, très apprécié des Occidentaux, seraient exemptés. Le tourisme est une activité importante dans le pays : en 2014, celui-ci accueilli 9,4 millions de voyageurs internationaux, soit une hausse de 7,2 % par rapport à 2013. A lui seul, le trafic de l’aéroport de Bali a progressé de 15%.
 
Par le passé, les partis islamiques d'Indonésie avaient déjà tenté, en vain, de mettre en place une telle interdiction dans ce pays à majorité musulmane. «L’alcool apporte plus d’inconvénients que d’avantages», expliquait alors le Front des défenseurs islamiques. Quant au Conseil des savants d’Indonésie, il affirmait que les boissons étaient l’une des sources de la criminalité.

L'Indonésie est, par sa population, le plus grand pays islamique du monde : 90% de ses 250 millions d’habitants sont musulmans. Une majorité d'entre eux pratiquent un islam modéré et la plupart (75% des hommes et 90% des femmes) ne boivent pas d’alcool, en général consommé par les touristes. D'une manière générale, les Indonésiens sont parmi les les plus faibles consommateurs de boissons alcoolisées par habitant en Asie du Sud-Est.

Des femmes membres de la Wilayatul Hisbah, la police de la charia, écoutent des instructions d'un supérieur à Banda Aceh (Sumatra) le 6 décembre 2012. Elles sont notamment chargées de pourchasser les couples non mariés dans les parcs et sur les plages.

Radicalisation
Au-delà, cette nouvelle interdiction s’inscrit dans un mouvement général de montée de l’islam radical dans le pays. En 2002, un double attentat, attribué au groupe Jemaah Islamiyah, lié à Al Qaïda, avait tué 202 personnes à Bali, principalement des touristes occidentaux, révélant «à la face du monde l’existence des djihadistes indonésiens», note RFI. Sur la période 2000-2010, 55 extrémistes ont été tués et 583 autres arrêtés, selon des chiffres officiels.

«Bien qu’extrêmement minoritaire (…), cette frange radicale est incroyablement active sur les terrains politique et médiatique», observait déjà en 2010 le journal francophone en ligne La Gazette de Bali. Trois ans plus tard, en 2013, Géopolis relatait les persécutions religieuses touchant les confessions minoritaires comme le chiisme ou le christianisme, «victimes de nombreuses intimidations de la part d’extrémistes sunnites, tacitement soutenus par les autorités locales».

L’islam n’est pas une religion d’Etat. Mais d’une manière générale, «les références à la religion se font de plus en plus fréquentes et nombreuses dans la vie politique et sociale. On observe un renouveau de la pratique religieuse, alors que le gouvernement a encouragé la construction de mosquées. L'observation des rites se fait plus rigoureuse, le port du foulard se généralise, y compris chez les jeunes, le pèlerinage à La Mecque attire chaque année un nombre grandissant de fidèles», constatait déjà en 1998 un rapport du Sénat français.

Apparemment, ce mouvement a été renforcé par une loi d’autonomie régionale datant de 1999. De nombreuses provinces ont ainsi «fait passer des ordonnances locales inspirées de la charia, la loi coranique. Celles-ci régissent la morale et les comportements privés des concitoyens, au plus grand mépris de la constitution indonésienne et du principe national fondateur du Pancasila, qui met en avant la liberté individuelle et donc la liberté religieuse», note La Gazette de Bali
 
Selon cette source, dans la province de Gorontalo (péninsule nord de l’île de Sulawesi), un texte interdit «aux hommes et femmes non mariés de se retrouver ensemble dans des lieux et à des moments inappropriés selon la norme musulmane et la décence». A Sumatra-Ouest, une ordonnance oblige «les individus à indiquer aux autorités tous les comportements considérés comme immoraux». A Padang (Sumatra), pour accéder à l’enseignement secondaire, un élève doit posséder un «diplôme de lecture du Coran».

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