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Australie : le "continent du feu" peut-il se remettre des incendies géants qui ont dévoré des millions d'hectares ?

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le ciel rougi par la fumée des feux de brousse, autour de Cooma, en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), le 4 janvier 2020. (SAEED KHAN / AFP)

L'Australie est habituée aux incendies, mais les feux de ces derniers mois ont perturbé certains écosystèmes qui pourraient ne pas s'en remettre.

Le bilan est sans précédent. Les incendies qui ravagent le sud-est de l'Australie depuis septembre ont réduit en cendres plus de 10 millions d'hectares. Avec la destruction de ces milieux, Chris Dickman, professeur à l'université de Sydney, a estimé que les flammes avaient tué plus d'un milliard d'animaux (lien en anglais). Des scientifiques français font grimper ce terrible constat à un million de milliards, en y ajoutant la "biodiversité invisible", comme les parasites, et celle "discrète", constituée des "amphibiens et d'autres animaux, comme les mollusques et les arthropodes".

Alors que les pompiers australiens ont annoncé, lundi 13 janvier, avoir réussi à maîtriser le plus important "méga-feu" du pays en Nouvelle-Galles du Sud, habitants, associations et scientifiques commencent à envisager "l'après". Le lent processus de guérison semble déjà avoir commencé : fin décembre, "la vie émergeait à travers l'écorce calcinée" de certains arbres touchés à Kulnura, au nord de Sydney, remarquait un photographe dans une publication repérée par la BBC (lien en anglais).

"L'Australie est le continent du feu", explique Eric Rigolot, directeur de recherche spécialisé dans les feux de forêts à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Ses forêts sont habituées aux flammes. "Elles ont subi des incendies fréquents, depuis des dizaines de millions d'années", confirme à franceinfo Kimberley Simpson, chercheuse en écologie des feux à l'université de Sheffield (Royaume-Uni). "Cette pression a poussé les plantes à développer la capacité de se remettre d'un feu."

De nouvelles feuilles en quelques semaines

Protégés de la chaleur par l'écorce de l'arbre, des bourgeons épicormiques, dits "gourmands", peuvent ainsi rapidement germer sur les troncs de nombreuses espèces d'eucalyptus. En quelques semaines à peine, de nouvelles feuilles vont donc apparaître dans ce paysage noirci. Les sols aussi vont à nouveau verdir. Des milliers de graines d'arbustes et d'herbacés reposent sous la terre et attendent d'être réveillées par le passage, bien connu dans la région, des flammes. "Les conditions sont optimales pour les semis", assure Kimberley Simpson. Les flammes ayant détruit la canopée, "la lumière est abondante". Quant aux cendres, elles "contiennent des tas de nutriments".

Les oiseaux de proie, comme les aigles, seront les premiers animaux à s'aventurer dans ces zones brûlées, à la recherche de cadavres pour se nourrir. "Suivront ensuite les lézards, les kangourous et les wallabys, une fois la pluie revenue et l'herbe verte", décrit Stuart Blanch, spécialiste de la déforestation et la reforestation au sein de l'ONG WWF Australia. Les premières pluies sont tombées sur certains foyers, vendredi 17 janvier. Les animaux ne devraient donc pas tarder à apporter avec eux de nouvelles graines pour rétablir un écosystème, complet au bout de plusieurs années. En théorie.

Aucun incendie passé "n'a été si dévastateur"

Cette renaissance des forêts après un incendie a été observé de multiples fois en Australie. "Je vais avoir 50 ans. Dans ma vie, j'ai vu des très gros incendies : 1983, 2003, 2008, 2018…", se souvient Stuart Blanch. Cette fois-ci, il ne cache pas son inquiétude : "Aucun d'eux n'a été si important, si vaste et si dévastateur pour la faune et la flore."

Ce qu'on est en train de connaître est assez inédit. Ça pose de nombreuses questions sur la capacité des espèces à s'en remettre.

Eric Rigolot, directeur de recherche à l'INRAE

à franceinfo

Depuis septembre, le feu a dévoré des zones habituellement épargnées, comme les forêts tropicales des parcs nationaux de Japoon ou de Lamington, dans le Queensland. "Les espèces qui y vivent ne se sont pas adaptées à de telles perturbations", alerte Kimberley Simpson. Il s'agit d'une flore "là depuis toujours" et "irremplaçable" au feuillage "très dense qui forme une canopée épaisse, préserve les sols de l'évaporation et empêche le vent de s'engouffrer", complète Rod Fensham, biologiste de l'université du Queensland, pour Le Monde (article payant). La guérison de ces milieux, si elle est possible, pourrait durer "beaucoup, beaucoup d'années", prévient Kimberley Simpson. Un répit qu'ils n'auront peut-être pas.

Des arbres trop jeunes face aux futurs feux

En raison du réchauffement climatique, les records de températures s'accumulent en Australie, comme le montre Météo France, et plongent le pays dans de longues sécheresses, qui se répètent. "Ces feux vont se reproduire régulièrement. Dans 3, 5 ou 10 ans, on risque de connaître les mêmes gigantesques incendies. A ce moment-là, les arbres seront trop petits, aussi petits que mon bras peut-être", s'inquiète Stuart Blanch. Ils n'atteindront peut-être pas la majorité nécessaire à leur survie. "Cela risque de tuer la forêt."

Une forêt des Montagnes bleues (Australie), brûlée dans les incendies, le 18 décembre 2019. (SAEED KHAN / AFP)

Des forêts australiennes, on passera ainsi à "un matorral, ces territoires secs, voire désertiques", comme peut l'être la garrigue, prévient Eric Rigolot. Dans ces espaces clairsemés, nombre d'espèces ne retrouveront plus leur habitat naturel.

Beaucoup d'animaux risquent de ne plus jamais revenir, ceux qui vivent dans les vieux eucalyptus, par exemple. Il leur faudrait 200 ans pour retrouver leurs lieux de vie habituels. Certaines espèces ne tiendront peut-être pas jusque là.

Stuart Blanch, du WWF Australia

à franceinfo

C'est la crainte de la communauté scientifique. Sur le site The Conversation (en anglais), des chercheurs estiment qu'entre 20 et 100 espèces menacées se sont rapprochées un peu plus de l'extinction. Les auteurs de l'article citent le koala, le potorou à longs pieds (un petit marsupial), le cacatoès de Latham ou encore la souris marsupiale de l'île Kangourou, des espèces classées comme "vulnérables" ou "en danger critique d'extinction" sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Un koala mort dans les incendies qui ravagent l'Australie, le 7 janvier 2020 sur l'île Kangourou. (STRINGER / REUTERS)

Reconstruire ou non ?

Autant d'alarmes qui ne seront peut-être pas la (seule) priorité. En effet, plus de 2 000 maisons ont été détruites, laissant de nombreux Australiens sans domicile. "Le chemin sera long, mais nous serons aux côtés des populations au cours de chacune des étapes de la reconstruction", a promis le Premier ministre australien Scott Morrison.

Les ingénieurs s'évertuent à imaginer les villes de demain, plus résistantes, comme le rapporte le Financial Review, quotidien économique australien (en anglais). "Il est important de reconstruire, mais reconstruire mieux", défend à son tour Richard Thornton, directeur du Centre de recherche national sur les feux de brousse et les risques naturels (CRC). "Il est peut-être mieux de ne pas reconstruire nos maisons, routes, ponts et autres infrastructures dans certaines zones, en raison du risque trop élevé."

Quant à aider la nature à renaître de ses cendres, "on ne sait même pas encore l'impact exact sur la faune et la flore", déplore Stuart Blanch, qui estime que des années d'études seront nécessaires pour comprendre toutes les conséquences de ces récents incendies. L'action humaine n'aurait, enfin, qu'une utilité limitée : "Sur ces dimensions de feux, une réelle action humaine demanderait des moyens considérables", soupire Eric Rigolot.

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