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Hervé Ghesquière : "penser à la vraie vie pour ne pas crever"

L'ex-otage en Afghanistan Hervé Ghesquière, de retour dans sa région d'origine, le Nord-pas-de-Calais, a raconté plus en détail sa captivité et les circonstances dans lesquelles ils ont été faits prisonniers par les talibans. Récit de 18 mois passés à survivre et à espérer.
Article rédigé par franceinfo
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Il a retrouvé sa mère de 84 ans, et sa région d'origine, le Nord-pas-de-Calais. Conduire sa voiture, écouter de la musique, profiter de la présence de ses proches, ce sont les plaisirs qu'il dit aujourd'hui prendre. Il a aussi raconté plus en détail ses 547 jours de captivité, dans la vallée afghane de la Kapisa, avec son confrère Stéphane Taponier et son accompagnateur Reza. A moins de 100 km de Kaboul.

Le 30 décembre 2009, il assure que la sortie de l'équipe avait été “la mieux préparée” de leur mission en Afghanistan. Ils avaient passé trois semaines avec les troupes françaises quand ils décident d'aller filmer quelques plans de “l'axe Vermont”, une route que les militaires font goudronner, dans l'idée d'en faire une rocade pour Kaboul : “Ce n'était pas une enquête d'investigation à proprement parler. Mais on voulait quelques plans, que ça ait de la gueule, que l'on ne voie pas seulement l'aspect militaire avec les soldats français”, se souvient le journaliste.

“On a pris des précautions parce qu'on sait qu'il y a des risques. Il n'y a pas de risque zéro dans notre métier”. Des précautions sur l'apparence, notamment : “On a une Corolla blanche (voiture la plus répandue en Afghanistan), on est habillés en Afghans avec des patous (couverture de laine portée sur l'épaule), des pakols (couvre-chef en laine)”.

Un goût d'Apocalypse

Partis tôt le matin, ils filment des ouvriers sur le chantier. Puis ils rencontrent deux barrages de l'armée afghane. Ils demandent si des opérations militaires sont en cours plus loin. Les Afghans ne savent pas. “On a appris deux semaines plus tard qu'on avait été donnés par un taliban infiltré au premier check-point. Il y avait deux dispositifs plus loin pour nous attraper”, raconte Hervé Ghesquière.

Plus loin, ils rencontrent un blindé français de la Légion étrangère en faction : “le légionnaire nous dit qu'ils n'ont pas été plus loin.
On réfléchit, puis on avance et on filme le début de la route bitumée”. Ils arrivent alors au village d'Omarkehil : “Il y a de la poussière, une lumière très blanche, très belle, un goût d'Apocalypse, quand on voit un homme hésiter à traverser”. Il se retourne et brandit une kalachnikov. C'est un taliban. D'autres arrivent, le piège s'est refermé.

Ils sont amenés dans une mosquée. “Vous êtes des espions de l'armée française”, assène le mollah. Durant les 18 mois suivants, ils seront promenés de maison en maison. Des “cachots sordides” parfois, des “grandes pièces lumineuses et glaciales d'autres fois”. En janvier et en juillet 2010, ils parlent avec les négociateurs français : “On va vous sortir de là très rapidement”, dit l'un d'eux la première fois.

“Vas-y, tire !”

Pour éviter de sombrer dans la mélancolie, Hervé Ghesquière découpe sa journée toujours de la même façon : écoute d'un petit transistor radio cinq heures par jour, surtout la BBC, deux tranches de 30 minutes par jour, deux siestes, puis écriture de son journal, que les talibans confisqueront : “Je parlais à voix haute toute la journée. J'étais d'accord avec moi-même, enfin pas toujours. Tu te dédoubles, tu fais des projets ... Si tu ne penses pas à la vraie vie, tu crèves”. Au début, il songe à s'évader, puis renonce, face aux risques pour son confrère et son interprète, au risque pour les négociations, et puis le projet semble irréaliste : “J'étais seul et je ne parle pas la langue. Je ne savais pas où j'étais et les talibans sont partout”.

Pendant huit mois, il est seul, ou pire que seul parfois, quand il est confronté à l'un de ses geôliers. Les relations entre les deux hommes tournent vite à la confrontation. “Dranak” est le frère d'un chef taliban, un “parano, un toxique”, même “les autres talibans ne l'aimaient pas”. Par trois fois, ils manquent d'en venir aux mains. A cause d'un rideau tiré, de son refus d'uriner dans la maison. L'Afghan pointe sa kalachnikov sur lui : “Vas-y, tire, tes chefs ne vont pas aimer”, lui balance un jour Hervé Ghesquière. Le geôlier arme. “Vas-y, tire”, répète le journaliste. L'intervention de son interprète fera baisser la tension. Une autre fois, les deux hommes s'agrippent par le col : “On se serre, tremblant de rage”. Le journaliste pense à le “soulever”, et à l'embrocher “comme le héros du film Midnight Express” , qui tue son geôlier turc contre un porte-manteau.

Rester discret

Aujourd'hui, dans les rues, les gens l'abordent, lui parlent, mais Hervé Ghesquière a hâte de retrouver l'anonymat : “Pour être un journaliste d'investigation, il vaut mieux pouvoir être discret”.

La page n'est sans doute pas tournée pour lui, comme pour de nombreux otages qui sortent de leur calvaire. D'autant que l'Afghanistan reste au cœur de l'actualité. Soixante-trois soldats français y ont été tués. Difficile aussi de ne pas penser aux nombreux otages à travers le monde, notamment huit Français : quatre salariés d'Areva enlevés au Niger, un officier de la DGSE enlevé en Somalie et trois humanitaires enlevés au Yemen.

Grégoire Lecalot, avec agences

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