Arabie saoudite : pourquoi le vote des femmes est un progrès en trompe-l'œil
Pour la première fois, les Saoudiennes peuvent non seulement se rendre aux urnes, mais aussi se présenter à une élection. Difficile, pourtant, de parler d'une grande avancée.
Des élections historiques. Les femmes peuvent voter et se faire élire pour la première fois en Arabie saoudite, lors des élections municipales organisées samedi 12 décembre. Le royaume ultra-conservateur était un des derniers pays au monde à refuser aux femmes le droit de vote. Il est pourtant difficile de parler de grande avancée. Francetv info vous explique pourquoi.
Parce qu'elles auront du mal à voter et à être élues
Les Saoudiennes ne sont que 900 à se présenter pour siéger dans les 284 conseils municipaux du pays, des assemblées chargées des rues, des parcs ou du ramassage des ordures. Les hommes, eux, sont environ 6 000. "Ce n'est pas étonnant", selon le politologue Abdel Mottaleb El Husseini, interrogé sur le site d'Arte. "La femme est considérée légalement comme une mineure en Arabie saoudite. Autrement dit, pour pouvoir exercer un mandat, elle doit demander l'autorisation à son mari", explique-t-il.
Pour faire campagne, c'est aussi compliqué. Preuve en est ce reportage de France 2, tourné lors du meeting d'une candidate. Cette dernière dévoile son programme cachée derrière un paravent. Pendant ce temps, les hommes, assis, l'entendent, mais ils ne la voient pas. Elle avait peur d'être disqualifiée si elle passait à la télévision avant le vote.
Un autre chiffre est parlant : seules 130 600 femmes se sont inscrites sur les listes électorales pour le scrutin de samedi, soit environ dix fois moins que les hommes, selon des chiffres officiels cités par l'AFP. Sur les 1 263 bureaux de vote, 424 leur seront réservés. Encore faut-il qu'elles puissent se déplacer pour glisser un bulletin dans l'urne. Car les femmes restent soumises à de nombreuses restrictions, comme l'interdiction de conduire. Ce qui pourrait empêcher une partie des électrices de se rendre dans les bureaux de vote.
Ainsi, Oum Mohammed, une habitante à la frontière du Koweït, indique à l'AFP qu'elle ne pourra y aller que si son mari l'y amène ou si elle loue avec d'autres habitantes une voiture avec chauffeur. En outre, cette quadragénaire est déjà sûre de voter pour un homme, même si ses filles ont participé à la campagne d'une candidate.
Parce que même élues, elles n'auront que peu d'influence
Les chances de voir élue une Saoudienne sont donc minces. Mais certaines veulent y croire. "La participation à ces élections était un rêve pour nous toutes. Cela nous permettra d’avoir notre mot à dire dans le processus de prise de décision", affirme Jamal Al-Saadi, une femme d'affaires, au journal anglophone Saudi Gazette, citée par Géopolis le 31 août. "La femme aura un rôle actif à jouer au sein des conseils municipaux. Elle a un avis et une voix en conformité bien sûr avec la charia [loi canonique islamique]", insistait au même moment Abdallah Al-Askar, le président du comité exécutif des élections municipales.
Contactée par francetv info, Amélie Le Renard, sociologue et auteure de Femmes et espaces publics en Arabie saoudite (éd. Dalloz), est dubitative : "Les personnes élues n'auront pas le pouvoir de faire grand chose." "Mais cela est valable pour les femmes comme pour les hommes. Aucun conseil municipal n'a le pouvoir d'imposer des décisions. C'est un conseil consultatif", souligne-t-elle. Autrement dit, le pouvoir reste entre les mains du roi. "Le gouvernement saoudien n'est pas élu : le régime ne repose pas sur des élections", ajoute-t-elle. C'est une monarchie absolue islamique.
Les rapports hommes-femmes ont peu de chances d'évoluer avec l'élection de femmes dans les conseils municipaux. Au sein de la société, les clivages entre hommes et femmes restent marqués. La mixité est toujours interdite dans les lieux publics, tout comme l'obligation d'avoir un tuteur masculin. Sans compter le poids des interdits religieux, qui pèse encore, comme l'illustre ce reportage d'"Envoyé spécial" diffusé le jeudi 10 décembre.
Parce que c'est surtout un geste symbolique
"Je suis convaincue que les femmes sont sur la bonne voie en Arabie saoudite", insiste de son côté Lama Al-Sulaïman, candidate à Ryad, interviewée par Géopolis. Cette Saoudienne, doctorante en biochimie, diplômée du prestigieux King’s College de Londres (Royaume-Uni), est une pionnière. Avant de se lancer dans la bataille électorale pour les municipales, elle a été la première femme à être élue en 2009 vice-présidente d'une chambre de commerce.
Mais pour Amélie Le Renard, certaines de ces femmes qui appartiennent aux élites économiques "participent à la stratégie de communication du régime saoudien". "Après les attentats du 11-Septembre, le gouvernement a multiplié les gestes pour améliorer son image. Sur la situation des femmes, il opère des changements limités mais visibles, en particulier par les pays occidentaux", analyse la sociologue.
Le roi Abdallah avait incarné ce processus d'ouverture, à travers notamment la nomination en 2013 de femmes au sein de la Choura, l'organe consultatif officiel de l'Arabie saoudite. Mort le 23 janvier, il avait commencé dès son arrivée au pouvoir, en 2005. "Le roi Abdallah s'était entouré de femmes dans ses délégations, par exemple des femmes appartenant aux milieux d'affaires, structurellement alliés au gouvernement saoudien", explique Amélie Le Renard. "Dans la société saoudienne, les femmes vivent des formes de subordination qui leur sont propres, mais qui diffèrent selon l'appartenance de classe", poursuit-elle.
L'Arabie saoudite laisse donc des femmes se présenter aux élections municipales, mais pas toutes. Trois candidates, connues pour être des militantes, ont été écartées, recense Amélie Le Renard. France 2 a rencontré Loujain Al-Athloul, candidate disqualifiée. Pour s'être filmée au volant d'une voiture, elle a fait 73 jours de prison. Elle espère surtout gagner un jour le droit de conduire, toujours interdit. "Il est compliqué de parler d'avancée pour ces élections avec un régime aussi répressif et verrouillé", résume Amélie Le Renard.
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