: Vidéo "Ils veulent nous rendre aveugles" : au Chili, des manifestants éborgnés dénoncent les violences policières
La crise sociale sans précédent qui secoue le Chili depuis plus d'un mois a fait 23 morts, dont cinq à la suite de l'intervention des forces de l'ordre, et plus de 2 000 blessés.
Manuel Véliz se rendait à Santiago pour chercher un travail lorsqu'il a vu une foule de personnes s'agiter près du métro où il se dirigeait. Des policiers étaient en train de lancer des bombes lacrymogènes contre les manifestants quand il a senti sur son visage un lourd et douloureux impact. "J'ai vu du sang couler au sol, je savais que ça ne servait à rien de crier, raconte le jeune homme de 21 ans, habitant du quartier de Cerro Navia, en périphérie de la capitale chilienne. J'ai tenté de contenir le sang qui coulait de mon œil tant bien que mal." Encore en état de choc, il fait partie des plus de 300 personnes blessées à l'œil depuis le début de la contestation au Chili, le 18 octobre. Franceinfo est allé à leur rencontre.
Fabian Leiva est, lui, un habitué des manifestations. Militant du Parti socialiste et employé d'une entreprise de transport, il a reçu trois munitions tirées par la police alors qu'il marchait sur l'avenue principale de la capitale, la Alameda. "Alors qu'on se dirigeait vers le haut de la place, on a vu des rangées de policiers qui nous attendaient. Ils s'étaient préparés à nous affronter et avaient commencé à lancer des bombes lacrymogènes, raconte ce Chilien de 30 ans, depuis son lit d'hôpital. Nous étions en train d'écarter les plus jeunes de la tête de cortège quand j'ai senti un coup à la tête. Je me suis rendu compte que j'avais la lentille cassée et l'œil en sang."
"Je vais devoir porter une prothèse"
"J'étais en train de courir pour rejoindre un ami, quand un camion de police est arrivé en lançant de l'eau sur les manifestants", raconte de son côté Natalia Aravena, une infirmière de 25 ans. Sur le moment, les manifestants sont "pacifiques", assure Natalia. Elle se retourne, entend un tir et sent alors l'impact directement sur son œil droit.
J'ai d'abord senti que j'avais mal à la tête, du front à la lèvre supérieure. Tout était enfumé autour de moi à cause du gaz lacrymogène.
Natalia Aravenaà franceinfo
A l'hôpital, les médecins lui font passer une série d'examens avant de l'envoyer vers un établissement spécialisé dans les lésions oculaires. Au réveil d'une opération, on l'informe que son œil a perdu toute sa structure interne et qu'elle doit en subir une nouvelle. "Ils m'ont mis un implant. Je suis encore en train de récupérer. Je vais ensuite devoir porter une prothèse oculaire qui remplacera mon œil perdu. Elle coûte environ 400 000 pesos chiliens (424 euros)." Un coût très élevé que Manuel, lui, ne peut pas assumer. "Je ne sais pas quoi faire, pour le moment je me concentre sur les soins de cicatrisation", confie-t-il.
Des munitions aussi dures "qu'une roue de skate"
Selon l'Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, cité par CNN (en espagnol), ces blessures sont principalement causées par des tirs de "chevrotines", "mais aussi d'autres armes, comme les bombes lacrymogènes".
La police affirme que ces munitions sont en caoutchouc mais, selon une étude de l'université du Chili, elles sont constituées de 20% de caoutchouc et de 80% de silice, de sulfate de baryum et de plomb, ce qui les rend aussi dures "qu'une roue de skate". A la suite de cette étude, la police a annoncé suspendre leur utilisation. Elles ne pourront désormais plus être utilisées dans les manifestations que "comme mesure extrême et exclusivement pour la légitime défense lorsqu'il existe un danger imminent de mort", a précisé le chef de la police, Mario Rozas.
Plusieurs ONG ont dénoncé "de graves violations des droits humains de la part de la police". Le directeur pour les Amériques de l'ONG Human Rights Watch a affirmé avoir reçu des centaines de plaintes concernant "un usage excessif de la force dans les rues et des abus contre des détenus".
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