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Reportage Investiture de Javier Milei en Argentine : derrière l’ultralibéralisme, le négationnisme et la répression ?

Javier Milei, électron libre au discours agressif, s’installe dimanche à la tête de l'Argentine.
Article rédigé par Olivier Poujade
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Javier Milei au balcon du ministère argentin des Affaires étrangères à la veille de son investiture à la présidence de la République, le 9 décembre 2023. (MATIAS CAMPAYA / MAXPPP)

Javier Milei arrive au pouvoir en Argentine dimanche 10 décembre avec en poche une série de mesures radicales, que 56% des Argentins ont jugé nécessaires. Lui-même affirme que le choc ultralibéral qu’il prévoit pourrait faire basculer 90% de la population dans la précarité. Les interrogations portent notamment sur la remise en question de certains droits et sur l’important travail de mémoire, qui a été fait en Argentine depuis la fin de la dictature. Les signaux envoyés par Javier Milei, comme le profil des personnes qu’il a choisies pour gouverner à ses côtés, donnent quelques indications sur les orientations du nouveau président.

En haut de la liste se trouve la vice-présidente Victoria Villaruel. Elle est très proche de Vox, le parti d'extrême droite espagnol, et elle est la fille d’un colonel actif pendant la dictature. Sa présence inquiète forcément tous ceux qui se battent depuis près de 40 ans pour retrouver les disparus du régime militaire, comme Miguel Santucho : "Le discours du parti militaire, représenté par la vice-présidente Villarouel, a pour objectif de modifier l’image de l’armée. On dit qu’ils sont négationnistes, mais c’est bien pire, parce qu’ils cherchent à légitimer le terrorisme d’État, explique le militant. Quand ils parlent de 'simples excès' en évoquant la dictature, comme l’a fait Milei pendant le débat présidentiel, c’est exactement ce que disaient les généraux au moment du procès de la junte."

"Ils reprennent les mots des génocidaires, c’est bien pire."

Miguel Santucho, défenseur des droits de l'homme argentin

à franceinfo

Rodolfo Barra est une autre personnalité controversée sur laquelle compte s’appuyer le nouveau président. On prête à cet ancien membre de la Cour Suprême un passé sulfureux de militant au sein d’une organisation néonazie. Les militantes pro-avortement le connaissent bien. Car Rodolfo Barra a dépensé beaucoup d’énergie pour se mettre en travers de leur route, avant qu’elles n’obtiennent en 2020, le vote d’une loi complète sur l’interruption volontaire de grossesse.

Pour Martha Rosenberg, cofondatrice d’une campagne pro-avortement, le retour de Rodolfo Barra n’est pas une bonne nouvelle : "Rodolfo Barra a présenté 14 fois une clause pour pénaliser tous les types d’avortement, elle a toujours été rejetée. Bref il est revenu à la charge de nombreuses fois, rappelle-t-elle. Et aujourd’hui Barra sera le procureur général de la nation, c’est pour moi une attaque évidente", se désole Martha Rosenberg.

Les opposants à Javier Milei sur le qui-vive

Les défenseurs des droits de l'homme sont sur la défensive avant même le début du mandat de Javier Milei. ll faut dire que le nouveau président a déjà choisi de supprimer des ministères qui leur étaient chers, comme celui des Femmes. Et on ne sait encore ce que va devenir le secrétariat d’État aux droits de l’Homme. Javier Milei a promis de s’attaquer à tous ces secteurs de la société. Les militants des droits humains commencent à se mobiliser aux côtés des Mères de la Place de Mai, l'association créée pendant la dictature militaire argentine par les mères cherchant leurs enfants disparus.

Des membres de l'association des mères de la place de mai rendent hommage aux victimes de la dictature argentine entre 1976 et 1983, le 7 décembre 2023 à Buenos Aires. (JUAN MABROMATA / AFP)

Matias manifeste sur cette place, symbole de la contestation dans la capitale argentine. Il est très remonté, parce que selon lui, Javier Milei a déjà trahi l’une de ses promesses : celle d’éliminer la "caste politique", ces barons installés depuis de longues années sur la scène politique argentine. Le nouveau président a dû s'allier au parti de l’ancien président Mauricio Macri à la droite traditionnelle, pour former une coalition du gouvernement.

La future ministre de la Sécurité Patricia Bouleritch appartient à cette droite traditionnelle depuis plus de 20 ans. "Patricia Bouleritch était ministre du Travail pendant l’explosion sociale de 2001, rappelle Matias, elle a baissé les salaires, il y a eu des licenciements et de la répression. Patricia Bouleritch a été ministre de la Sécurité en 2017, elle a commencé avec un bilan de 40 morts en envoyant les forces de l’ordre contre une manifestation dans une province du nord. C’est une main de fer. Et maintenant elle revient, toujours ministre de la Sécurité, avec la même politique dans un gouvernement d’extrême droite, encore plus violente", insiste Matias.

"On doit se tenir prêts à résister."

Matias, opposant à Javier Milei

à franceinfo

Il y a beaucoup d’inquiétudes, beaucoup de spéculations aussi sur la méthode que choisira Javier Milei pour faire passer ses réformes. Mais la majorité des Argentins a décidé de parier sur cet anarcho-libertarien, ancien agitateur politique sur les plateaux de télévision, titulaire de deux masters en économie pour remettre sur pied un pays dévasté par la crise.

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