Pérou: les Noirs, population discriminée
Au pays de l’Eldorado, il y a un proverbe qui dit : «El que no tiene de Inga tiene de Mandinga», ce qui signifie à peu près : «Tout Péruvien a du sang indien ou africain». En clair, la population péruvienne est métissée, mélange d’Amérindiens, d’Européens, d’Africains, de Chinois, de Japonais… Selon des données (peu fiables), les descendants d’esclaves noirs, historiquement concentrés sur la côte Pacifique, notamment à El Carmen (à 180 km au sud de Lima, la capitale), constitueraient quelque 10 % de la population.
En dépit de cette diversité, le Pérou «reste un pays terriblement raciste», juge Wilfredo Ardito, avocat et professeur de droit à l’Université catholique du pays. «Le racisme ordinaire est une réalité quotidienne», confirme La Croix.
Les préjugés racistes sont notamment véhiculés par une certaine presse. «Celle-ci reprend les expressions populaires et compare les Noirs à des gorilles, des punaises, des étalons», précise Monica Carrillo, du mouvement de défense des Afro-Péruviens Lundu, cité par La Croix. Dans ce contexte, la population noire, dont la cohabitation avec les communautés amérindiennes a toujours été difficile aux dires des spécialistes, continue à subir de multiples ségrégations.
A commencer par l’emploi. «Pour beaucoup de touristes qui visitent le Pérou, le portier de leur hôtel est probablement le premier Afro-Péruvien qu’ils rencontrent», constate Le Guardian. Les Noirs sont également souvent confinés dans les postes de chauffeurs et… de porteurs de cercueils. «Certains de nos clients demandent spécifiquement des porteurs noirs, ce qui donne du prestige à un enterrement», explique un propriétaire d’une entreprise de pompes funèbres cité par Le Point…
«Ces représentations sociales qui confinent les descendants d'Africains à certains emplois serviles remontent à l'esclavage et l'époque coloniale», rétorque Rocio Munoz, spécialiste d'études afro-péruviennes et chercheuse auprès du ministère péruvien de la Culture. «Bien que nous vivions dans une société démocratique, ces modèles n'ont pas changé. Les morts sont toujours portés sur les épaules des Noirs, comme c'était le cas à l'époque coloniale», ajoute-t-elle.
Confinée souvent à des emplois subalternes, les Afro-Péruviens appartiennent aux couches les plus défavorisées de la population du pays. En 2004, selon une enquête partielle citée par l’AFP, plus de 35 % des Afro-Péruviens vivaient en-dessous du seuil de pauvreté et 4% dans des conditions de pauvreté extrême.
Pour autant, depuis quelques années, les autorités ont mis en place des politiques volontaristes pour tenter d’améliorer le sort de cette population. En 2009, le président d’alors, Alan Garcia, a ainsi présenté les excuses de son pays pour les siècles «d’abus, d’exclusion et de discrimination». Son successeur, Ollanta Humala a, lui, promis l’«intégration sociale pour tous». A titre d’exemple, il a nommé pour la première fois un ministre noir, en l’occurrence une ministre, la chanteuse Susana Baca. Laquelle n’est restée que cinq mois à son poste…
De son côté, la Défenseure du peuple, l’équivalent péruvien de la Défenseure des droits, reconnaissait en 2011 dans un rapport que les citoyens noirs se trouvent dans une situation de «vulnérabilité (…) et d’invisibilité». Ce qui avait des impacts négatifs sur leurs droits, particulièrement en matière de santé et d’éducation.
Apparemment, les autorités ne se contentent pas que de mots. Elles ont ainsi lancé en novembre 2014 une initiative pour compiler des données, jusqu’ici inexistantes, sur les Afro-Péruviens. Objectif : créer les outils nécessaires à la mise en place de politiques publiques qui aideront à lutter contre les discriminations. Titre de la vidéo expliquant la démarche : «Yo cuento y ¿tú?» («Je compte, et toi?»).
Mis en ligne sur Youtube par le ministère péruvien de la Culture (30 janvier 2014)
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