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En Argentine aussi, l'antisémitisme a la vie dure
La mort suspecte le 18 janvier 2015 du procureur argentin Nisman, qui enquêtait sur les attentats de 1992 et 1994 à l’ambassade d’Israël et dans les locaux d’une mutuelle juive de Buenos Aires, a mis en émoi la communauté juive de ce pays. Avec près de 300.000 membres, c’est l’une des plus importantes du monde, mais pas forcément l’une des plus tranquilles.
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«Un bon Juif est un Juif mort. Le bon Juif est Nisman.» Les affiches placardées dans Buenos Aires après l'inhumation du juge ont rappelé de façon glaçante aux Israélites argentins que, même au bout du monde, ils n’étaient pas à l’abri des démons. La patrie d’Eva Peron est connue pour avoir servi de refuge à des milliers d’anciens nazis et à leurs familles – encore aujourd’hui, beaucoup sont regroupés dans la ville chic de Bariloche, à la lisière des Andes et de la Patagonie. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle abrite aussi la cinquième plus grande communauté juive du monde, derrière celles des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni, et bien sûr d’Israël.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’est pas constituée de Sépharades de tradition espagnole, mais essentiellement d’Ashkenases débarqués d’Allemagne, de Pologne ou de Russie au 19e siècle pour fuir les persécutions et les pogroms. Arrivés le plus souvent sans le sou, ils se sont fondus sans trop de difficultés dans ce pays neuf, comme des millions d’autres immigrants italiens, espagnols, allemands ou yougoslaves.
Aujourd’hui, 80% d’entre eux vivent à Buenos Aires. Mais certains se sont installés dans la pampa, où ils ont fondé des colonies agricoles sur le modèle des Kibboutz israéliens ! Ces Juifs des antipodes ne sont pas très pratiquants. La plupart d’entre eux ne mangent pas casher et ne fréquentent qu’occasionnellement la synagogue. En général, ils sont affiliés au Mouvement du Judaïsme Conservateur qui, comme son nom ne l’indique pas, est adepte d’une certaine souplesse dans l’application des traditions. «Ils vivent un judaïsme par moment», résume le rabbin Abraham Skorka, chef spirituel de la communauté Bnei Tikvah dans la capitale argentine.
Un lourd tribut à la dictature
Pour la plupart, ces exilés se félicitent de vivre de l’autre côté des mers. En dépit des accointances manifestes du président Juan Péron avec Adolf Hitler, ils ont été totalement protégés des folies du nazisme. Et en comparaison de leurs frères du bassin de la Méditerranée ou de la Vieille Europe, ils ont subi peu de persécutions au cours du siècle passé. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient à l’abri de l’antisémitisme. Pendant les années de plomb, ils ont payé un lourd tribut à la dictature : on estime que 10% des disparus, jetés dans des fosses communes ou balancés des avions militaires dans le Rio de la Plata étaient des Juifs. Dans les salles de tortures installées par les généraux, il n’était d’ailleurs pas rare de trouver des croix gammées.
Aujourd’hui, la population porte sur eux un regard mitigé. Selon un sondage réalisé en 2011 par l’institut Germani, de l’université de Buenos Aires, près d’un Argentin sur deux avoue qu’il n’épouserait pas un Juif ou une Juive, et un sur trois refuserait de vivre dans un quartier où ils sont nombreux. En Patagonie, et en particulier à Bariloche, la ville des anciens nazis, des campagnes contre la venue de touristes israéliens sont régulièrement organisées, au nom de la défense de la Palestine. Des affiches proclamant «Nous n’en voulons pas chez nous» ou tout simplement «Les Juifs dehors» sont placardées sur les commerces. Signe que les vieux démons sont toujours vivants dans le pays, une statue d’Anne Frank a été décapitée en 2013 à Cordoba, la deuxième ville du pays. Les auteurs de cet acte hautement symbolique n’ont pas été retrouvés.
Mais ce sont évidemment les attentats terroristes commis dans les années 1990 à Buenos Aires qui ont le plus traumatisé la communauté juive. En tout, 114 personnes y ont trouvé la mort et plus de 300 ont été blessées, ce qui en fait l’attaque antisémite la plus meurtrière jamais commise depuis la Libération.
Nisman avait songé à demander l'incarcération de Cristina Kirchner
Même si l’enquête n’a toujours pas abouti officiellement, la justice argentine a la certitude que les bombes ont été posées par les services secrets iraniens, sur ordre des plus hauts dignitaires de la République islamique. Le rapport que s’apprêtait à remettre le procureur Nisman le lendemain de son «suicide», confirmait preuves à l'appui – notamment des écoutes téléphoniques – l'implication de l’actuel ministre iranien de la Défense et de l’ancien président Hachemi Rafsandjani.
Sans doute cet étalage annoncé a-t-il paru trop scabreux aux autorités, alors que l'Argentine entretient des relations économiques fructueuses avec l’Iran (en échange de sa viande et de son soja, Téhéran lui fournit du pétrole à bon marché). Sur un brouillon trouvé dans une poubelle, il apparaît d’ailleurs que Nisman avait songé à demander l’incarcération de la présidente Kirchner, pour entrave à l’enquête.
Convaincus que le suicide du procureur est en fait un assassinat fomenté par le pouvoir, la plupart des Argentins considèrent aujourd’hui que la vérité sur les deux attentats antisémites ne sera jamais établie. Une deuxième mort pour les victimes juives de Buenos Aires.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’est pas constituée de Sépharades de tradition espagnole, mais essentiellement d’Ashkenases débarqués d’Allemagne, de Pologne ou de Russie au 19e siècle pour fuir les persécutions et les pogroms. Arrivés le plus souvent sans le sou, ils se sont fondus sans trop de difficultés dans ce pays neuf, comme des millions d’autres immigrants italiens, espagnols, allemands ou yougoslaves.
Aujourd’hui, 80% d’entre eux vivent à Buenos Aires. Mais certains se sont installés dans la pampa, où ils ont fondé des colonies agricoles sur le modèle des Kibboutz israéliens ! Ces Juifs des antipodes ne sont pas très pratiquants. La plupart d’entre eux ne mangent pas casher et ne fréquentent qu’occasionnellement la synagogue. En général, ils sont affiliés au Mouvement du Judaïsme Conservateur qui, comme son nom ne l’indique pas, est adepte d’une certaine souplesse dans l’application des traditions. «Ils vivent un judaïsme par moment», résume le rabbin Abraham Skorka, chef spirituel de la communauté Bnei Tikvah dans la capitale argentine.
Un lourd tribut à la dictature
Pour la plupart, ces exilés se félicitent de vivre de l’autre côté des mers. En dépit des accointances manifestes du président Juan Péron avec Adolf Hitler, ils ont été totalement protégés des folies du nazisme. Et en comparaison de leurs frères du bassin de la Méditerranée ou de la Vieille Europe, ils ont subi peu de persécutions au cours du siècle passé. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient à l’abri de l’antisémitisme. Pendant les années de plomb, ils ont payé un lourd tribut à la dictature : on estime que 10% des disparus, jetés dans des fosses communes ou balancés des avions militaires dans le Rio de la Plata étaient des Juifs. Dans les salles de tortures installées par les généraux, il n’était d’ailleurs pas rare de trouver des croix gammées.
Aujourd’hui, la population porte sur eux un regard mitigé. Selon un sondage réalisé en 2011 par l’institut Germani, de l’université de Buenos Aires, près d’un Argentin sur deux avoue qu’il n’épouserait pas un Juif ou une Juive, et un sur trois refuserait de vivre dans un quartier où ils sont nombreux. En Patagonie, et en particulier à Bariloche, la ville des anciens nazis, des campagnes contre la venue de touristes israéliens sont régulièrement organisées, au nom de la défense de la Palestine. Des affiches proclamant «Nous n’en voulons pas chez nous» ou tout simplement «Les Juifs dehors» sont placardées sur les commerces. Signe que les vieux démons sont toujours vivants dans le pays, une statue d’Anne Frank a été décapitée en 2013 à Cordoba, la deuxième ville du pays. Les auteurs de cet acte hautement symbolique n’ont pas été retrouvés.
Mais ce sont évidemment les attentats terroristes commis dans les années 1990 à Buenos Aires qui ont le plus traumatisé la communauté juive. En tout, 114 personnes y ont trouvé la mort et plus de 300 ont été blessées, ce qui en fait l’attaque antisémite la plus meurtrière jamais commise depuis la Libération.
Nisman avait songé à demander l'incarcération de Cristina Kirchner
Même si l’enquête n’a toujours pas abouti officiellement, la justice argentine a la certitude que les bombes ont été posées par les services secrets iraniens, sur ordre des plus hauts dignitaires de la République islamique. Le rapport que s’apprêtait à remettre le procureur Nisman le lendemain de son «suicide», confirmait preuves à l'appui – notamment des écoutes téléphoniques – l'implication de l’actuel ministre iranien de la Défense et de l’ancien président Hachemi Rafsandjani.
Sans doute cet étalage annoncé a-t-il paru trop scabreux aux autorités, alors que l'Argentine entretient des relations économiques fructueuses avec l’Iran (en échange de sa viande et de son soja, Téhéran lui fournit du pétrole à bon marché). Sur un brouillon trouvé dans une poubelle, il apparaît d’ailleurs que Nisman avait songé à demander l’incarcération de la présidente Kirchner, pour entrave à l’enquête.
Convaincus que le suicide du procureur est en fait un assassinat fomenté par le pouvoir, la plupart des Argentins considèrent aujourd’hui que la vérité sur les deux attentats antisémites ne sera jamais établie. Une deuxième mort pour les victimes juives de Buenos Aires.
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