Cet article date de plus de huit ans.
Un an après le massacre de Charlie, le caricaturiste Z parle de son travail
Le 7 janvier 2015, 11 personnes, dont huit collaborateurs de «Charlie Hebdo», étaient assassinées lors d’une attaque djihadiste. Nous avions alors recueilli la réaction à chaud du caricaturiste franco-tunisien Z, menacé de mort pour ses dessins. Un an après, nous lui avons demandé comment il juge cet évènement. L’occasion aussi de parler de l’évolution de la situation en Tunisie.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Comment le caricaturiste franco-tunisien que vous êtes, se situe-t-il par rapport au massacre de Charlie?
Avec l’affaire de la déchéance de nationalité, je me sens d’abord Tunisien ! En France, j’ai désormais l’impression d’être un citoyen de seconde zone. Si cette affaire est votée, on pourrait me créer des problèmes avec un dessin pour apologie du terrorisme, par exemple. Dans le même temps, en Tunisie, on considère que je ne suis pas Tunisien parce que je me fous de la gueule du prophète. J’ai ainsi déjà reçu des injures du genre «chien d’Occidental».
Reformulons la question: le drame de Charlie a-t-il changé quelque chose dans votre manière de travailler ?
J’ai du mal à répondre à une telle question. Est-ce que cela a changé quelque chose… ? (long moment de réflexion) J’ai plus de tristesse à dessiner. Désormais, je me place toujours dans la peau de quelqu’un qui pourrait se faire assassiner. Avec Charlie, j’ai subi une forme de traumatisme. Je connaissais plusieurs des victimes, notamment Charb qui m’avait interviewé pour l’hebdomadaire. Mais pendant longtemps, j’ai fait un déni, je jouais au gars qui n’était pas vraiment concerné. Je me suis menti à moi-même.
Aujourd’hui, j’ai conscience que mon dessin est devenu plus solennel, que mon trait n’est plus aussi léger. D’autant que la thématique de la religion, qui a tué à Charlie, est au cœur de mon travail.
Alors, je me pose une question : quel sens donner à mon activité de caricaturiste? Car nous vivons dans un monde de plus en plus douloureux et de plus en plus complexe. Il faut voir que l’affaire de Charlie se situe dans un jeu géopolitique qui dépasse le dessin. Les motivations des frères Kouachi, celles de jeunes qui, dans une crise existentielle, se rattachent à la religion, ont été récupérées pour d’autres buts. Leurs commanditaires ne se situent pas dans une lutte à la gloire d’Allah. Ils dépassent la religion pour atteindre d’autres objectifs en s’appuyant sur des gars paumés qui croient naïvement faire une bonne action.
Dans ce contexte, le dessin de presse n’est plus qu’un prétexte pour des questions proprement politiques. J’essaie de croire que c’est une arme, mais je suis désabusé. J’aimerais croire que les morts de Charlie sont des victimes de la liberté d’expression. Mais je n’ai plus la naïveté de croire que c’est la lutte du bien contre le mal. Ce manichéisme enlève au monde sa complexité.
Votre rapport au dessin n’est donc plus le même…
Non. Il est toujours le même. J’ai compris que le dessin ne changera pas l’Histoire. Il n’est qu’une marchandise, un élément parmi d’autres dans un contexte beaucoup plus large qui nous dépasse : celui d’une guerre.
Il y a un an, vous écriviez dans votre blog DEBATunisie qu’«après le massacre du 7 janvier 2015, dessiner est devenu un métier à haut risque. Plus difficile encore de dessiner quand on est issu de ces pays où l’islam domine la société»…
Je ne comprenais effectivement pas pourquoi je devais me positionner à la fois comme dessinateur et comme musulman. En Tunisie, j’ai l’étiquette d’un blasphémateur. Après Charlie, j’ai reçu des menaces du genre : «T’as vu ce qui t’attend !» Aujourd’hui, je reste dans la même position. Je fais toujours des dessins sur la religion, comme celui où l’on voit Mahomet et Jésus célébrant Noël ensemble.
A aucun moment, je n’ai pensé m’autocensurer. En Tunisie, le débat sur la religion reste très important. On a ainsi condamné en décembre six étudiants pour sodomie, une pratique qui a une connotation religieuse (le mot «sodomie» vient de Sodome, ville mentionnée dans la Bible et réputée pour sa luxure, NDLR). Pour moi, ce débat est très important. Et je suis fier d’être considéré comme le seul dessinateur qui, en la matière, n’hésite pas à dépasser la ligne rouge.
Evidemment, en tant que Franco-Tunisien, j’ai un double visage, ce qui est un peu schizophrène. Je vis en France où je suis connu médiatiquement, où je peux être à 100% pour Charlie et m’attaquer à la religion. En Tunisie, où je profite d’une certaine aura, on condamne l’attaque contre l’hebdomadaire, mais on ne peut pas le soutenir. Comme je le disais il y a un an dans mon blog, le ministère des Affaires religieuses a rappelé «aux artistes et aux journalistes que l’atteinte au sacré demeure une ligne rouge interdite, défendue, indépassable». C’est un peu comme si on disait que les gens de Charlie «l’avaient un peu cherché»…
Pour un caricaturiste comme moi, la lutte contre la religion est beaucoup plus passionnante en Tunisie qu’en France. On y entretient une culture de la religion pour des raisons politiques. C’est une forme d’opium destiné à contrôler la masse des citoyens.
Déjà, sous Ben Ali, il y avait une sorte de milice internet anti-blasphème, des hackers qui se faisaient appeler le «flytox» et qui ont opéré jusqu'en 2009. La religion était déjà une arme pour gérer le troupeau. Aujourd’hui, les pratiques restent les mêmes. Le président Béji Caïd Essebsi, sorte de papi progressiste, a dit qu’il ne toucherait jamais au texte de loi sur la sodomie (loi n°230). Il cite très souvent le Coran. De ce point de vue, les islamistes au pouvoir n’ont rien fait, car avant eux, le pays était déjà formaté par la religion.
Comment concevez-vous, aujourd’hui, votre rôle de caricaturiste ?
C’est d’amplifier certains phénomènes en apparence anodins mais qui résument une situation générale. Comme la sodomie, par exemple. Sous Ben Ali, les condamnations étaient fréquentes, mais on n’en parlait pas. Aujourd’hui, grâce à la révolution, on peut en parler.
J’ai ainsi créé le concept de «zaballah» (qui veut dire «poubelle» en arabe, NDLR) : «zaba», pour les initiales de Zine Abidine Ben Ali ; «allah» pour Allah. Une manière, notamment, de dénoncer les méfaits de la police qui combat la sodomie, pourchasse ceux qui ne jeûnent pas pendant le ramadan, lutte contre les jupes trop courtes. Cela montre qu’il y a un espace de liberté dans ce pays. Lequel continue ainsi à montrer la voie dans le monde arabe.
Voir aussi
Le dessin du jour sur Géopolis: «Charlie un après: la caricature de Z»
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.