Cet article date de plus d'onze ans.
Tunisie: une chef d'entreprise au tempérament bien trempé
Sana Ghenima est PDG de Sanabil, une PME d’édition numérique installée à Ariana, près de Tunis. Pour elle, la crise économique que traverse la Tunisie est largement due à l’incompétence des dirigeants politiques. Propos d’une femme entrepreneure de tempérament qui n’a pas sa langue dans sa poche…
Publié
Temps de lecture : 6min
De notre envoyé spécial en Tunisie, Laurent Ribadeau Dumas
La chef d’entreprise avait fait parler d’elle en avril 2013: elle avait publiquement dénoncé le comportement d’un policier à l’aéroport de Tunis qui lui demandait si elle avait l’autorisation de voyager sans son mari.
Sana Ghenima dirige depuis 22 ans sa PME de pointe, «seul opérateur dans le secteur de l’édition numérique jeunesse» en trois langues (arabe, français et anglais). Celle-ci participe à des marchés de sous-traitance internationaux, notamment en Europe et au Canada, et dans le cadre de l’UNESCO.
Depuis la révolution du 14 janvier 2011, les entreprises souffrent, particulièrement celles de l’édition, numérique ou non. En deux ans et demi, Sanabil est ainsi passé de 35 à 13 salariés. Motif: «Le secteur public, qui tire la machine économique dans de nombreux secteurs, n’a pas redémarré. Et si le service public ne fonctionne pas, rien ne fonctionne» dans le pays, analyse la PDG.
«J’accuse le gouvernement»
A l’écouter, le régime Ben Ali «a fait beaucoup de bêtises, il n’y a pas à tergiverser là-dessus. Mais il a au moins réalisé une bonne chose : il a investi dans les nouvelles technologies, car il voulait faire de la Tunisie une vitrine dans ce domaine. Ben Ali étant militaire, il a su surmonter les résistances. A son époque, si un ministre n’obtempérait pas, il suffisait, même pour un inconnu, d’envoyer un fax à la présidence. Le ministre était tout de suite rappelé à l’ordre.»
Regrette-t-elle pour autant l’ancien régime ? Réponse sans ambages: «D’une certaine manière, oui. On m’a reproché de composer (avec lui, NDLR). Oui, je composais pour que l’on avance. Je le faisais aussi dans un esprit positif pour mon pays. Cela ne m’empêche pas d’avoir des valeurs». Et de vouloir les faire avancer avec le nouveau pouvoir.
Sana Ghenima n’en est pas moins sans pitié vis-à-vis de l’actuelle coalition dirigée par le parti islamiste Ennahda. «Après le changement de régime, on a limogé les gens qui avaient travaillé avec Ben Ali. Mais c’étaient des personnes compétentes. Résultat : on en a mis d’autres à leur place, notamment des exilés, qui ne connaissent absolument rien aux nouvelles technologies. Et parce que l’on considérait que ce secteur était un héritage de l’ancien régime, on a supprimé son ministère de tutelle. C’est dramatique ! Résultat: alors que la Tunisie avait de l’avance, elle risque de prendre du retard dans un univers technologique qui évolue très vite !» Et d’ajouter sans pouvoir citer de chiffres pour l’instant: «J’accuse clairement le gouvernement d’être à l’origine de la faillite de nombreuses entreprises!»
Selon elle, ce dernier n’élabore pas de plan d’action clair, les appels d’offres se noient dans la bureaucratie des différents ministères. La patronne de Sanabil a ainsi vu bloquer un projet de numérisation de livres qui aurait pu «faire travailler 3000 personnes». Dans ce contexte, les investissements publics ont considérablement baissé. «Il n’y a aucune vision: fin 2012, seuls 37% des crédits du budget général de l’Etat avaient été dépensés», affirme-t-elle.
«Le facteur femmes»
Autre facteur qui l’horripile, «l’infiltration de l’arabisation à un moment où, dans un marché mondial globalisé, l’enseignement des matières scientifiques se fait de plus en plus en anglais».
Le tableau est noir. Mais il reste quand même des raisons d’espérer… Ainsi, à écouter la chef d’entreprise, la Tunisie dispose notamment d’un «capital exceptionnel : le facteur femmes, lesquelles constituent certes 70% des chômeurs, mais aussi 62% de la population étudiante». «Grâce à elles, on a ainsi le potentiel pour créer une vraie dynamique grâce à l’économie du savoir», pense-t-elle.
En tant que femme chef d’entreprise, est-elle gênée par les idées religieuses du nouveau pouvoir ? Il y a certes eu l’affaire de l’aéroport. Et dans sa vie personnelle, elle a été agacée de constater que dans le lycée de sa fille, un professeur de musique interdise aux éléments féminins de chanter. Ou qu’un enseignant de mathématiques explique que dans le couple humain, les filles sont inférieures aux garçons. «Pour autant, cette influence ne joue pas sur le plan économique», estime-t-elle. Et d’une manière générale, elle ne pense pas qu’«en Tunisie, il y aura de retour en arrière» car l’égalité y est ancrée depuis trop longtemps.
Certes, d’une manière générale, «l’avenir n’est pas clair», constate Sana Ghenima. Mais il faut reconnaître que «la crise en Europe, et surtout en France, a compliqué la donne». Comme il faut reconnaître que dans ce contexte, «le processus pour prospecter de nouveaux marchés, construire des partenariats pérennes prend du temps». Elle pense d’ailleurs que certaines choses «commencent à prendre forme». Elle n’est donc finalement pas si pessimiste que cela, notre chef d’entreprise…
La chef d’entreprise avait fait parler d’elle en avril 2013: elle avait publiquement dénoncé le comportement d’un policier à l’aéroport de Tunis qui lui demandait si elle avait l’autorisation de voyager sans son mari.
Sana Ghenima dirige depuis 22 ans sa PME de pointe, «seul opérateur dans le secteur de l’édition numérique jeunesse» en trois langues (arabe, français et anglais). Celle-ci participe à des marchés de sous-traitance internationaux, notamment en Europe et au Canada, et dans le cadre de l’UNESCO.
Depuis la révolution du 14 janvier 2011, les entreprises souffrent, particulièrement celles de l’édition, numérique ou non. En deux ans et demi, Sanabil est ainsi passé de 35 à 13 salariés. Motif: «Le secteur public, qui tire la machine économique dans de nombreux secteurs, n’a pas redémarré. Et si le service public ne fonctionne pas, rien ne fonctionne» dans le pays, analyse la PDG.
«J’accuse le gouvernement»
A l’écouter, le régime Ben Ali «a fait beaucoup de bêtises, il n’y a pas à tergiverser là-dessus. Mais il a au moins réalisé une bonne chose : il a investi dans les nouvelles technologies, car il voulait faire de la Tunisie une vitrine dans ce domaine. Ben Ali étant militaire, il a su surmonter les résistances. A son époque, si un ministre n’obtempérait pas, il suffisait, même pour un inconnu, d’envoyer un fax à la présidence. Le ministre était tout de suite rappelé à l’ordre.»
Regrette-t-elle pour autant l’ancien régime ? Réponse sans ambages: «D’une certaine manière, oui. On m’a reproché de composer (avec lui, NDLR). Oui, je composais pour que l’on avance. Je le faisais aussi dans un esprit positif pour mon pays. Cela ne m’empêche pas d’avoir des valeurs». Et de vouloir les faire avancer avec le nouveau pouvoir.
Sana Ghenima n’en est pas moins sans pitié vis-à-vis de l’actuelle coalition dirigée par le parti islamiste Ennahda. «Après le changement de régime, on a limogé les gens qui avaient travaillé avec Ben Ali. Mais c’étaient des personnes compétentes. Résultat : on en a mis d’autres à leur place, notamment des exilés, qui ne connaissent absolument rien aux nouvelles technologies. Et parce que l’on considérait que ce secteur était un héritage de l’ancien régime, on a supprimé son ministère de tutelle. C’est dramatique ! Résultat: alors que la Tunisie avait de l’avance, elle risque de prendre du retard dans un univers technologique qui évolue très vite !» Et d’ajouter sans pouvoir citer de chiffres pour l’instant: «J’accuse clairement le gouvernement d’être à l’origine de la faillite de nombreuses entreprises!»
Selon elle, ce dernier n’élabore pas de plan d’action clair, les appels d’offres se noient dans la bureaucratie des différents ministères. La patronne de Sanabil a ainsi vu bloquer un projet de numérisation de livres qui aurait pu «faire travailler 3000 personnes». Dans ce contexte, les investissements publics ont considérablement baissé. «Il n’y a aucune vision: fin 2012, seuls 37% des crédits du budget général de l’Etat avaient été dépensés», affirme-t-elle.
«Le facteur femmes»
Autre facteur qui l’horripile, «l’infiltration de l’arabisation à un moment où, dans un marché mondial globalisé, l’enseignement des matières scientifiques se fait de plus en plus en anglais».
Le tableau est noir. Mais il reste quand même des raisons d’espérer… Ainsi, à écouter la chef d’entreprise, la Tunisie dispose notamment d’un «capital exceptionnel : le facteur femmes, lesquelles constituent certes 70% des chômeurs, mais aussi 62% de la population étudiante». «Grâce à elles, on a ainsi le potentiel pour créer une vraie dynamique grâce à l’économie du savoir», pense-t-elle.
En tant que femme chef d’entreprise, est-elle gênée par les idées religieuses du nouveau pouvoir ? Il y a certes eu l’affaire de l’aéroport. Et dans sa vie personnelle, elle a été agacée de constater que dans le lycée de sa fille, un professeur de musique interdise aux éléments féminins de chanter. Ou qu’un enseignant de mathématiques explique que dans le couple humain, les filles sont inférieures aux garçons. «Pour autant, cette influence ne joue pas sur le plan économique», estime-t-elle. Et d’une manière générale, elle ne pense pas qu’«en Tunisie, il y aura de retour en arrière» car l’égalité y est ancrée depuis trop longtemps.
Certes, d’une manière générale, «l’avenir n’est pas clair», constate Sana Ghenima. Mais il faut reconnaître que «la crise en Europe, et surtout en France, a compliqué la donne». Comme il faut reconnaître que dans ce contexte, «le processus pour prospecter de nouveaux marchés, construire des partenariats pérennes prend du temps». Elle pense d’ailleurs que certaines choses «commencent à prendre forme». Elle n’est donc finalement pas si pessimiste que cela, notre chef d’entreprise…
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