Après la révolution, des Tunisiens désenchantés : "Dans ce pays, on ne te donne rien et on te prend tout"
Le président français se rend mercredi en Tunisie pour saluer la vitalité de la démocratie tunisienne, seule rescapée des printemps arabes. Si le pays fait figure de modèle en termes de transition politique, il a encore beaucoup à faire en matière économique et sociale.
Emmanuel Macron entame sa visite d'Etat mercredi 31 janvier en fin d’après-midi en Tunisie pour y saluer la vitalité de la démocratie tunisienne, seule rescapée des printemps arabes. Mais sept ans après la révolution, les conditions économiques ne se sont pas améliorées, au contraire. Augmentation du coût de la vie, chômage, absence de perspectives,... le désenchantement a gagné la population.
"Il y a de quoi devenir fou !"
Hamza, 26 ans, un physique d’armoire à glace et les yeux rougis par les excès de cannabis, habite Ezzahrouni, l’un des quartiers pauvres de Tunis, la capitale. Cet ancien policier, suspendu il y a quatre ans après une bagarre, vit chez sa mère et cumule les petits boulots, quand il en trouve. Hamza n’a pas d’argent, pas de projets, mais beaucoup de rancœur. "Regardez comment je vis, enrage-t-il. Il y a de quoi devenir fou, vraiment ! C’est pour cela que je fume tout le temps. Cela m’aide à supporter ma vie et m’évite de devenir violent, de péter les plombs." D'autres ont choisi l'exil - clandestin - vers l'Europe.
Hamza, lui, restera, malgré la perte de sens : "Construire une famille, avoir sa maison par exemple, c’est un droit fondamental. En Tunisie, tu n’as même pas accès à cela, fulmine le jeune homme. Dans ce pays, on ne te donne rien, et on te prend tout !"
Ce pays tue toute ambition !
Hamza, 26 ansfranceinfo
Il y a quinze jours, le quartier s’est embrasé. Vingt-cinq jeunes ont été arrêtés. Raif, un ami d’Hamza, a gardé la vidéo dans son téléphone. "Les gars là, ils n’ont pas été relâchés au bout de trois jours ou d’une semaine. Ils ont été condamnés de un à trois ans ferme ! On sait bien qu'il y avait des casseurs, mais la police a aussi attrapé des manifestants qui n'avaient rien fait", affirme Raif.
Des mesures d’austérité drastiques
Les arrestations massives ont calmé la contestation, mais le malaise est profond. Après 2011, la Tunisie a privilégié sa transformation politique et repoussé à plus tard les réformes économiques. Aujourd’hui surendetté (le remboursement des emprunts représente à lui seul 22% des dépenses publiques), le pays est contraint à des mesures d’austérité drastiques. Le projet de loi de finances 2018, qui a cristallisé le mécontentement au début du mois, prévoit une augmentation de la TVA sur tous les produits du quotidien.
Au marché couvert du Kram, les vendeuses de légumes ne s’économisent pas pour critiquer leur président. "Nous, les femmes, on avait voté en masse pour Béji Caïd Essebsi, raconte Hannen. Il nous avait promis qu’il allait faire baisser les prix, mais en janvier, tout a augmenté. Les doses de café soluble, la bouteille de gaz, le beurre, l’huile, les yaourts... Tout a augmenté, tout !" Faouzia, 58 ans, va même jusqu'à regretter la stabilité du temps de la dictature. "On vit sous le seuil de pauvreté. Moi, je suis fatiguée et en colère. On a attendu que cela s’améliore, mais on a attendu pour rien. Vive Ben Ali ! Ce serait bien qu’il revienne."
La classe moyenne réduite à peau de chagrin
Alaa Talbi est le directeur exécutif du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Pour lui, depuis 2011, les gouvernements successifs en Tunisie ne font "que jouer les pompiers, reportent les problèmes d'une semaine, d'un mois, mais n'ont jamais pris aucune mesure sur le moyen ou le long terme.
Il n'y a pas de vision claire de l'État sur les questions sociales et économiques.
Alaa Talbi, directeur du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux.à franceinfo
La classe moyenne, qui se réduit comme peau de chagrin depuis 2011, subit elle aussi la crise de plein fouet. Wael et Jawaher, la trentaine, sont tous les deux fonctionnaires au ministère de l’Éducation. À deux, ils gagnent 700 euros par mois. Et comme la majorité des salariés, ils s'épuisent à rembourser leurs dettes. Pour le loyer, l'électricité, la viande, les couches et le lait de leur bébé de huit mois. Même pour accoucher, Jawaher a dû emprunter. "Dans les hôpitaux publics, il y a de plus en plus de femmes qui meurent au moment de l'accouchement, explique-t-elle. C'est pour cela que j’ai voulu aller dans une clinique privée. Il me faut cinq ans pour rembourser mon prêt."
"Nous avons aujourd’hui gagné une arme fatale"
Le couple fait partie des membres les plus actifs du mouvement Fech Nestanew ("qu'est-ce qu'on attend"), à l'origine de la contestation en janvier. Wael, lui, veut garder espoir. "La plupart des Tunisiens sont déçus par la révolution, concède-t-il. Moi je ne le suis pas. Nous avons aujourd’hui gagné une arme fatale : la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté d’organisation. Nous ne nous sommes pas encore servis de cette arme correctement, mais cela viendra." Une arme qui servira peut-être pour les prochaines élections municipales, en mai, les premières depuis la révolution. Ou la présidentielle en 2019. L’actuel chef de l’État, 91 ans, n’a pas encore fait savoir s’il comptait se représenter.
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