Manifestations contre la vie chère en Tunisie : "Le risque répressif est fort" si la contestation continue
Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, a expliqué, jeudi sur franceinfo, que les rassemblements qui ont lieu en Tunisie contre de nouvelles mesures d'austérité démontrent "une coupure du politique par rapport à la société".
"Ces mouvements explosent souvent tout d'un coup, quand on ne les entend pas et peuvent aussi disparaître rapidement", a expliqué Bertrand Badie, jeudi 11 janvier sur franceinfo. Pour ce spécialiste des relations internationales et professeur à Sciences Po, les 600 arrestations dans plusieurs de Tunisie depuis lundi lors de rassemblements contre de nouvelles mesures d'austérité démontrent "une coupure du politique par rapport à la société".
franceinfo : Qu'est-ce que qui a déclenché ce mouvement ?
Bertrand Badie : C'est la conjonction de trois facteurs avec une sorte de révolte spontanée contre des conditions économiques et une situation de l'emploi très défavorables. Il y a ensuite une politique économique et l'annonce de mesures gouvernementales qui sont d'inspiration libérale et perçues comme privatives et aggravant les choses, par les petites gens. Enfin, il y a un soupçon, une accusation de dérive autoritaire portée à l'encontre du système politique. Il ne faut pas oublier qu'en Tunisie, beaucoup dans l'entourage du président voudraient réformer la Constitution pour la rendre plus présidentielle.
Est-ce une forme de contestation classique en Tunisie et ailleurs dans le monde ?
C'est à peu près des symptômes qu'on retrouvait en Iran, il y a une dizaine de jours. C'est aussi les symptômes qu'on retrouve dans l'histoire tunisienne dès les émeutes de la fin de 1984. Elles avaient marqué le début de la fin pour Habib Bourguiba [chef d'Etat de 1957 à 1987]. Nous sommes dans un monde où les sociétés se réveillent sans qu'il y ait nécessairement de leader. C'est une forme nouvelle d'expression et de mobilisation de la société. C'est un phénomène qui tend à se banaliser dans beaucoup de pays, notamment ceux du Sud, mais aussi dans les pays du Nord avec la vague populiste. Il y a une coupure du politique par rapport à la société. Elle est orchestrée en Tunisie, en ce moment, par cette formule qu'on retrouvait aussi en Iran, il y a quelques jours : "Il est nécessaire de prendre des mesures économiques drastiques pour améliorer la situation du pays." Ce sont des choses que la population n'est pas forcément apte à entendre, surtout lorsqu'on souffre de la faim ou du chômage.
Plus de 600 personnes ont été arrêtées ces trois derniers jours en Tunisie. Y a-t-il une volonté de réprimer le mouvement ?
Les récits que l'on en a indiquent effectivement que la réaction est assez forte. Ben Ali [chef d'Etat de 1987 à 2011] a perdu le pouvoir parce qu'après une pulsion répressive, il a baissé les bras, encouragé par la communauté internationale et à l'époque surtout par les États-Unis. Là, on se dit à Tunis que si l'on baisse les bras, il risque de se produire la même chose qu'il y a sept ans. Ce risque répressif est fort, si du moins ces mouvements venaient à continuer. Le défaut de légitimité, ou en tout cas d'adhésion réelle de la population aux institutions, fait que les institutions risquent d'être les premières victimes de ces mouvements, s'ils viennent à durer. Ces mouvements explosent souvent tout d'un coup, quand on ne les entend pas et peuvent aussi disparaître rapidement.
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