Cet article date de plus d'onze ans.

Le quartier d’Ettadhamen à Tunis reste fidèle aux islamistes

Les manifestations de l’opposition contre le gouvernement dominé par les islamistes sont quotidiennes à Tunis. Mais ceux-ci savent eux aussi mobiliser en masse leurs partisans. Dans la nuit du 2 au 3 août 2013, ils ont réussi à réunir des dizaines de milliers de personnes dans la capitale. Et dans un faubourg pauvre comme celui d'Ettadhamen, le parti islamiste Ennahda reste populaire.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des partisans d"Ennahda chantent des slogans lors d'un rassemblement du parti islamiste à Ettadhamen, banlieue de Tunis, le 20 octobre 2011. (Reuters - Zoubeir Souissi)

Réparateur dans le faubourg populaire d'Ettadhamen, Fayçal dit avoir autre chose à faire que de participer à la contestation antigouvernementale dans le centre de Tunis, à quelques kilomètres de là. Comme avant la révolution de 2011, sa principale préoccupation est de ramener à manger à la maison. A ses yeux, les opposants rassemblés dans les belles avenues de la capitale peuvent bien dénoncer les conditions de vie de Tunisiens comme lui. Mais ils ne viennent jamais dans les rues déshéritées de sa commune apporter une aide concrète, dit-il.

«Les élites et l'opposition laïque créent des problèmes pour placer les leurs au pouvoir car ils n'y arrivent pas par les élections», estime cet homme de 36 ans aux cheveux déjà grisonnants en agitant ses mains calleuses. «Ils n'en ont rien à faire des vrais Tunisiens comme nous. On a voté, on a donné notre voix et maintenant, ils veulent tout annuler en notre nom».

A Ettadhamen, l'un des plus vastes et plus pauvres faubourgs de Tunis, le chômage ne cesse de se répandre et les prix n'arrêtent pas de grimper. Pour certains, les difficultés économiques se sont même aggravées depuis le renversement du dictateur Zine Ben Ali en janvier 2011. Pourtant, la plupart de ses habitants continuent de défendre Ennahda, la formation islamiste qu'ils ont contribué à porter au pouvoir par les urnes.

«On a peur»
Dans le centre de Tunis en revanche, les manifestations quotidiennes contre le gouvernement ont repris après l'assassinat le 25 juillet du député d'opposition Mohamed Brahmi. Des milliers de sympathisants de gauche y dénoncent les retards pris dans l'élaboration d'une nouvelle Constitution et accusent les islamistes de vouloir imposer un carcan religieux à la société.

Des partisans du parti islamiste Ennahda manifestent à Tunis dans la nuit du 3 au 4 août 2013. (Reuters - Zoubeir Souissi)
 
Pour autant, cette contestation trouve peu d'écho à Ettadhamen : elle est perçue comme défendant uniquement les intérêts des classes moyennes et aisées.
 
«L'opposition est forte pour pointer du doigt les problèmes. Mais quelles sont leurs solutions? Qu'est-ce qu'ils ont fait pour prouver qu'ils servaient le peuple?», interroge Mohsen Dreib, peintre en bâtiment. Dans ces quartiers de la périphérie de Tunis s'entassent, à l’intérieur de logements construits de bric et de broc, des dizaines de milliers de migrants venus des campagnes pauvres de l'intérieur du pays. Ils sont fiers d'avoir été parmi les premiers à se soulever contre le régime Ben Ali en décembre 2010.
 
Aujourd’hui, ils continuent toutefois de souffrir d'un sentiment d'abandon, comme l'illustre la ruée vers les journalistes de Reuters venus recueillir leurs témoignages à Ettadhamen, chacun cherchant à faire entendre son point de vue. «Pendant des années, l'opposition nous a parlé de liberté et de démocratie. Et maintenant, on les voit balayer les principes qu'ils nous ont enseignés (...) simplement parce que les islamistes sont arrivés au pouvoir», dit Abdelaziz Djebali, 34 ans, employé d'une petite boutique de téléphonie mobile.
 
Beaucoup commencent à perdre patience. Certains incriminent le pouvoir, comme Bariza Kadri, une mère de quatre enfants portant un long voile. «Les médicaments sont plus chers, l'eau est plus chère, l'électricité est plus chère. Tout est plus cher. Qu'est-ce que je vais pouvoir donner à manger à mes enfants aujourd'hui ?», demande cette femme de 45 ans. «Je n'ai rien à leur donner et c'est de la faute du gouvernement. Il doit remettre le pays sur pied. On a peur». Peur, comme nombre de Tunisiens.
           
«Je n’ai pas d’avenir»
Les habitants d'Ettadhamen se considèrent avec colère comme des laissés-pour-compte de la révolution. «J'ai 59 ans et je n'ai pas d'avenir. Je travaillais dans les services municipaux mais j'ai eu un accident du travail. Maintenant, je ne peux plus travailler. Je gagne 250 dinars par mois (114 euros) mais je dois en dépenser environ 400», raconte Mahmoud, appuyé sur ses béquilles.

Une mobilisation massive des islamistes

Euronewsfr, 4 août 2013

Face à la contestation de la gauche, Ennahda a réussi dans la nuit du 2 au 3 août 2013 (en raison du ramadan) une démonstration de force à Tunis en mobilisant des dizaines de milliers de partisans acheminés par autocars sur la place de la Casbah. La formation islamiste a distribué des repas gratuits pour la rupture du jeûne du ramadan. La preuve, selon ses détracteurs, qu'elle achète davantage ses électeurs qu'elle ne les convainc. Le député et universitaire Samir Ettaïeb l’accuse d’avoir utilisé des fonds publics pour les bus qu’elle avait affrêtés.
 
Pour Maroua Mounir, jeune employée de bureau rencontrée à Ettadhamen, chacun devrait faire preuve de patience. A ses yeux, ni Ennahda ni l'opposition ne peut avoir de solution miracle pour un pays à peine sorti de décennies de régime dictatoriale. «Tout pays qui connaît une révolution a besoin d'au moins dix ans pour se réformer», plaide cette femme de 35 ans vêtue d'un voile rose. «Oui, il y a des problèmes mais il faut être patient. Le pays a souffert pendant des années de vol et de corruption. Cela ne se règle pas du jour au lendemain».

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.