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La Tunisie, deux ans de révolution
Deux après le départ du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, nombre de Tunisiens expriment leur pessimisme en raison des problèmes du pays : incertitudes politiques, troubles sociaux, attaques salafistes… Et pourtant, il y a des raisons d’espérer dans ce profond mouvement démocratique lancé par la jeunesse, et dont la vague a touché tout le monde arabe.
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«Aujourd’hui, le regard vis-à-vis de la révolution est mêlé d’inquiétude, d’incertitude et d’espoir», constatait l’ambassadeur de Tunisie à Paris, Adel Fekih, lors d’un colloque à l’Institut du monde arabe le 14 janvier 2013. De fait, les opinions des Tunisiens vis-à-vis du mouvement du 14 janvier 2011 sont très ambivalentes, mais souvent pessimistes. Un mouvement qui est un «moment révolutionnaire, un moment de passion», plutôt qu’un «printemps», a estimé Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS. Un printemps suivi d’un automne…
Pour aborder cette problématique, il est nécessaire de prendre de la distance par rapport aux évènements. Quand on parle de la Tunisie, il ne faut pas uniquement parle de la frange littorale, partie la plus riche du pays, «mais aussi des provinces de l’ouest», déshéritées et oubliées par la dictature, rappelle Béatrice Hibou.
«Une révolution confisquée»
«La révolution est souvent décrite comme un évènement magique. On en fait un récit mythique complètement dépolitisé, celui de jeunes blogueurs qui ont spontanément entraîné le peuple. Ce faisant, on exclut les luttes sociales (très nombreuses, NDLR) et les différentes réactions aux politiques libérales menées dans le pays», estime Héla Yousfi, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine.
Dans ce contexte, la révolution a-t-elle été «confisquée», comme l’affirment certains ? «Elle l’a été pour une question de continuité de l’Etat : il s’agissait de préparer les élections» du 23 octobre 2011, pense Pierre Puchot, journaliste à Médiapart. Ce faisant, «il n’y a pas eu rupture»: l’exécutif est resté le même qu’à la période de la dictature et ce sont les mêmes groupes sociaux qui exercent le pouvoir. Ainsi, Mohammed Ghannouchi a été Premier ministre sans discontinuer de 1999 à 2011. Il a donc à la fois gouverné pendant la dictature de Ben Ali et depuis le retour de la démocratie.
Par la suite, la nouvelle assemblée, issue des élections, a «légitimé le pouvoir en place et n’a pas permis l’émergence de personnalités indépendantes à même d’apporter un projet alternatif. Elle a ainsi complété la confiscation du pouvoir», affirme le journaliste.
Parallèlement, il n’y aurait pas eu de «rupture» dans les pratiques de gouvernement. «On assiste ainsi toujours à la répression violente des mouvements sociaux», constate Pierre Puchot. Plus généralement, il n’y a pas de «réflexion sur le modèle économique» et les questions sociales seraient reléguées à l’arrière-plan. «On parle uniquement des problèmes engendrées par le tourisme et le textile, gros pourvoyeurs de main d’œuvre non qualifiée, sans d’ailleurs prendre conscience de la manière dont le tourisme low cost a affaibli le pays. Et on ne se concentre pas sur le chômage des jeunes diplômés», explique le représentant de Médiapart.
«La révolution n’est pas finie»
Autant d’éléments qui justifient le pessimisme ambiant. Pourtant, a rappelé Béatrice Hibou, «la révolution n’est pas finie». «Il faut bien voir qu’en France, il a presque fallu un siècle pour voir la réalisation concrète des idées de 1789 avec l’instauration de la IIIe République» en 1875, a expliqué pour sa part Alain Gresh, directeur adjoint du Monde Diplomatique. On peut donc penser qu’en Tunisie, le processus va prendre du temps, avec des avancées et des reculs en fonction de l’évolution des luttes politiques et sociales.
Il s’agit ainsi de bien comprendre d’où viennent des pays comme la Tunisie ou l’Egypte, qui ont tous deux vu des changements de régime en 2011. «Ils sortaient alors de 50 ans de stagnation politique et économique, avec l’ossification du pouvoir : les mêmes dirigeants vieillissaient aux commandes, ou étaient remplacés par leurs enfants. Avec un bilan social catastrophique, en raison des politiques néo-libérales menées par les dictatures», observe Alain Gresh.
«Le réveil d’une société civile jeune»
Mais le fait que la vague partie de Tunisie ait «touché tout les pays arabes indique que quelque chose y a profondément changé». Une vague que peu d’observateurs avaient vu venir, et qui a permis «l’émergence d’une jeunesse active» face à des vieux dictateurs.
«Personne ne pensait que la révolution, peut-être le plus beau moment depuis les indépendances, commencerait en Tunisie, souvent décrit comme un petit pays. Et pourtant c’est là que s’est produit le réveil d’une société civile jeune qui avait des demandes très spécifiques et très sophistiquées : sur la nécessité d’une constitution, sur la manière de gouverner. Pour autant, cette société civile, qui a vu la naissance d’une vraie culture citoyenne, qui a fait disparaître la peur, n’était pas nécessairement encadrée politiquement», a expliqué Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne. Rien d’étonnant que dans ces périodes de transition, les partis politiques et les forces bien organisées comme les islamistes aient pris le relais.
Dans ce contexte, la question dépasse largement l’antagonisme musulmans-laïcs et le risque d’une dictature religieuse, souvent mis en avant dans les médias occidentaux, ont fait remarquer les participants au colloque de l’IMA.
«La question est de savoir si les islamistes ont le moyen d’instaurer une telle dictature», pense Alain Gresh. Et de citer en exemple l’Egypte où plus personne ne contrôle vraiment les évènements. L’armée, pourvue d’un budget autonome, est indépendante du pouvoir tenu par les Frère musulmans. Idem pour l’institution policière qui continue à réprimer violemment les manifestations, comme elle le faisait avant la chute du régime Moubarak car «elle ne sait pas se comporter autrement».
«Désormais, arrivés au pouvoir, les mouvements islamistes ne peuvent plus se cacher derrière la religion. Ils vont maintenant devoir montrer de quoi ils sont capables», pense Leïla Shahid.
La célébration (très modeste) de deux ans de révolution
Pour aborder cette problématique, il est nécessaire de prendre de la distance par rapport aux évènements. Quand on parle de la Tunisie, il ne faut pas uniquement parle de la frange littorale, partie la plus riche du pays, «mais aussi des provinces de l’ouest», déshéritées et oubliées par la dictature, rappelle Béatrice Hibou.
«Une révolution confisquée»
«La révolution est souvent décrite comme un évènement magique. On en fait un récit mythique complètement dépolitisé, celui de jeunes blogueurs qui ont spontanément entraîné le peuple. Ce faisant, on exclut les luttes sociales (très nombreuses, NDLR) et les différentes réactions aux politiques libérales menées dans le pays», estime Héla Yousfi, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine.
Dans ce contexte, la révolution a-t-elle été «confisquée», comme l’affirment certains ? «Elle l’a été pour une question de continuité de l’Etat : il s’agissait de préparer les élections» du 23 octobre 2011, pense Pierre Puchot, journaliste à Médiapart. Ce faisant, «il n’y a pas eu rupture»: l’exécutif est resté le même qu’à la période de la dictature et ce sont les mêmes groupes sociaux qui exercent le pouvoir. Ainsi, Mohammed Ghannouchi a été Premier ministre sans discontinuer de 1999 à 2011. Il a donc à la fois gouverné pendant la dictature de Ben Ali et depuis le retour de la démocratie.
Par la suite, la nouvelle assemblée, issue des élections, a «légitimé le pouvoir en place et n’a pas permis l’émergence de personnalités indépendantes à même d’apporter un projet alternatif. Elle a ainsi complété la confiscation du pouvoir», affirme le journaliste.
Parallèlement, il n’y aurait pas eu de «rupture» dans les pratiques de gouvernement. «On assiste ainsi toujours à la répression violente des mouvements sociaux», constate Pierre Puchot. Plus généralement, il n’y a pas de «réflexion sur le modèle économique» et les questions sociales seraient reléguées à l’arrière-plan. «On parle uniquement des problèmes engendrées par le tourisme et le textile, gros pourvoyeurs de main d’œuvre non qualifiée, sans d’ailleurs prendre conscience de la manière dont le tourisme low cost a affaibli le pays. Et on ne se concentre pas sur le chômage des jeunes diplômés», explique le représentant de Médiapart.
«La révolution n’est pas finie»
Autant d’éléments qui justifient le pessimisme ambiant. Pourtant, a rappelé Béatrice Hibou, «la révolution n’est pas finie». «Il faut bien voir qu’en France, il a presque fallu un siècle pour voir la réalisation concrète des idées de 1789 avec l’instauration de la IIIe République» en 1875, a expliqué pour sa part Alain Gresh, directeur adjoint du Monde Diplomatique. On peut donc penser qu’en Tunisie, le processus va prendre du temps, avec des avancées et des reculs en fonction de l’évolution des luttes politiques et sociales.
Il s’agit ainsi de bien comprendre d’où viennent des pays comme la Tunisie ou l’Egypte, qui ont tous deux vu des changements de régime en 2011. «Ils sortaient alors de 50 ans de stagnation politique et économique, avec l’ossification du pouvoir : les mêmes dirigeants vieillissaient aux commandes, ou étaient remplacés par leurs enfants. Avec un bilan social catastrophique, en raison des politiques néo-libérales menées par les dictatures», observe Alain Gresh.
«Le réveil d’une société civile jeune»
Mais le fait que la vague partie de Tunisie ait «touché tout les pays arabes indique que quelque chose y a profondément changé». Une vague que peu d’observateurs avaient vu venir, et qui a permis «l’émergence d’une jeunesse active» face à des vieux dictateurs.
«Personne ne pensait que la révolution, peut-être le plus beau moment depuis les indépendances, commencerait en Tunisie, souvent décrit comme un petit pays. Et pourtant c’est là que s’est produit le réveil d’une société civile jeune qui avait des demandes très spécifiques et très sophistiquées : sur la nécessité d’une constitution, sur la manière de gouverner. Pour autant, cette société civile, qui a vu la naissance d’une vraie culture citoyenne, qui a fait disparaître la peur, n’était pas nécessairement encadrée politiquement», a expliqué Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne. Rien d’étonnant que dans ces périodes de transition, les partis politiques et les forces bien organisées comme les islamistes aient pris le relais.
Dans ce contexte, la question dépasse largement l’antagonisme musulmans-laïcs et le risque d’une dictature religieuse, souvent mis en avant dans les médias occidentaux, ont fait remarquer les participants au colloque de l’IMA.
«La question est de savoir si les islamistes ont le moyen d’instaurer une telle dictature», pense Alain Gresh. Et de citer en exemple l’Egypte où plus personne ne contrôle vraiment les évènements. L’armée, pourvue d’un budget autonome, est indépendante du pouvoir tenu par les Frère musulmans. Idem pour l’institution policière qui continue à réprimer violemment les manifestations, comme elle le faisait avant la chute du régime Moubarak car «elle ne sait pas se comporter autrement».
«Désormais, arrivés au pouvoir, les mouvements islamistes ne peuvent plus se cacher derrière la religion. Ils vont maintenant devoir montrer de quoi ils sont capables», pense Leïla Shahid.
La célébration (très modeste) de deux ans de révolution
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