: Vidéo En Tunisie, les hôpitaux submergés par la vague de Covid-19 : "Une seule source d’oxygène pour trois ou quatre patients"
La nouvelle vague de Covid-19 a submergé des hôpitaux déjà fragilisés par un manque chronique d’investissements.
Quelques jours après le coup de force du président Kaïs Saïed, la Tunisie est dans une situation politique inédite mais continue en parallèle de subir une crise sanitaire d’une ampleur catastrophique. Le pays compte le plus grand nombre de décès en Afrique du Nord. La nouvelle vague de Covid-19 a submergé des hôpitaux déjà fragilisés par un manque chronique d’investissements.
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Les établissements tunisiens sont sinistrés comme l’hôpital Abderrahmen Mami à Tunis. "Regardez la situation, la saleté est partout." D’un geste las, le Dr Jasser Rahim désigne le service des urgences. Ce jeune médecin s’apprête à une garde de 20 heures. "Il y a même une coupure d'eau aujourd'hui". Pas d’eau à l’hôpital par 46 degrés, et alors que les urgences débordent de patients Covid. L’hôpital manque de tout. "Il y a même des patients qui ramènent des matelas de chez eux et les mettent par terre, poursuit-il. On se trouve avec une seule source d'oxygène, et on bricole, on monte les tuyaux en 'Y' pour alimenter trois ou quatre patients à partir d’une seule source. On a vu tellement de jeunes et beaucoup de décès."
Son quotidien, ce sont ces murs écaillés, le manque de lits, plusieurs patients ont dû se partager un seul matelas, assis les uns à côté des autres au lieu d’être allongés, l’inquiétude face à la rareté de l’oxygène. L’alarme de la citerne d’oxygène est en permanence activée. Le camion ne livre que de toutes petites quantités chaque jour, à peine de quoi passer la nuit. "Encore à l’instant, on m’a appelé du service de réanimation. Ils ont une seule place, s’inquiète le médecin. On est en train de choisir. On a une dizaine de patients qui nécessitent une place en réanimation. On va choisir le plus jeune, celui qui a le plus de chances de survivre."
La force de la société civile
Mais la situation s'est améliorée. Il y a trois semaines, les urgences de l'hôpital Mami tournaient à 400% de leur capacité. Les familles attendaient dans la rue, quêtant désespérément un peu d'oxygène. Sans la force de la société civile, le désarroi des soignants serait encore plus grand. L'association Lost and Found Tunisia a ainsi récolté des fonds auprès de la diaspora tunisienne à l’étranger, des citoyens tunisiens afin de distribuer des masques FFP2 par centaines de milliers aux hôpitaux, elle a également pu acquérir grâce aux dons plusieurs dizaines de concentrateurs d'oxygène et monté des hôpitaux de campagne. "L’objectif est de garder les patients chez eux afin de soulager les services d'urgence, explique Mehdi Bouchair, vice-président de l'ONG, et également pharmacien. On est en train de mettre en place un hôpital de campagne à Bizerte, avec 30 lits, 30 oxygénateurs, des infirmiers et tout le personnel médical. Les hôpitaux et les lits manquent."
"Nous avons plus de 180 morts par jour, et ça fait mal parce que nous étions leader en Afrique et dans le monde arabe au niveau de la médecine. On se retrouve maintenant les derniers de la liste."
Mehdià franceinfo
Pourtant l’expertise et l’excellence des médecins tunisiens est reconnue, mais ils s’exilent. La Tunisie connaît depuis quelques années une véritable fuite des cerveaux dans le secteur médical. Les infrastructures en déshérence, les heures supplémentaires non payées, l’agressivité aussi des patients… Beaucoup se laissent tenter par l’appel de la France ou de l’Allemagne, voire pour les chefs de service des pays du Golfe qui multiplient les salaires par dix voire bien davantage. Chaque année le pays perd l’équivalent d’une voire deux promotions de jeunes diplômés.
"La patience du peuple a ses limites"
Le Dr Jasser songe lui aussi à quitter le pays pour faire une équivalence en France. Il invoque aussi des questions de sécurité : "On peut comprendre le désarroi des familles, mais nous faisons tout pour sauver leurs proches, explique-t-il. Il y a toujours des agressions, des vitres cassées, du matériel cassé, des gens qui crient et insultent. On a eu même des confrères qui ont dû s’enfuir poursuivis par les familles de patients décédés. Franchement, il n’y a pas de sécurité. On a demandé 1 000 fois d'avoir au moins un agent de police ou même des agents de sécurité mais rien."
La crise sanitaire est, avec la catastrophe économique, l'une des racines de la récente crise politique, estime le docteur Jribi, de CoviDar, un collectif dont l'action a été saluée par l’OMS. Il a mis en place des consultations gratuites dans tout le pays afin de conseiller les malades du Covid-19 et de tout faire pour les prendre en charge à domicile.
Pour le Dr Jribi, la crise est profonde. "La population ne veut plus compter les morts, explique-t-il, et n'accepte plus qu'il n'y a pas de vaccination massive et n'accepte plus qu'un patient ne trouve pas de lits à l'hôpital. C'est l'une des raisons qui a contribué à l’enthousiasme que l’on a pu voir après les décisions prises par le président, le gel du Parlement et le limogeage d’un gouvernement incapable d’empêcher la catastrophe sanitaire." Mais il avertit : "La patience du peuple a ses limites. L'urgence est aujourd'hui de former un gouvernement à même de sortir enfin le pays de ces crises."
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