Cet article date de plus de huit ans.
Daech: une menace pour la Tunisie?
Plusieurs milliers de Tunisiens seraient engagés dans les rangs de Daech qui a pris pied en Libye. Dans quelle mesure l’organisation djihadiste représente-t-elle une menace pour la Tunisie voisine ? La réponse de Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranée (Cernam) à Genève.
Publié
Temps de lecture : 3 min
Daech représente-t-il vraiment une menace pour la Tunisie ?
Oui. Car l’organisation y est implantée ne serait-ce qu’en raison de la présence sur le territoire tunisien de tous ceux, engagés dans ses rangs, qui sont rentrés au pays.
Il faut aussi tenir compte de la proximité criante entre la Libye et la Tunisie. A titre d’exemple, Tripoli ne se trouve qu’à quelques kilomètres de la frontière entre les deux pays. Aujourd’hui, d’ailleurs, cette frontière n’existe plus. Daech en profite, comme il profite du chaos en Libye où la police n’a plus de ressources pour pister les djihadistes. Le moins que l’on puisse dire, c’est ce que ce pays ne leur est pas hostile.
Quelle fiabilité peut-on accorder aux chiffres cités à propos de Daech et de la Tunisie? A titre d’exemple, les autorités de ce pays affirment avoir empêché 12.000 de leurs ressortissants de partir faire le djihad.
Le sujet est opaque. Toutes les analyses et études en la matière sont approximatives dans la mesure où l’on ne peut pas mener d’enquêtes sur le terrain. Les chiffres sont donc à prendre avec des pincettes. En ce qui concerne celui de 12.000, il me semble exagéré. Il a été donné par le ministre de l’Intérieur qui tient peut-être ainsi à valoriser son action. En Europe aussi, les chiffres peuvent varier d’un ministre à l’autre !
Personnellement, je retiendrais plutôt le chiffre de 5000 Tunisiens partis entre 2011 et 2015 faire le djihad.
D’une manière générale, quelle est l’ampleur du phénomène djihadiste en Tunisie?
Il est difficile à déterminer en raison des éléments que j’indiquais tout à l’heure. Cela est d’autant plus difficile que la police tunisienne, désorganisée après la révolution, n’a pas tout de suite pris conscience de ce phénomène. Au départ, les seuls éléments dont on disposait venaient des services étrangers et des familles. Aujourd’hui, cela reste compliqué de se faire une idée car Daech conseille à ses militants de brouiller les pistes pour échapper aux radars des services de sécurité.
En fait, au lieu de parler de l’ampleur du phénomène, il faut plutôt, à mon sens, parler de la faiblesse de la Tunisie, de celle de ses institutions qui manquent de moyens, d’une culture policière plus habituée à assurer la sécurité du régime que de s’adapter aux nouvelles menaces. Il faut aussi parler des difficultés économiques du pays.
Se pose par ailleurs un problème politique. En l’occurrence l’impasse du Printemps arabe qui n’a pas su donner de perspectives à l’islam modéré. De plus, les problèmes de la transition politique après la révolution, et les discussions sur la Constitution ne parlent pas à la jeunesse défavorisée, aux laissés-pour-compte de la société, qui veulent des emplois et de l’argent. Autant d’éléments qui ont précipité des milliers de jeunes dans les bras de l’islam radical.
Que dire de l’attitude des pays occidentaux ? Notamment de celle des Etats-Unis qui viennent d’accorder à la Tunisie le statut d’«allié majeur non-membre de l’OTAN» ?
Je pense que c’est très maladroit. D’abord parce que cette affaire a déplu à l’Algérie qui a beaucoup soutenu la Tunisie : Alger a fait un effort militaire considérable face à la menace djihadiste en verrouillant les frontières occidentales de son voisin.
A mon sens, il serait préférable de donner des moyens pour former la police, de convaincre les investisseurs de s’installer dans le pays. Alors que ces derniers le quittent pour s’installer au Maroc. On est confronté là à l’aveuglement des pays occidentaux qui n’ont pas vu venir le Printemps arabe et qui abandonnent la Tunisie.
Le statut accordé par l’Otan semble justement prouver le contraire !
A mon sens, il ne traduit pas un engagement sincère des pays occidentaux. Il a fallu que Daech agite leurs chancelleries pour qu’ils se décident à apporter une aide. Mais celle-ci est toujours vue sous le prisme sécuritaire. Et comme toujours, ces pays agissent dans l’urgence !
Globalement, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la Tunisie?
L’un des mérites du Printemps arabe a été de promouvoir la liberté de l’individu. Les gens n’ont plus peur de s’exprimer, comme on l’a vu le 19 janvier à Kasserine. Aujourd’hui, c’est la rue qui devient le seul parti politique crédible. L’élite est questionnée par les laissés-pour-compte et ceux qui ont porté la révolution. Ils ont montré à l’Occident que les régimes arabes qui sont tombés étaient des fictions. Un régime stable ne tombe pas aussi facilement !
Egalement enseignant au Global Studies Institute de l’université de Genève, Hasni Abidi est l’auteur du livre Monde arabe : entre transition et implosion (Erick Bonnier).
Oui. Car l’organisation y est implantée ne serait-ce qu’en raison de la présence sur le territoire tunisien de tous ceux, engagés dans ses rangs, qui sont rentrés au pays.
Il faut aussi tenir compte de la proximité criante entre la Libye et la Tunisie. A titre d’exemple, Tripoli ne se trouve qu’à quelques kilomètres de la frontière entre les deux pays. Aujourd’hui, d’ailleurs, cette frontière n’existe plus. Daech en profite, comme il profite du chaos en Libye où la police n’a plus de ressources pour pister les djihadistes. Le moins que l’on puisse dire, c’est ce que ce pays ne leur est pas hostile.
Quelle fiabilité peut-on accorder aux chiffres cités à propos de Daech et de la Tunisie? A titre d’exemple, les autorités de ce pays affirment avoir empêché 12.000 de leurs ressortissants de partir faire le djihad.
Le sujet est opaque. Toutes les analyses et études en la matière sont approximatives dans la mesure où l’on ne peut pas mener d’enquêtes sur le terrain. Les chiffres sont donc à prendre avec des pincettes. En ce qui concerne celui de 12.000, il me semble exagéré. Il a été donné par le ministre de l’Intérieur qui tient peut-être ainsi à valoriser son action. En Europe aussi, les chiffres peuvent varier d’un ministre à l’autre !
Personnellement, je retiendrais plutôt le chiffre de 5000 Tunisiens partis entre 2011 et 2015 faire le djihad.
D’une manière générale, quelle est l’ampleur du phénomène djihadiste en Tunisie?
Il est difficile à déterminer en raison des éléments que j’indiquais tout à l’heure. Cela est d’autant plus difficile que la police tunisienne, désorganisée après la révolution, n’a pas tout de suite pris conscience de ce phénomène. Au départ, les seuls éléments dont on disposait venaient des services étrangers et des familles. Aujourd’hui, cela reste compliqué de se faire une idée car Daech conseille à ses militants de brouiller les pistes pour échapper aux radars des services de sécurité.
En fait, au lieu de parler de l’ampleur du phénomène, il faut plutôt, à mon sens, parler de la faiblesse de la Tunisie, de celle de ses institutions qui manquent de moyens, d’une culture policière plus habituée à assurer la sécurité du régime que de s’adapter aux nouvelles menaces. Il faut aussi parler des difficultés économiques du pays.
Se pose par ailleurs un problème politique. En l’occurrence l’impasse du Printemps arabe qui n’a pas su donner de perspectives à l’islam modéré. De plus, les problèmes de la transition politique après la révolution, et les discussions sur la Constitution ne parlent pas à la jeunesse défavorisée, aux laissés-pour-compte de la société, qui veulent des emplois et de l’argent. Autant d’éléments qui ont précipité des milliers de jeunes dans les bras de l’islam radical.
Que dire de l’attitude des pays occidentaux ? Notamment de celle des Etats-Unis qui viennent d’accorder à la Tunisie le statut d’«allié majeur non-membre de l’OTAN» ?
Je pense que c’est très maladroit. D’abord parce que cette affaire a déplu à l’Algérie qui a beaucoup soutenu la Tunisie : Alger a fait un effort militaire considérable face à la menace djihadiste en verrouillant les frontières occidentales de son voisin.
A mon sens, il serait préférable de donner des moyens pour former la police, de convaincre les investisseurs de s’installer dans le pays. Alors que ces derniers le quittent pour s’installer au Maroc. On est confronté là à l’aveuglement des pays occidentaux qui n’ont pas vu venir le Printemps arabe et qui abandonnent la Tunisie.
Le statut accordé par l’Otan semble justement prouver le contraire !
A mon sens, il ne traduit pas un engagement sincère des pays occidentaux. Il a fallu que Daech agite leurs chancelleries pour qu’ils se décident à apporter une aide. Mais celle-ci est toujours vue sous le prisme sécuritaire. Et comme toujours, ces pays agissent dans l’urgence !
Globalement, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la Tunisie?
L’un des mérites du Printemps arabe a été de promouvoir la liberté de l’individu. Les gens n’ont plus peur de s’exprimer, comme on l’a vu le 19 janvier à Kasserine. Aujourd’hui, c’est la rue qui devient le seul parti politique crédible. L’élite est questionnée par les laissés-pour-compte et ceux qui ont porté la révolution. Ils ont montré à l’Occident que les régimes arabes qui sont tombés étaient des fictions. Un régime stable ne tombe pas aussi facilement !
Egalement enseignant au Global Studies Institute de l’université de Genève, Hasni Abidi est l’auteur du livre Monde arabe : entre transition et implosion (Erick Bonnier).
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