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Attaque djihadiste de Ben Guerdane: la Tunisie a «peur», raconte un journaliste

Le «bilan définitif» des attaques djihadistes sans précédent menées le 7 mars 2016 à Ben Guerdane, non loin de la Libye, est de 36 extrémistes, 12 membres des forces de l'ordre et sept civils tués, a annoncé le Premier ministre, Habib Essid. Comment réagissait-on dans le pays au lendemain de ces opérations ? Le témoignage d’un journaliste sur place qui reste anonyme pour des raisons de sécurité.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un militaire tunisien devant une maison criblée de balles lors de l'opération djihadiste à Ben Guerdane le 7 mars 2016. Une preuve de la violence des combats. (AFP - Fathi Nasri)
Quelle est la réaction de l’opinion tunisienne face à ces attaques d’une grande ampleur ?
Une réaction de peur. D’autant qu’il ne semble pas y avoir de stratégie politique face au terrorisme. Après l’attaque du 7 mars, un journaliste, jugé crédible, a révélé à la télévision qu’un document des services secrets, rédigé le 22 décembre 2015, annonçait la préparation d’une attaque contre Ben Guerdane. Cette affaire est évidemment scandaleuse car on aurait dû anticiper les choses. On raconte aussi que la découverte de dépôts d’armes dans la ville a été permise par les révélations des terroristes arrêtés. Là encore, les services compétents n’ont pas su anticiper.
 
En la matière, il y a un précédent fameux dans le passé. Ainsi, la CIA avait alerté les autorités sur les risques d’assassinat du député Mohammed Brahmi, tué en juillet 2013. Le pays était alors dirigé par un gouvernement de troïka (mené par les islamistes d’Ennahda, NDLR). Et le ministère de l’Intérieur était probablement infiltré (par des islamistes, NDLR). Peut-être l’est-il toujours aujourd’hui.
 
Le fait de savoir si le pouvoir était prévenu de l’attaque du 7 mars pose évidemment plusieurs questions. S’il était au courant, quelle a été l’attitude du chef du gouvernement, souvent jugé mou et manquant de personnalité ? Pourquoi les décisions qui s’imposaient n’ont-elles pas été prises ?  

Mais on peut envisager une autre éventualité : celle que le document des services secrets se soit perdu dans les coulisses de la bureaucratie et ne soit pas parvenu jusqu’à l’exécutif.
 
Quelle est la part des divisions au sein du parti gouvernemental Nidaa Tounès?
Le parti a explosé. Le pouvoir n’a plus de majorité. La formation qui a désormais le plus grand nombre de représentants au Parlement, c’est Ennahda. Même Béji Caïd Essebsi, qui devrait être le président de tous les Tunisiens, s’est mêlé de cette affaire et en a parlé à la télévision ! Aujourd’hui, on ne sait plus qui dirige quoi. Au niveau de l’exécutif, on ne sait plus à qui se référer. Le pays est figé, paralysé !

Policiers tunisiens en faction sur un toit à Ben Guerdane le 8 mars 2016 (REUTERS - Zoubeir Souissi)
 
Pendant ce temps, le terrorisme travaille. Il s’organise. Planifie. Inspecte les lieux avant d’agir. Très tôt le 7 mars avant leur opération à Ben Guerdane, les activistes ont tué un responsable policier et un dirigeant des douanes pour contrecarrer la réaction des autorités.
 
Pendant que les politiques mènent leurs petites guerres, on oublie que nous sommes un pays en guerre. Alors qu’il faudrait une stratégie beaucoup plus offensive. Donner des matériels modernes aux soldats qui ne sont pas bien équipés. Par exemple, les services de sécurité manquent d’hélicoptères. Dans le même temps, les 500 km de frontière avec la Libye sont mal surveillés par un mur qui n’est en fait qu’une barrière de sable. Les autorités comptent sur la France pour la sécuriser.

Quelle part joue les difficultés régions de l’intérieur, qui ont notamment conduit aux récentes émeutes de Kasserine (centre-ouest)?
Rien n’est fait ! Il faut voir que parmi les terroristes qui ont attaqué à Ben Guerdane, beaucoup étaient apparemment originaires de là. Il s’agit notamment de très jeunes gens qui vivent dans le dénuement total caractéristique de ces régions frontalières. Dénuement économique, social, culturel. 
 
On trouve là un terreau pour le terrorisme. Il n’est pas difficile d’attirer des candidats. Ceux-ci sont recrutés par des gens qui maîtrisent la communication, qui savent s’adresser aux jeunes. Ils leur donnent un statut, un avenir (le paradis), une femme, une voiture…
 
Comment voyez-vous l’avenir ?
Je ne le vois pas. Je suis comme tous les Tunisiens : je vis au jour le jour !

Il faut voir aussi que si une nouvelle guerre éclate en Libye avec, notamment, une intervention occidentale, la situation risque d’empirer dans notre pays, notamment avec un nouvel afflux de réfugiés. En 2011, nous avons déjà accueilli un million de Libyens. Depuis, en Tunisie, la situation économique s’est considérablement dégradée…

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