Menace terroriste : "Les services ont du mal à apprécier la dangerosité des suspects"
L’homme arrêté en Isère après son opération lancée contre la société Air Products, avait fait l’objet d’une surveillance des services français. Alors pourquoi n’a-t-il pas été arrêté avant de commettre cet attentat ? Eléments de réponse avec Claude Moniquet, ancien membre de la DGSE.
Yassin Salhi, l’homme arrêté en Isère après son opération lancée contre la société Air Products, avait fait l’objet d’une surveillance des services français. De même que Mérah, Coulibaly ou les frères Kouachi. Alors pourquoi n’ont ils pas été arrêtés avant de commettre leurs attentats ? Existe-t-il un profil commun à tous ces hommes ? Pour Francetv Info, Claude Moniquet, ancien membre de la DGSE, nous donne son analyse :
Francetv info : Cette fois nous sommes face à ce qui semble être une vague d’actions ultra violentes en France comme à l’étranger. Quels sont vos premiers constats ? Que dire des auteurs de ces actions, comment les services font ils face ?
Claude Moniquet : L’ampleur constitue une question majeure pour les services de sécurité. Rappelons que, pour une surveillance efficace d’un suspect, on mobilise environ 20 fonctionnaires de police. Et si cette personne voyage, le chiffre peut monter jusqu’à 50 ou 60. Et nous sommes face à des milliers de suspects potentiels dans un pays comme la France.
Il ne s’agit pas ici de sombrer dans la parano mais de faire face clairement à la nouveauté du phénomène que nous vivons. Cette réalité est énorme et nous n'avons pas les moyens de tout vérifier. Autre difficulté, les services de renseignement sont historiquement formatés pour s’attaquer à des pays, à des structures et à des groupes, pas à des individus. Cela correspond davantage à un travail de police. Nous sommes donc face à un changement profond de registre du métier. Mais en marge de cela je dirais, quand même, qu’il y a un sérieux problème pour ces mêmes services. Réellement, ils travaillent très bien. Mais, je le dis en tant qu’ancien acteur de ces structures, nous avons un point faible qui est clairement celui de l’analyse de la dangerosité. Si vous prenez tous les cas de ces dernières années : Mérah, les frères Kouachi, Coulibaly et maintenant l’auteur de l’attentat en Isère, tous ces gens ont bel et bien été repérés, mais en sont sortis à un moment ou un autre. Donc, leur dangerosité n’a pas été estimée à sa juste valeur. Pourtant, à chaque fois, les signes sont troublants.
Dans le cas d’Air Products, l’auteur présumé est proche du tabligh. C’est un mouvement missionnaire, de réislamisation, piétiste, et populiste qui fonctionne plus au sentiment d’appartenance à une communauté, qu’à la théologie. Il est assez proche des milieux salafistes. Mais soyons clair, ce mouvement est fondamentaliste, mais pas terroriste. Ce que je veux seulement dire c’est que beaucoup de gens dangereux sont passés par ses rangs. Qui plus est, à l’époque où l’auteur des faits en Isère était sous surveillance. Il avait d’assez fréquentes absences de 2 à 3 mois, et les services ne le localisaient pas. Questions : s’entraînait il quelque part ? Quand on a quelqu’un comme lui qui fait l’objet d’une fiche S 13, alors que l’indice maximal est S 16 ? Il est curieux qu’il disparaisse des écrans radar.
Si nous n’avons pas les moyens humains de garantir une vraie surveillance, comment apprécier la dangerosité des personnes suspectes ?
En utilisant, ce qui a récemment fait polémique, la loi sur le renseignement qui vient d’être votée. A présent, on peut mettre en place des moyens électroniques de surveillance en matière de téléphonie, d’internet… On peut quand même penser que le responsable présumé de ce qui s’est passé en Isère ne s'est pas levé hier matin en se disant, brutalement, qu’il allait commettre les horreurs auxquelles nous venons d'assister. Il y a eu très certainement des signes avant-coureurs, comme se connecter à des sites islamistes, échanger en ligne… La prise en compte de tout cela aurait pu permettre de mieux apprécier sa dangerosité.
Y a-t-il aussi, selon vous, un problème de surveillance aux frontières sur les allées et venues des personnes suspectes ?
Cela est en réalité très difficile. J’étais hier à Varsovie, à Frontex, qui est l’agence européenne pour la gestion des frontières de l’espace européen, et l’on voit clairement que de vraies questions se posent. On le sait, à l’intérieur de l’union européenne, il n’y a pas de contrôle. Mais aux frontières extérieures, les traités disent qu’on ne peut pas pratiquer de contrôles systématiques des ressortissants européens. On peut certes contrôler par sondages, mais pas l’intégralité des personnes qui passent. Autrement dit, pour quelqu’un qui vient de l’extérieur et qui est porteur d’un passeport européen, on regarde ses papiers et on le laisse passer. Donc, il y a là une faiblesse manifeste.
Vous parlez du repérage, voire de l’interpellation des personnes, mais leur recrutement est particulièrement difficile à constater ?
Tout à fait. Certaines personnes passent par des processus assez classiques. Si les premiers contacts se font par internet, à un moment donné, il y a bien contact physique et voyage. Or, l’organisation État Islamique a développé une capacité à non seulement recruter, mais aussi à motiver. Et cela est manifeste quand on voit le cas de l’Australie, du Canada, des Etats-Unis ou du Danemark. En fait, Daech donne une ombrelle politique et religieuse à des types qui ont des comptes personnels à régler, ce qui était manifestement le cas en Isère puisque c’est le propre patron du criminel présumé qui a été égorgé. Ainsi, des gens qui n’ont peut-être jamais été en relation avec le groupe État Islamique peuvent passer à l’acte. Ils ont été, je dirais, "infectés" à distance par la propagande et se sont saisis de la marque pour commettre leur crime, ce qui les rend quasi indécelable.
On est dans l’ordre du culturel, du religieux, du psychologique ?
Certes, mais avec selon moi, une dimension psychopathologique évidente. Nemouche, les Kouachi, ou Coulibaly... tous ont le profil classique défini par la psychiatrie criminelle. Enfance sans amour, placements successifs en familles d’accueil, et donc des personnes sans affect, qui deviennent des psychopathes.
Mais cela ne se réduit pas seulement à une question d’équilibre mental. Des enfants de classe moyenne, apparemment sans problèmes particuliers, sont partis combattre en Syrie aux côtés des gens de l’EI ?
C’est exact. Nous sommes confronté, d’un côté, à des psychopathes, dans les profils de ceux que nous connaissons en tant qu’auteurs d’actions terroristes. Mais de l'autre, il y a l'exemple Youssoup, le jeune de Schiltigheim, parti à 20 ans en Syrie, alors qu'il était pourtant intégré et possédait même un job à la mairie. Ce sont des enfants de la classe moyenne ou supérieure, qui, eux, ont davantage été travaillés par un sentiment de culpabilité. C’était d’ailleurs souvent le mécanisme en action pour les recrues d’Al-Qaïda et notamment les auteurs des attentats du 11 septembre. Leur base religieuse est beaucoup plus solide que les autres, et des gens leur disent : " tu crois être un bon musulman, mais c’est faux.Tu vis en occident dans le luxe, regardes tes frères qui souffrent en Tchétchénie ou en Syrie. Que fais tu pour eux ?".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.