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Tchad: perpétuité pour Hissène Habré, les victimes soulagées
C’est un profond soulagement pour les victimes de Hissène Habré. Elles se sont battues pendant 25 ans pour faire entendre leurs voix. Pour voir leur bourreau traîné enfin devant un tribunal digne de ce nom. Elles ont obtenu gain de cause le 26 avril 2017 avec sa condamnation à perpétuité pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture à l'issue de son procès en appel.
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Au total, 90 personnes se sont succédé à la barre pour livrer leurs témoignages devant le tribunal spécial de Dakar. Elles ont pu décrire les conditions inhumaines vécues dans les prisons-mouroirs et les camps de la mort de Hissène Habré.
Avec des détails qui donnent froid dans le dos sur les principales formes de torture employées par leurs bourreaux. Parmi elles, «l’arbatrar» de triste mémoire. «Les bras et les jambes du supplicié étaient attachés dans son dos afin d’interrompre le flux sanguin, ce qui conduisait rapidement à une paralysie», raconte un survivant.
Les rescapés ont expliqué comment le service pénitencier «refusait de retirer les cadavres des cellules, tant qu’un certain nombre n’avait pas été atteint, laissant des détenus côtoyer des cadavres en décomposition».
Selon les estimations d’une commission d’enquête tchadienne, la répression sous Hissène Habré a fait 40.000 morts.
«Un droit de vie et de mort» sur son peuple
Bandjim Bandoum était responsable au sein de la police politique, la fameuse DDS. Il a témoigné devant le tribunal spécial de Dakar qui a jugé Hissène Habré : «Les rapports sur les détenus envoyés à la présidence revenaient avec des annotations : E pour exécution, L pour libération, ou V pour vu. Seul le président pouvait ordonner une libération», a-t-il précisé.
Il se souvient d’une demande du CICR, le Comité international de la Croix Rouge qui recommandait à l’époque l’hospitalisation de certains prisonniers politiques.
Bandjim Bandoum a gardé en mémoire le contenu de la note manuscrite rédigée par Hissène Habré en guise de réponse et adressée à ses hommes de main: «Désormais, aucun prisonnier de guerre ne doit quitter la Maison d’Arrêt, sauf cas de décès, car le CICR a fait fuir de nombreux prisonniers de guerre.»
Un véritable droit de vie et de mort sur son peuple, selon Me Yaré Fall, avocat des parties civiles.
Des femmes utilisées comme esclaves sexuelles
Des témoignages émouvants ont été rapportés par des femmes envoyées dans le nord du Tchad désertique «pour être utilisées comme esclaves sexuelles dans l’armée de Hissène Habré». Des soldats les ont violées à plusieurs reprises. Deux d’entre elles avaient alors moins de 15 ans.
Pendant plusieurs années, Clément Abaifouta «a été forcé d’enterrer les corps des personnes décédées en détention dans des charniers». Il a témoigné devant le tribunal de Dakar en tant que président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré.
Parmi les rescapés qui se sont succédé à la barre, un Sénégalais, Abdourahmane Gueye, a raconté le calvaire qu’il a subi dans le camp des martyrs à N'Djaména. C’est là qu’il fut conduit et enfermé dans une cellule surpeuplée en mars 1987. Il était accusé d’être un espion à la solde de la Libye alors qu’il se rendait au Tchad depuis Bangui pour vendre de l’or et des bijoux à des soldats français.
Après avoir demandé à rencontrer un avocat, un co-détenu lui expliqua : «Ici mon frère, c’est Dieu seul qui peut nous faire sortir. C’est si tu meurs, que tu peux sortir. Ou si le régime est renversé.» S’il n’est pas mort en prison, c’est grâce à l’intervention de son pays. Le Sénégal a mené l’enquête après sa disparition et a obtenu sa libération.
C’est un homme soulagé qui attendait son «moment de justice» depuis des années.
«Planificateur et donneur d’ordres»
Pour les avocats des parties civiles, Hissène Habré a planifié tous ces crimes sous son règne (1982-1990). «Il a créé de toutes pièces sa police politique pour neutraliser ses ennemis», puis il a «donné des ordres qui ont abouti directement à des crimes», affirme l’avocat suisse Alain Merner.
Son confrère tchadien enfonce le clou: «Sa responsabilité individuelle et pénale est engagée en tant que supérieur hiérarchique.»
L’ancien président tchadien a écouté tous les témoignages des survivants sans broncher. Pour le procureur général qui a prononcé son réquisitoire mercredi 10 février 2016, il n'y a aucun doute, l'accusé a été le véritable «chef de service» de l'appareil de répression qu'il a mis en place durant son régime. Le procureur général a donc demandé sa condamnation pour crimes contre l'humanité et requis la prison à perpétuité. Des réquisitions qui ont été suivies, puisqu'il a été condamné à perpétuité, le 26 avril 2017.
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