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CANNES 2016. Afrique: crimes contre l'humanité, ils témoignent sur grand écran

«Wrong Elements» de Jonathan Littell et «Hissein Habré, une tragédie tchadienne» de Mahamat-Saleh Haroun, présentés en séances spéciales pendant l'édition 2016 du Festival de Cannes, reviennent respectivement sur les crimes perpétrés par la rébellion de l'Armée de résistance du seigneur en Ouaganda et le régime d'Hissein Habré. Tous d'eux grâce aux témoignages des victimes et des bourreaux.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
  (DR)

La rébellion ougandaise de l'Armée de résistance du seigneur (LRA), lancée en 1989 par Joseph Kony, a augmenté ses effectifs en faisant des enlèvements d'adolescents une stratégie d'expansion. Pour son premier long métrage, l'écrivain franco-américain Jonathan Littell a recueilli, entre autres, les témoignages de Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa qui furent enrôlés de force.

Son documentaire Wrong Elements, présenté en séance spéciale pendant l'édition 2016 du Festival de Cannes, reconstitue ainsi la façon d'opérer d'un mouvement dont l'objectif affiché est de protéger les Acholis (ethnie du nord du pays) du «massacre» planifié par le régime du président Yoweri Museveni (au pouvoir depuis 1986). Le chef rebelle Joseph Kony, héritier désigné de la «prophétesse» et rebelle acholie Alice Lakwena dont le mouvement a été mis en échec par l'armée ougandaise, est engagé dans une lutte sanguinaire.



Amnistie et pardon
Les protagonistes de Wrong Elements sont à la fois victimes et bourreaux, eu égard aux exactions commises par le LRA. «Le groupe armé a tué et mutilé des milliers de civils dans des régions reculées du nord de l’Ouganda, du nord-est de la République démocratique du Congo, du Soudan du Sud et de la République centrafricaine», précise un document de l'ONG Human Rights Watch.

Biberonnés par la réthorique de la rébellion, ils ont tué pour ne pas être tués la première fois. Puis, ils se sont transformés en meurtriers. En plus d'être des combattantes, les adolescentes, elles, sont devenues des esclaves sexuelles et les compagnes de soldats âgés de «40-50 ans» et dont certains avaient «jusqu'à 50 épouses». Nighty se souvient de ces relations sexuelles qui les blessaient parce que leur corps n'était pas prêt.

«Qu'advient-il du concept de faute et de responsabilité quand l'auteur (des crimes), enlevé quand il était enfant, devient dans le seul système de référence qu'il a connu, en toute conscience, un tueur?», interroge Jonathan Littell dans sa note d'intention. C'est d'ailleurs à ce titre que moins de la moitié des enfants enlevés, sur les 60.000 kidnappés sur vingt-cinq ans, qui ont réussi à survivre font l'objet d'une amnistie.

Geofrey, l'un des protagonistes du documentaire de Jonathan Littell, «Wrong Elements». Photo du film. (DR)


A l'exception des principaux responsables de la LRA. Notamment Dominic Ongwen, recruté à l'âge de 12 ans. Il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Dominic Ongwen est actuellement détenu par la Cour pénale internationale (CPI). Il a été transféré après s'être livré à la Force de défense du peuple ougandais (UDPF) qui traque les derniers soldats de la LRA (environ 200) et leur chef Joseph Kony.

Les anciens enfants soldats échappent à la justice mais pas à la vengeance des familles des victimes. Quand Geofrey, soldat du LRA de 13 à 16 ans, se rend dans un des villages où la rébellion a mené l'une de ses expéditions punitives et y rencontre une femme dont les membres de sa famille ont été tués, la question du pardon est inévitable. Et sensible.


Entre une victime (à gauche) et un bourreau se tient Clément Abaïfouta, le président de l'Association des victimes du régime d'Hissen Habré. Photo du documentaire «Hissen Habré, une tragédie tchadienne» signé Mahamat-Saleh Haroun. (DR)


C'est de pardon qu'il est aussi question dans Hissein Habré, une tragédie tchadienne, documentaire de Mahamat-Saleh Haroun également présenté en séance spéciale, quand un bourreau et une victime se rencontrent sur un banc grâce à la médiation de Clément Abaïfouta, le président de l'Association des victimes du régime d'Hissein Habré (AVCRHH).

Le cinéaste tchadien s'est posé la question de savoir s'il existait «encore une place pour le pardon dans le cœur des rescapés». La scène qu'il filme laisse perplexe. Comme dans Wrong Elements, où Dominic Ongwen rapelle qu'il suivait les ordres de son supérieur, le bourreau qui officiait dans les camps du régime d'Hissein Habré souligne qu'il était, lui, «un chien dressé à l'attaque». En attendant, ils ont fait de certains «des légumes», résume une victime. J'ai connu «l'enfer sur Terre», poursuit-il.



Résilience et justice
Je suis devenue un «être sans larmes», confie pour sa part l'épouse d'un commissaire de police également arrêté par la Direction de la documentation et de la sûreté (DDS), la police secrète du pouvoir d'alors. Près de 40.000 personnes auraient trouvé la mort dans les geôles sous le règne de l'ancien président tchadien (1982-1990) jugé par les Chambres africaines extraordinaires à Dakar (Sénégal) pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture. Le verdict est attendu le 30 mai 2016.

Les témoignages poignants rassemblés par Wrong Elements et Hissein Habré, une tragédie tchadienne, parlent surtout de résilience. De résilience pour ces ex-enfants soldats, traumatisés aussi bien par les sévices subis que les crimes qu'ils ont commis. Pour certains, le «Cen» (l'esprit) de leurs victimes, vient encore les hanter.

Il est aussi question de résilience pour les victimes d'Hissein Habré. Elles ont trouvé une raison de vivre dans leur association et leur démarche judiciaire qui a abouti après plus de quinze ans procédures (réfugié au Sénégal depuis 1990, Hissein Habré a été arrêté en 2013 et son procès a commencé deux ans plus tard). Selon Clément Abaïfouta, les rescapés trouvent un sens à leur vie parce qu'elle sert à «lutter pour ceux qui sont morts en prison»

Enfin, ces deux documentaires évoquent l'espoir que justice soit faite pour tous ces Africains qui sont victimes de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Pour la rébellion ougandaise de la LRA, le  processus est enclenché même si son leader est toujours en fuite. En ce qui concerne, l'ancien dictateur Hissein Habré, la justice est en train de passer.

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