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Quatre questions sur la situation au Soudan, où l'armée a commencé à réprimer les manifestations

Le sit-in pacifique qui durait depuis plus de deux mois à Khartoum, et qui a entraîné la chute du président Omar el-Béchir, a été violemment dispersé lundi. Au moins 60 personnes sont mortes.

Article rédigé par franceinfo
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Des militaires soudanais déployés dans une rue proche du QG de l'armée à Khartoum, capitale du Soudan, devant lequel se tient depuis deux mois un sit-in d'opposants au régime. (ASHRAF SHAZLY / AFP)

La révolution soudanaise a connu un tournant lundi 3 juin. L'armée a violemment dispersé un sit-in qui durait depuis deux mois à Khartoum et représentait l'épicentre de la contestation. Ce mouvement pacifique a conduit au renversement, le 11 avril, du dictateur Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 30 ans. Les Soudanais, qui exigent la remise du pouvoir aux civils, n'avaient pas quitté la rue pour autant. Selon le Comité central des médecins soudanais, cette soudaine répression militaire a provoqué la mort d'au moins 60 personnes, selon un dernier bilan.

Comment est né le mouvement ?

Il a débuté, bien avant le sit-in de Khartoum, par la décision du gouvernement soudanais de tripler le prix du pain le 19 décembre 2018. Une vague de contestation s'est alors élevée dans plusieurs villes du pays et les revendications ont vite dépassé la question des prix : "Le peuple veut la chute du régime" est devenu le cri de ralliement des manifestants, soutenus par les partis d'opposition mais surtout par un syndicat, l'Association des professionnels soudanais. Après avoir réprimé ces rassemblements, le pouvoir a tenté de jouer l'apaisement, début 2019, en promettant d'améliorer le niveau de vie. 

Bravant l'état d'urgence instauré en février, les manifestants ont continué leur mobilisation dans de nombreuses villes du pays, et notamment à Khartoum, la capitale, où la foule à commencé à se relayer jour et nuit, à partir du 6 avril, pour un sit-in devant le QG de l'armée. Dans les rangs des contestataires, de très nombreux jeunes, et notamment beaucoup de femmes, dont la présence a été très remarquée. Les soldats, loin de disperser cette foule pacifique, se sont déployés pour la protéger des services de sécurité, lâchant ainsi le régime d'Omar el-Béchir. Le 11 avril, le ministre de la Défense a finalement annoncé la destitution de celui qui présidait le pays depuis un coup d'Etat en 1989, et la mise en place d'un "conseil militaire de transition" censé durer deux ans.

Pourquoi les manifestations ont continué ?

Le renversement du dictateur Omar el-Béchir n'a pas marqué la fin du mouvement populaire, loin de là. "Les gens ne veulent pas d'un conseil militaire de transition" mais "un conseil civil", a réagi Alaa Salah, une étudiante devenue une icône du mouvement. Les manifestations se sont poursuivies pour réclamer, comme en Algérie, que les changements ne touchent pas simplement le président mais toute la structure du régime.

Des négociations se sont engagées entre le nouveau pouvoir militaire et des représentants de l'opposition, et un accord de principe a même été trouvé, fin avril, sur la constitution d'un conseil civil composé de membres de ces deux camps puis, mi-mai, sur la mise en place d'une période de transition de trois ans. Mais les pourparlers, déjà suspendus à plusieurs reprises, se sont enlisés sur la question de la répartition du pouvoir entre civils et militaires au sein des futures instances. 

Les discussions sont officiellement bloquées depuis le 20 mai. Les 28 et 29 mai, l'opposition a organisé deux jours de grève générale pour faire pression. En guise de réponse, des centaines de soutiens des militaires ont manifesté à Khartoum vendredi.

En quoi la répression de l'armée marque-t-elle un tournant ?

Les relations entre les militaires et l'opposition s'étaient déjà tendues au sujet des barrages dressés sur les routes du pays et à Khartoum, aux abords du sit-in. Et des heurts entre manifestants et forces de l'ordre ont fait des dizaines de morts depuis le début du mouvement. Mais l'armée s'était toujours défendue de vouloir démanteler le rassemblement principal, dans la capitale.

Le ton a changé depuis samedi : des soldats et des agents des forces de sécurité ont été déployés pour empêcher l'accès à une zone proche du rassemblement et plusieurs personnes ont été tuées dans des circonstances peu claires. Leur action s'est durcie lundi et des tirs ont retenti près de la place où sont regroupés les manifestants. Le scénario reste néanmoins confus.

Le Comité central des médecins soudanais, proche du mouvement de contestation, affirme que le rassemblement a été violemment dispersé et parle d'un massacre qui aurait fait au moins 60 morts et "des centaines" de blessés. La communauté internationale, notamment l'ONU, a aussitôt condamné cette répression. Ce n'est pas la version des militaires, qui affirment n'avoir visé qu'une zone "dangereuse" proche de la place où se rassemblent les opposants, décrite comme "un foyer de corruption et d'activités" illicites par le porte-parole du conseil militaire.

Reste que ces événements ont creusé le fossé entre le pouvoir militaire et l'opposition, qui a dénoncé un "putsch" contre la volonté populaire. Dans la foulée, le mouvement de contestation a indiqué couper "tout contact" avec les militaires. Mardi 4 juin, ceux-ci ont annoncé qu'ils annulaient toutes les mesures sur lesquelles ils s'étaient mis d'accord avec les manifestants et ont appelé à des élections dans un délai de neuf mois.

Est-ce la fin du mouvement contestataire ?

Les opposants n'ont pas l'intention d'abandonner leur combat. L'Alliance pour la liberté et le changement, fer de lance de la contestation, qui promeut la "désobéissance civile", a appelé à des "marches pacifiques" mardi en hommage aux "martyrs" tués la veille. Les militaires, eux, ont assuré "regretter" la tournure prise par leur opération de lundi et ont promis une enquête. Ils se défendent d'empêcher l'occupation de la place : "Les tentes sont là et les jeunes peuvent y circuler librement", a assuré le général Shamseddine Kabbashi. Ce que démentent des témoins, selon Libération.

Mardi, le journal rappelait que l'opération de la veille faisait suite à une tournée du chef du conseil militaire, Abdel Fattah al-Burhan, en Egypte, aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite. Trois pays qui forment, selon le quotidien, un "axe contre-révolutionnaire" habitué à "soutenir les régimes autoritaires face à toute revendication démocratique", au nom de la stabilité de la région. Leur soutien au pouvoir militaire soudanais ne signe pas la fin de la contestation populaire. Mais il pourrait peut-être faire pencher la balance.

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