Au Soudan, la crise de liquidités aggrave la misère de la population
Aux pénuries en tous genres et à la flambée des prix qui minent la vie des Soudanais vient désormais s’ajouter la difficulté à obtenir des liquidités. Ce pays qui s’enlise dans la crise se classe désormais parmi les plus pauvres du monde.
Ils font la queue pendant des heures sous le soleil brûlant dans l'espoir de retirer de l'argent des distributeurs automatiques dans la capitale soudanaise. La quête d'argent liquide est devenue un sport national au Soudan, pays plongé dans une profonde crise économique qui a emporté l'ancien président Omar el-Béchir, sous la pression de la rue.
Coupures d'électricité, pénurie de carburants et prix prohibitifs
Ce désagrément vient s'ajouter à la longue liste des difficultés de la vie quotidienne des Soudanais : coupures d'électricité, pénurie de carburants et prix prohibitifs, entre autres. "J'essaie depuis huit jours en vain, mais aujourd'hui, j'espère que ça va marcher." Halima Souleiman attend sagement dans la file de femmes, qui ne cesse de s'allonger devant une banque sur l'avenue d'Afrique.
La nouvelle de l'arrivée d'un fourgon de transport de fonds à la succursale bancaire s'est répandue comme une traînée de poudre, provoquant instantanément un attroupement. "J'ai attendu en moyenne deux heures par jour sur huit jours et à chaque fois, l'argent déposé dans la machine s'est épuisé", raconte à l'AFP Halima, diplômée de biologie sans emploi. Elle s'engouffre ensuite dans la petite cabine protégeant le distributeur avant d'en sortir un peu plus tard avec une liasse de billets à la main et le sourire aux lèvres.
"L'iftar sera plus copieux ce soir"
Même si le retrait est plafonné à 2000 livres soudanaises, soit une quarantaine de dollars par jour, elle estime que c'est mieux que rien. "L'iftar (repas de la rupture du jeûne du ramadan, NDLR) sera plus copieux ce soir", dit la jeune femme.
Corruption généralisée, répression systématique et guerres internes ont aggravé les difficultés de l'économie sous Omar el-Béchir. En 2011, la sécession du Soudan du Sud a porté un coup dur à l'économie, la privant des trois quarts de ses réserves de pétrole et de l'essentiel des revenus de l'or noir.
Le Soudan a également été affecté par vingt ans d'embargo économique américain en raison de violations présumées des droits humains et de liens avec le "terrorisme". Cet embargo a été levé en 2017, mais le pays reste sur la liste noire américaine des pays soutenant le "terrorisme", entraînant une frilosité des investisseurs étrangers.
Le Soudan connaît une inflation de près de 70% et cumule une dette extérieure de plus de 55 milliards de dollars.
C'est un des pays les plus pauvres au monde, classé 167e sur 189 dans un rapport de l'ONU pour l'année 2018, et le Fonds monétaire international prévoit une croissance négative de 2,3% pour 2019.
Quatre mois de contestation du régime ont accentué ces difficultés, désorganisant les circuits de distribution et créant des pénuries qui ont entraîné une flambée des prix à la consommation, selon des économistes locaux. La crise des liquidités s'alimente de la baisse de la valeur de la livre et du "manque de confiance dans le système bancaire", a expliqué à l'AFP Ibrahim Onour, professeur de finances et d'économie à l'université de Khartoum.
La livre soudanaise a été dévaluée trois fois en 2018. Au taux officiel, en 2017, un dollar s'échangeait contre 6,75 livres et actuellement, contre 47,5 livres (55 livres au marché noir).
L'aide émiratie et saoudienne "insuffisante au regard des besoins actuels"
"On a commencé à retirer les livres pour les convertir en devises (...), ce qui a provoqué une hausse des prix, qui à son tour a entraîné plus de demande de liquidités", a ajouté le professeur Onour.
"J'ai déposé mon argent à la banque, mais je ne peux plus le retirer ou je ne peux le faire qu'à doses homéopathiques", déplore Mondather al-Rifaï, un commerçant de 30 ans. Il regrette que ses carnets de chèques ne servent plus à rien, plus personne n'acceptant, selon lui, ce mode de paiement que les banques rechignent à faire endosser.
Les commerces et autres pourvoyeurs de services n'acceptent plus de cartes bancaires et préfèrent le liquide, comme le confirme un restaurateur asiatique sous le couvert de l'anonymat, en avouant 50% de baisse de son chiffre d'affaires. Et d'expliquer que "la plupart des fournisseurs n'acceptent plus les cartes bancaires ni les chèques", ce qui fait qu'il devient difficile pour lui d'accepter ces mêmes modes de paiement.
Le manque de liquidités ne date pas d'hier. Il a précédé le soulèvement contre el-Béchir en décembre 2018. L'aide de trois milliards de dollars promise par l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis peut aider à résorber la crise des liquidités, pensent certains comme Hachem Abdallah, un fonctionnaire de 45 ans. "Cette aide est très insuffisante au regard des besoins actuels", juge toutefois Ibrahim Onour.
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