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Tunisie: le projet de carte d'identité biométrique fait débat

Les parlementaires tunisiens seront confrontés à un débat épineux lors de la prochaine session parlementaire: celui relatif à l'instauration d'une carte d'identité biométrique dans le pays. De l’infrastructure au stockage des données personnelles en passant par la gestion de la technologie, toute la démarche est préoccupante, selon plusieurs organisations de la société civile tunisienne.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Rafe Swan / Cultura Creative)

Les élus tunisiens ont adopté le 26 juillet 2017 à l’unanimité une loi jugée historique en matière de droits des femmes. L'exercice parlementaire de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s'achève ainsi en apothéose. Mais la rentrée pourrait être moins gratifiante, notamment à cause du projet de loi relatif à la mise en place d’une carte d’identité biométrique à puce électronique.

Vote reporté
Adopté en conseil des ministres le 27 juillet 2016, le projet de loi a été introduit au Parlement le 5 août 2016 et il devait être soumis aux députés le 18 juillet 2017. Mais le vote final a été reporté à une date ultérieure, au grand dam du ministère de l'Intérieur qui invitait en mai 2017 les députés à adopter le texte avant juillet afin que la carte biométrique soit une réalité en 2018. Désormais, il faudra attendre la prochaine rentrée parlementaire pour que le projet de loi soit débattu. Les vacances parlementaires s'achevant fin août.  

Les arguments contre la carte d'identité biométrique sont multiples. L'état des infrastructures tunisiennes, la technologie utilisée et la protection des données personnelles expliquent les réticences d'une partie de la société civile contre cette initiative gouvernementale. «Son usage fréquent rend la mise en place d’une carte d’identité biométrique à puce problématique», a confié à Géopolis Afrique Islam Khoufil’une des représentantes en Tunisie de l’ONG Access Now qui milite pour la protection des droits numériques partout dans le monde. En Tunisie, avec plusieurs ONG comme la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, Access Now fait campagne, notamment auprès des élus, afin qu'ils s'opposent au projet de loi. 

Carte à puce, carte à écueils
«En Tunisie, la carte d’identité est obligatoire (aujourd'hui dès 18 ans et le sera dès l’âge de 15 ans selon le nouveau projet de loi, NDLR) et le Tunisien en a besoin au quotidien pour faire ses démarches. Cependant, la technologie est intéressante mais elle a des limites. Au Maroc ou encore au Nigeria, et ce sera certainement le cas en Tunisie si la loi passe, il y a des endroits qui ne sont pas encore couverts par un réseau GSM et Internet suffisamment fiable et stable au cours de la journée pour garantir que les opérations quotidiennes ne seront pas bloquées. Les retraités, qui vont par exemple chercher leur pension à la fin du mois, ne pourront pas le faire si le système informatique tombe en panne».

«Il en sera de même si leur carte est détériorée, poursuit Islam Khoufi. C’est une carte à puce qui est très sensible, à l’immersion dans l’eau ou dans tout autre liquide, à une exposition prolongée au soleil ou à des températures très élevées. Comment ce retraité pourra-t-il aller chercher son argent après que sa carte est tombée dans une flaque d’eau?»



Une question de sécurité nationale
Autre sujet d’inquiétude: le stockage des données personnelles. Depuis la publication du projet de loi, Chawki Gaddes, le président de l'Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP) affirme que le texte représente «une menace pour la vie privée et les données personnelles»rapporte l'agence de presse tunisienne TAP. Son avis sur la question n'a pas évolué depuis et il s'est étonné sur Twitter, le 23 juillet 2017, de l'attentisme de l'opinion publique quant à l'instauration de cette carte biométrique.  

D'autant que les données personnelles récoltées «seront détenues par une entreprise étrangère, indique Islam Khoufi, puisque nous ne disposons pas encore de la technologie en Tunisie. C’est l’entreprise Gemalto (experte en la matière et choisie par plusieurs autres Etats, NDLR), qui détiendra la technologie et par conséquent nos données. La clé de chiffrement restera tout le temps dans ses bases de données. On ne peut pas laisser une entreprise étrangère avoir la main sur un patrimoine tunisien.» 

Les bases de données de Gemalto ont été mises à rude épreuve par le passé. «Elles ont déjà été piratées en 2010 par les services secrets britanniques et l'Agence nationale de sécurité (NSA) américaine»note Islam Khoufi.

Les autorités indiennes ont, elles aussi, connu des désagréments similaires. Il ne s’agissait pas de piratage mais les informations biométriques de plusieurs millions d’Indiens se sont retrouvées dans le domaine public. Ces données avaient été collectées dans le cadre du projet Aadhaar. L'objectif de ce programme: donner à chacun des 1,2 million d'Indiens un numéro d'identité unique associé à ses données biométriques.

Chez Access Now, on souligne également le fait que le citoyen tunisien ne pourra pas accéder aux données disponibles sur la puce de sa carte d'identité, au risque d'écoper de cinq ans de prison. «Seules les administrations publiques ou privées, dotées d’un lecteur de cartes, peuvent lire les informations enregistrées sur la puce. Ce qui n’est pas normal», plaide Islam Khoufi.

«Nous craignons aussi pour la sécurité de nos forces armées. Dès que vous portez une carte d’identité sur vous, on peut vous traquer grâce à la puce électronique qu'elle contient. Et tous les militaires portent sur eux leur carte d’identité.»
 
 

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