Tunisie: le parti islamiste Ennahda présente un candidat juif aux municipales
«Je suis né à Monastir, je me présente avec Ennahda, j’entre par la grande porte, ils sont venus me voir dans ma boutique et m’ont ouvert les bras. Ils m’ont mis en tête de liste. Je suis fier de mon choix, 50% des Tunisiens aiment ce parti», a déclaré le candidat, Simon Slama, à la radio tunisienne Mosaïque FM, cité par le site huffpostmaghreb. Il dirigera l’une des 37 listes inscrites pour les municipales dans la ville côtière du Nord-Est.
Simon Slama a exprimé sa «fierté» de représenter la formation islamiste. A ses yeux, cette dernière est «laïque». Il a aussi expliqué, selon le site Tunivisions, qu’il a «choisi ceux qui craignent Dieu». Il a également souhaité que son expérience incite les juifs tunisiens à se porter candidat aux futures échéances électorales.
«Le choix de présenter la candidature d’un juif tunisien pour les municipales est une preuve que le mouvement est ouvert et ne tient pas compte de l’identité religieuse d’une personne», explique le porte-parole d’Ennahda, Imed Khemiri.
«Nos listes sont ouvertes aux indépendants (non encartés, NDLR) dont fait partie Monsieur Simon Slama. Quoi de plus normal? Cela s'inscrit dans le choix qui a été fait, après le 10e congrès du parti (mai 2016, NDLR) de s'ouvrir à tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes», a précisé le porte-parole du parti au site Sputnik. Lors de ce congrès, Ennahda avait affirmé la séparation du politique et du religieux, comme l’avait expliqué à Géopolis son leader Rached Ghannouchi. Selon le porte-parole, «certains juifs ont voté pour Ennahda lors des élections de 2011». «Affirmation (…) qu’on n’a pas pu vérifier», écrit kapitalis.com qui rapporte ces derniers propos…
Une communauté forte d’un peu plus d’un millier de personnes
On s’en doute, cette candidature n’est pas passée inaperçue. Notamment parce qu’elle touche la place et l’histoire d’une communauté dont la présence en Tunisie est plus que deux fois millénaire. Une communauté qui regroupait quelque 100.000 personnes au moment de l’indépendance du pays en 1956 et n’en compterait plus qu’un peu plus d’un millier de nos jours.
Primo ce n'est pas la première fois en Tunisie. Deuxièmement ce sont des Tunisiens et c'est leur droit et point un cadeau que d'être élu en son pays. Pour rappel y avait des ministres et conseillers juifs du temps de Bourguiba. Ils sont de bons TUNISIENS.
— Essaadi DRIDI (@EssaadiDRIDI) February 22, 2018
De fait, «un candidat de confession juive André Barouch a été élu dans la première Constituante de 1956», rapporte espacemanager.com. Tout en précisant que «deux ministres de confession juive, Albert Bessis et André Barouch, (ont été) aussi nommés dans les gouvernements de Tahar Ben Ammar et Habib Bourguiba.»
Des discriminations ?
Au niveau institutionnel, aucune différence n’est faite entre les cultes: l’actuelle Constitution stipule que «la Tunisie est un Etat laïque» qui «garantit la liberté de croyance (…) et le libre exercice des cultes». Pour autant, le texte explique que «l’islam est (la) religion» du pays. Et qu’il faut être «de confession musulmane» pour pouvoir se présenter à la présidentielle.
Globalement, la situation des juifs en Tunisie n’est pas toujours facile. En 2002, un attentat suicide, revendiqué par al-Qaïda, avait fait 21 morts à la synagogue El Ghriba sur l’île de Djerba, qui fait l’objet d’un important pèlerinage annuel. Ces dernières années, quelques actes antisémites ont été signalés. Des tombes juives ont ainsi été profanées à Sousse (Est), semble-t-il, en 2013. Et la même année, des agressions ont été signalées sur des citoyens juifs à Djerba, où vit la majeure partie de la communauté juive tunisienne.
En 2015, le site Inkyfada avait publié un long article sur ce qu’il appelle «la discrimination exercée par de nombreux citoyens et par l’Etat tunisien à l’encontre des Tunisiens de confession juive».
«Ennahda exploite le judaïsme à des fins politiques»
Pour le président de l’association El Ghriba, Perez Trabelsi, «Ennahda exploite le judaïsme à des fins politiques». Ce parti entend ainsi «montrer qu’il est pluraliste».
Pour autant, M.Trabelsi ne voit aucun problème dans cette candidature et estime que la décision de Simon Slama n’engage que lui. Tout en précisant: «Si cela ne tenait qu’à moi, je ne serais pas le candidat d’Ennahda ou de Nidaa Tounes (le parti majoritaire). Ils n’ont pas à interférer dans les affaires des juifs tunisiens», ajoute-t-il. Selon le responsable associatif, ces derniers ont, depuis longtemps, décidé de ne pas se présenter à des élections.
Polémiques
Au-delà de la communauté juive, l’annonce de la candidature de Simon Slama divise les médias tunisiens. Le site kapitalis.com y voit «une manœuvre (qui) participe de la stratégie de mensonge et de tromperie que poursuit le parti islamiste».
A propos,#Ennahdha a mis en œuvre une nouvelle stratégie maintenant qui vise à exploiter les minorités (juifs,handicapés..)pr améliorer son image à l'échelle internationale et récolter un max de voix à l'échelle nationale en ayant le soutien de ces catégories #tunisie #politique
— Luna Cara (@LunaCara_) February 20, 2018
Mais sur le forum ouvert sur ce thème par kapitalis.com, on trouve aussi des réactions très favorables. «C’est une excellente nouvelle !!!», commente ainsi un internaute.
«Pourquoi tant de tapage ?», demande un autre commentaire. «Tous les Tunisiens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs devant la loi». «A moins qu’Ennahda (ait) des arrières-pensées», ajoute le même.
Evidemment, toutes les réactions ne sont pas aussi favorables...
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.