Soudan : le possible retrait des Casques bleus du Darfour fait craindre le retour des violences
Selon les ONG, la réponse politique est prématurée dans une région que le pouvoir de Khartoum ne maîtrise pas.
Un rapport commun ONU-UA, rendu public le 16 mars 2020, préconise le retrait des troupes internationales de la Minuad (Mission des Nations unies au Darfour) à l'issue de leur mandat, à savoir fin octobre 2020. Une mission politique succèderait à cette force de maintien de la paix. Le Conseil de sécurité des Nations unies est appelé à en discuter le 26 mars 2020. Si ce dernier donnait son feu vert, le retrait des 7 800 Casques bleus se ferait très rapidement ce qui, pour les adversaires de cette solution, pourrait réveiller quelques velléités guerrières chez certains. D'autant que le rapport le reconnaît lui-même : "Au Darfour, la violence armée entre les groupes rebelles a reculé, mais les causes profondes du conflit demeurent, ce qui exacerbe les tensions ntercommunautaires".
Bien loin de Khartoum
Le Darfour s'étend du Nord au Sud, sur tout l'ouest du Soudan. Une vaste zone quasi désertique de 510 000 km² qui ne compte que 6 millions d'habitants. Le pouvoir central de Khartoum est bien loin.
Depuis 2003, la région a été la proie d'un conflit à la fois ethnique et politique, qui a vu les atrocités se succéder. Une lutte sans limite contre les mouvements rebelles de la région, issus de minorités ethniques se disant marginalisées. Le bilan actuel est de 300 000 morts et de 2,5 millions de déplacés. Depuis 2016, la région est plus calme, mais des raids sporadiques la secouent de temps en temps.
En 2003, le président soudanais Omar el-Béchir, qui tient le pays d'une main de fer, laisse le soin à ses affidés de gérer la crise au Darfour et leur donne carte blanche pour lutter contre les rebelles. Officiellement, ce sont les Forces de soutien rapide, mais en fait il s'agit de milices incontrôlées. La population les appelle les Janjawids, littéralement "les diables à cheval", ce qui en dit long sur la peur qu'ils génèrent chez les habitants.
"Les diables à cheval"
C'est un regroupement hétéroclite de membres de tribus arabes et de mercenaires étrangers, originaires du Tchad, du Mali ou encore du Niger, explique le site d'information Lundimatin. En 2003, quand le gouvernement d'Omar el-Béchir a fait appel à eux, il s'agissait d'"arrêter le chaos, protéger le peuple et protéger les institutions", selon le discours officiel.
En fait, le chaos est venu des Janjawids. Ils ont mis la région à feu et à sang. Les condamnations de leurs exactions sont venues de toutes parts. Ils ont attaqué des milliers de villages (3 000 villages incendiés, selon l'ONU), assassiné les populations, poursuivant les fuyards jusque dans les camps de réfugiés. Leur but était double. A la fois éliminer les populations autochtones et récupérer leurs terres. Quand le pouvoir de Khartoum n'a plus eu les moyens de les financer, les Janjawids ont accaparé les richesses du Darfour.
Les maîtres du Darfour
Aujourd'hui encore, leur pouvoir de nuisance est intact. En juin 2019, lors du mouvement populaire qui a conduit à la destitution d'el-Béchir, ils ont réprimé dans le sang la contestation dans la région qu'ils contrôlent de facto. Les ONG, les spécialistes de cette région mettent régulièrement en garde l'ONU sur un retrait des Casques bleus de la Minuad. "Elle a permis de contenir les exactions, non pas par les armes, mais parce que la Minuad est un témoin gênant pour les autorités", expliquait en 2019 le chercheur français Marc Lavergne au journal La Croix. La mission avait finalement été prolongée d'un an.
Retrait prématuré ?
Avec la démocratisation du régime en marche à Khartoum, il est tentant de laisser au Soudan le soin de gérer la situation au Darfour. Mais la capitale a-t-elle seulement la main ? "Le Darfour n'est pas comme les autres régions du Soudan", s'est insurgé dans un communiqué le directeur de Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth. Et de rappeler que "les violences passées dans cette région et celles qui s’y produisent encore, font que les civils ne peuvent faire confiance aux seules forces de sécurité soudanaises".
Une solution politique est insuffisante aux yeux de l'ONG. Elle préconise d'inclure dans l'éventuelle nouvelle mission "des unités de police armées qui auraient la capacité de protéger les civils". D'autant que la rébellion n'a pas totalement disparu. Des combats l'opposent aux forces gouvernementales dans le jebel Marra. Et surtout, il y a sporadiquement des violences intercommunautaires, en particulier contre les personnes déplacées à l'intérieur du pays.
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