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Pourquoi le Cameroun se déchire-t-il ?

Un conflit oppose le pouvoir central de Yaoundé à la minorité anglophone, qui vit dans le nord-est et le sud-ouest du Cameroun. Celle-ci se sent marginalisée face à la majorité francophone (80% de la population). Le gouvernement a choisi la répression face aux manifestations. Il y aurait déjà eu des dizaines de morts. Retour sur une crise qui menace l’unité du pays.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min

Bien qu’il y ait de plus en plus d’informations concernant le conflit socio-politique qui se déroule depuis plus d’un an au Cameroun, opposant le pouvoir de Yaoundé aux leaders des mouvements fédéralistes et sécessionnistes de la minorité anglophone des régions du nord-est et sud-ouest du pays – soit 20% d’une population en majorité francophone –, il n’est pas toujours facile de cerner les enjeux de cette crise qui s’aggrave au fil des mois.

Des informations récentes indiquent qu’environ 40.000 personnes ont déjà fui au Nigéria voisin. Et il y a quelques jours, la fête de la jeunesse célébrée le 11 février a été endeuillée par la mort de trois gendarmes et la disparition d’un sous-préfet à Kembong et à Batibo, dans les régions anglophones. Ce bilan vient s’ajouter aux chiffres déjà enregistrés de 17 civils au moins et de 19 militaires qui ont trouvé la mort depuis le début de la crise.

Au début du mois de janvier 2018, les principaux leaders de la branche séparatiste réfugiés au Nigeria avaient été arrêtés par le gouvernement nigérian avant d’être remis à la disposition du gouvernement camerounais. Parmi eux, Sisiku Julius Ayuk Tabe, président de la «République fédérale d’Ambazonie» proclamée symboliquement le 1ᵉʳ octobre 2017.

Pourquoi et comment le Cameroun est-il ainsi menacé de division autour de «frontières» linguistiques?


A la fin de la Seconde guerre mondiale, la Société des Nations devenue Organisation des Nations Unies confie le Cameroun à son Conseil de tutelle dont la mission est de l’accompagner vers l’indépendance.

Cette dernière s’obtient en deux temps. La partie sous administration française accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, avec le nom de République du Cameroun. Un an plus tard, l’ONU organise l’indépendance du territoire sous administration britannique par un référendum (le 11 février 1961) qui paradoxalement exclut l’option de l’indépendance totale de ce territoire en plaçant les électeurs devant les «deux options» suivantes: choisir l’indépendance par le rattachement à la République du Cameroun ou bien choisir l’indépendance par le rattachement à la République du Nigeria.

La partie Nord du territoire anglophone (Northern Cameroons) «choisit» de se rallier au Nigeria, tandis que la partie sud (Southern Cameroons) «choisit» de s’associer à la République du Cameroun pour constituer avec celle-ci une entité fédérale.

Le «contrat» fédéral: un marché de dupes?

Le «contrat» fédéral s’opère dans des conditions qui l’apparentent à un marché de dupes. Le projet de constitution est rédigé sans la participation des représentants anglophones, et adopté à l’Assemblée nationale de la République du Cameroun, avant d’être promulgué le 1er septembre 1961 par Amadou Ahidjo, le premier président camerounais, en tant que Constitution de la République fédérale du Cameroun.

Ce vice procédural constitue en quelque sorte le «péché originel» qui augurera de la domination de l’Etat central et de la majorité francophone sur la partie anglophone dans la république «fédérale».


Une répression impunie

Le mouvement atteint son paroxysme le 1er octobre 2017, date symbolique choisie pour la proclamation de «l’indépendance» du Southern Cameroon ou de l’Ambazonie, quand la grande majorité de la population des régions anglophones de tous les âges manifeste dans les rues pour soutenir cette démarche.

La brutalité de la répression de toutes ces manifestations, dont les images circuleront abondamment sur les réseaux sociaux, aura pour effet de renforcer, chez la plupart des anglophones, le sentiment de cette marginalisation. Si en effet le pouvoir a condamné la violence «d’où qu’elle vienne», seuls les leaders anglophones ont été arrêtés jusqu’ici tandis qu’aucune enquête officielle, réclamée notamment par l’ONU, n’a été ouverte sur les violences perpétrées contre les populations.

Est-il possible d’éviter une escalade du conflit?

Des négociations entre le pouvoir et les représentants des syndicats des avocats et des enseignants ont néanmoins abouti à l’adoption d’un certain nombre de mesures: redéploiement des enseignants francophones présents dans les régions anglophones, création d’une Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, création d’une section Common Law à la Cour suprême et à l’Ecole nationale de l’Administration et de la magistrature.

Par contre, la forme actuelle de l’Etat est considérée par le pouvoir comme «non négociable» et le «dialogue inclusif» demandé par la plupart des leaders politiques du pays n’est toujours pas à l’ordre du jour.

On se trouve ainsi aujourd’hui dans une réelle impasse politique, tant les positions sont tranchées de part et d’autre. Or, une gouvernance plus responsable, c’est-à-dire capable non seulement de déployer la force militaire face à l’escalade de la violence, mais aussi d’évaluer ses propres responsabilités dans cette crise et d’y faire face de façon plus juste permettrait au Cameroun de conserver son unité et surtout de maintenir la richesse de son identité bilingue et multiculturelle.



Ernest-Marie Mbonda, Professeur d’éthique, de philosophie du droit et de philosophie politique, Université catholique d’Afrique centrale, Fellow 2011-Collegium de Lyon, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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