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"Nous avons d'autres priorités" : la polémique sur les statues coloniales suscite des réactions controversées en Afrique

Le débat sur le passé colonial et la traite négrière, au cœur d'une vive polémique en Occident, est attentivement suivi par les élites en Afrique, mais loin de passionner les foules.

Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
La statue de l'ancien roi belge Léopold II sur les hauteurs de Kinshasa, le 12 novembre 2019. Ses détracteurs l'accusent d'avoir incarné la violence du système colonial au Congo. (SAMIR TOUNSI / AFP)

De la Tunisie à l'Afrique du Sud, en passant par le Kenya, le Sénégal et le Ghana, le meurtre de George Floyd, un Afro-Américain mort le 25 mai sous le genou d'un policier blanc, a suscité une vive émotion en Afrique. Dans le sillage des manifestations anti-racistes organisées dans certaines capitales africaines, comme dans le reste du monde, les monuments et statues liés à l'histoire coloniale ou à la traite négrière se trouvent aujourd'hui au centre d'une polémique mémorielle.

"Une célébration de la colonisation"

Le Sénégal fait partie des pays africains où des personnalités du passé colonial ont été mises en valeur dans l'espace public. Aujourd'hui, la société civile souhaite déboulonner la statue de l'ancien administrateur colonial du pays, Louis Faidherbe, qui trône depuis plus de cent ans sur une place de la ville de Saint-Louis, l'ancienne capitale de l'Afrique francophone française. Des activistes sénégalais appellent les autorités à faire le nécessaire avant que la population ne s'en charge.

Ce genre de statues et beaucoup de noms de rues ou de cités sur le continent africain ne sont qu'une célébration au quotidien de la colonisation et de l'esclavage, et une insulte faite à la mémoire de ceux qui en ont souffert et à ceux qui en souffrent encore

Seydi Gassama, militant des droits de l'Homme sénégalais

sur son compte Twitter

Pour ce militant sénégalais des droits de l'Homme, la colonisation et l'esclavage n'ont rien apporté de bon en Afrique. "Tout ce que la colonisation a construit, c'est avec le travail forcé des Africains, pour mettre en valeur les colonies au profit des métropoles. L'école coloniale participait de cette entreprise", déplore-t-il.

Mais certains Sénégalais en font une autre lecture. "Il y a quand même des choses qu'on ne doit pas toucher", soutient un ancien journaliste installé dans la ville de Saint-Louis. "Nous avons une histoire commune qui nous lie avec la France et qui date de 300 ans. Cette histoire-là doit être racontée à nos enfants et à nos petits-enfants", plaide Elhadj Tall au micro de RFI.

"Le Congo a d'autres priorités pour le moment"

Les réactions sur la polémique mémorielle sont aussi contrastées à Kinshasa, la capitale de la RDC, où des activistes congolais ne cessent de vilipender l'ancien monarque belge, Léopold II, pour "avoir incarné la violence du système colonial au Congo", avec l'introduction du travail forcé, des châtiments corporels et le supplice des mains coupées. Aujourd'hui, la statue du défunt roi, qui avait fait du congo sa propriété personnelle (entre 1885 et 1908), trône encore sur les hauteurs de Kinshasa, à côté de son successeur Albert 1er. Il a fallu que des activistes s'en prennent à une statue de Léopold II en Belgique pour que son rôle dans le passé colonial du Congo revienne dans l'actualité sur la politique mémorielle. Le buste de l'ancien monarque dans la ville d'Anderghem s'est effondré, après avoir été attaqué à coups de massues par une dizaine d'activistes.

A Kinshasa, certains Congolais disent ne pas se sentir directement concernés. C'est le cas de l'historien Isidore Ndaywel è Nziem, auteur de plusieurs études et ouvrages sur l'histoire du Congo.

Le Congo a d'autres priorités pour le moment, comme la lutte contre la corruption et contre les tueries qui ravagent l'est de notre pays. Si en Belgique, ils estiment qu'ils doivent détruire les monuments parce qu'il y a une forte diaspora africaine, nous en prenons acte

Professeur Isidore Ndaywell è Nziem, historien congolais

à l'AFP

De tous les pays africains, l'Afrique du Sud est sans aucun doute celui où la question de la polémique mémorielle suscite des réactions à fleur de peau. Le meurtre de l'Afro-Américain George Floyd a suscité des manifestations anti-racistes dans plusieurs villes du pays. A Pretoria, le mot "assassin" a été peint sur une statue de Paul Kruger. Cet Afrikaner avait joué un rôle clé pour imposer le pouvoir de la minorité blanche sur la majorité noire d'Afrique du Sud.

"Ces symboles n'ont plus leur place dans le pays"

Au pays de Nelson Mandela, le débat fait rage depuis plusieurs années sur le sort des statues de l'époque coloniale. Le monument du colonisateur britannique Cecil Rhodes a été retiré en 2015 de la ville du Cap, sous la pression d'étudiants noirs. La sculpture du magnat des mines sud-africaines trônait à l'entrée de l'université du Cap depuis 1934. 

Depuis, d'autres sculptures ont été régulièrement profanées, couvertes de peintures, de graffitis, voire attaquées au marteau. Les jeunes Noirs sud-africains estiment que ces symboles d'un temps révolu n'ont plus de place dans la nouvelle Afrique du Sud. Face à la fronde, l'ANC, le parti au pouvoir, a promis une large consultation sur le sort de chaque monument.

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