Mehdi Barsaoui, auto-confiné à Tunis : "Je ne suis pas sorti de chez moi, même pour faire une marche"
Sans que les autorités tunisiennes ne le lui imposent, le réalisateur tunisien avait décidé de respecter les 14 jours de quarantaine recommandés parce qu'il revenait de l'Europe. Récit d'un auto-confinement.
De retour de son séjour parisien pour la promotion de son film Un Fils sorti en salles le 11 mars 2020, le cinéaste tunisien Mehdi Barsaoui a décidé de façon unilatérale de se confiner, sans que cela ne lui soit imposé par les autorités sanitaires de son pays et quelques jours avant que les Tunisiens ne soient tous confinés. Au 13e jour de son auto-confinement le 27 mars, Mehdi Barsaoui souffre d’une migraine. Il nous a confié qu’il avait de "terribles maux de têtes ces derniers temps". "Je n’ai pas de fièvre, c’est le plus important", ajoute-t-il. Franceinfo Afrique s'était entretenu avec lui par téléphone la veille, à son 12e jour sans contact avec l'extérieur.
Franceinfo Afrique : vous vous êtes confinés avant même que le confinement ne soit obligatoire en Tunisie. Comment se décide-t-on ?
J’étais en France (pour la promotion du film, Un Fils, NDLR) et je suis rentré le 14 mars à Tunis. J’ai tout de suite pris la décision de m’auto-confiner. Ici, le confinement total a été annoncé quelques jours après mon retour et est entré en vigueur le 22 mars. C’était un moyen de prévention par rapport à ceux que j’aime, car je représentais une source potentielle de contamination. La France, d'où je revenais, était considérée comme un foyer. Ma femme est donc partie chez sa mère. J'en suis à mon 12e jour de confinement (l’entretien a été réalisé le 26 mars 2020, NDLR). Il ne me reste plus que deux jours avant la fin de ma "quatorzaine".
Je n’ai pas eu de symptômes. Jusque-là, ça va.
Mehdi Barsaouià franceinfo Afrique
A l’aéroport de Tunis, comment avez-vous été accueilli et comment l’avez-vous quitté puisque vous vouliez vous auto-confiner ?
C’était l’idée d’une réalisatrice qui s’appelle Wided Zoghlami qui était, elle, en Belgique. Elle avait fait un post sur les réseaux sociaux, où elle expliquait un bon plan pour tous ceux qui rentraient de l’étranger. Il s’agissait de se faire déposer nos voitures dans le parking de l’aéroport, on se mettait d’accord avec quelqu’un sur une cache pour les clés et comme ça, on sortait de l’aéroport pour rentrer directement chez soi. J’ai opté pour cette solution. J’ai de la chance, d’abord parce que j’avais une voiture et ensuite mon frère me l’a déposée dans le parking. Je suis sorti de l'aéroport et je suis directement allé chez moi. Depuis, c’est l'hibernation totale !
Qu’ont fait les autorités tunisiennes à l’aéroport et par la suite ?
Il y a un suivi qui est vraiment admirable. Quand nous sommes arrivés à l’aéroport de Tunis, il y a eu automatiquement une prise de température. Le dispositif était d’ailleurs effrayant dans le sens où on n’est pas habitué à ça. Mais je me dis que c’est pour le bien des populations. J’ai beaucoup voyagé récemment et j’ai constaté, que même en Europe, il n’y avait pas ces dispositifs-là. J’en ai seulement trouvé dans les pays africains qui les mettent en place pour se protéger parce que, encore une fois, nous n’avons pas les mêmes moyens qu'en Europe.
Nous avons également rempli plusieurs fiches avec toutes nos coordonnées. Le lendemain ou le surlendemain du début de mon confinement, le ministère de la Santé m’a appelé et ils ont continué à le faire. Depuis, je reçois un SMS d’eux vers 10h le matin et vers 22h le soir pour que je leur donne ma température. Il y a un véritable suivi. J’ai compris que les messages étaient personnalisés parce qu’ils ne se trompent pas de jour. C’est écrit : "Quel est votre température au 4e jour au matin ? Quelle est votre température au 6e jour au soir ?" Je crois que c’est un logiciel qui doit gérer ça. C’est un bon suivi pour détecter s’il y a quelque chose. L'ensemble de ces mesures nous ont certainement permis en Tunisie de limiter la casse. Mais malheureusement, comme dans tous les pays, les chiffres montent de façon exponentielle.
D’un point de vue pratique, comment s’organise-t-on pour ne plus toucher, ni voir personne ?
Il ne faut pas trop y penser. Autrement les problèmes apparaissent. J’ai de la chance parce que ma mère, depuis tout petit, m’a appris à cuisiner. Donc je suis autonome, je cuisine (sourire dans la voix). Il faut dire que ma femme me ramène les courses. Elle les dépose devant mon appartement. Nous nous sommes vus à deux mètres de distance.
Je ne vois personne, je paie mes factures en ligne… Je ne suis pas sorti de mon appartement pour limiter tout risque de contagion.
Mehdi Barsaouià franceinfo Afrique
Avez-vous mis en place une routine spéciale ?
Oui, à 11h, j’ai piscine (rires) ! J’aime beaucoup les séries, donc je suis en train de me rattraper parce que je n’avais pas eu le temps de les regarder. Mais j’essaie aussi de bouger un peu. Je ne sais pas si c’est du sport, mais je suis des vidéos sur Youtube et cela me permet de me défouler et de me changer les idées. En plus, ça crée un rythme. Quand on est confiné, il faut trouver un rythme – réveil, douche, sport… – et ne pas se laisser aller à l’oisiveté.
Quelles mesures ont été prises en Tunisie ?
C’est un confinement général comme chez vous, mais le nôtre est encore plus strict. Nous avons un couvre-feu de 18h à 6h du matin. Durant la journée, tu ne peux sortir que pour faire tes courses, et ce dans un rayon très limité. Par exemple, je dis n’importe quoi, si tu habites dans le 11e arrondissement et que l’on te retrouve dans le 5e arrondissement, tu te prends une lourde amende et on te confisque ta carte d’identité. Si nous voulons sortir de notre périmètre, il faut obtenir un document du poste de police signé par le ministère de l’Intérieur. Par exemple, je ne peux pas aller voir ma mère qui habite de l’autre côté de Tunis. Notre confinement est très strict, parce que nous n’avons pas les moyens de lutter contre la maladie.
Nous avons très peu de place en réanimation. Par conséquent, il faut qu'il y ait le moins de malades possibles.
Mehdi Barsaouià franceinfo Afrique
Vous avez un confinement, disons de privilégié, parce que vous avez pu prendre des mesures de distanciation sociale. Ce qui n’est pas simple sur le continent parce que, naturellement, nous vivons un peu en communauté, parfois les uns sur les autres… Quels sont les échos que vous avez de la façon dont les Tunisiens gèrent cette situation ?
En plus, nous sommes très tactiles... Au début, je pense que nous avons tous un peu minimisé la chose jusqu’à ce que nous soyons frappés à notre tour. Notre premier cas a été déclaré le 2 ou 3 mars. Ce qui est assez récent. Nous avons suivi la crise à l’étranger. Les Tunisiens ont beaucoup minimisé la situation mais ce qui est positif, c’est que nous avons été prêts à affronter le problème, même s’il y a des lacunes et des défaillances. Pour vous donner une idée de ce que je dis : la France est entrée en confinement alors qu’il y avait 6 000 cas et la Tunisie l’a fait, alors qu’il n’y avait qu’une vingtaine de cas. Cela a été fait en amont parce que, encore une fois, nous n’avons pas les moyens dont disposent certains pays européens.
Nous, Africains, sommes indisciplinés, mais nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs. L’être humain est indiscipliné en général. Du coup, cela a été difficile d’instaurer ce confinement. On voyait toujours des gens pleins d’insouciance, qui se rassemblaient encore. Maintenant, cela se présente mieux parce que l’Etat a pris des mesures plus strictes pour limiter tous ces déplacements. J’espère que nous serons épargnés, car quand je vois ce qu’il se passe en Italie, en Espagne et, malheureusement, en France… C’est vraiment flippant.
Le 28 mars, c’est la fin de votre auto-confinement. Les choses ne vont pas vraiment changer pour vous, puisque toute la Tunisie est maintenant confinée…
Oui, samedi (28 mars), je sors de mon confinement. Je vais retrouver ma femme, mes repères… Si, il y aura du changement parce que ma femme revient et maintenant je pourrai sortir. Jusqu’ici, j’étais dans un confinement strict. Je ne suis pas sorti de chez moi, même pour faire une marche, parce que je ne voulais pas culpabiliser. Là au moins, je pourrai sortir, faire des courses, marcher... Au moins sentir l’air frais. Pour le moment, je ne le sens qu’à partir du balcon, et c’est encore une chance. Je pourrai sortir et voir des êtres humains autour de moi parce que ça fait deux bonnes semaines avec zéro contact. La vie, c’est du partage ! Cette espèce de virus, en nous confinant, nous isole.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pendant cette période ?
C’est d’être seul et de gérer son angoisse seul. L’angoisse pour les gens qu’on aime, l’angoisse de les voir atteints, d’avoir contaminé, l’angoisse pour les parents, les personnes un peu plus fragiles… Je n’ai pas de problème avec la solitude. Je voyage beaucoup. J’ai beaucoup vécu à l’étranger, j’y ai fait mes études et, par conséquent, je suis habitué à rester seul. Mais là, ça a été dur d’abord de ne pas être avec ma femme. Cependant, ce qui a vraiment été dur, c’est la gestion de l’angoisse à certains moments, au beau milieu de la nuit ou très tôt le matin. Je ne le cache pas. Je pense que cette crise est certes sociale, elle va être culturelle et économique, mais elle va être aussi psychologique.
La situation est en train de nous atteindre tous, à des degrés différents.
Mehdi Barsaouià franceinfo Afrique
Si vous deviez résumer cette période, quels mots utiliseriez-vous ?
Remise en question ! C’est ce qui me vient à l’esprit parce que c’est une remise en question profonde et totale du monde dans lequel nous vivons. Je pense que ça va au-delà de la crise sanitaire. Beaucoup de traces de ce que nous sommes en train de vivre vont rester, parce que je pense que c’est assez inédit pour l’humanité. Avec l’Inde, qui est aussi entrée en confinement général, nous sommes presque trois milliards de personnes, environ le tiers de la planète, à être confinés. Cette remise en question vaut, non seulement, pour la santé, mais aussi, sur le plan humain, social et économique. Il va falloir repenser à ce qu’on vit et à notre façon de voir le monde. C’est un véritable signal qui est lancé. Nous sommes passés à côté de beaucoup de choses. Mais là, l’être humain a compris qu’il va falloir qu’on change.
Pour un cinéaste, tout cela doit être source d’inspiration ?
Franchement, je ne suis pas du tout inspiré. Je ne peux pas dire que je vais bien dans le sens où je suis très inquiet pour les gens qui me sont proches, ma famille et mes amis. Du coup, je trouve que l’ambiance n’est pas vraiment propice à écrire. Moi, en tout cas, je ne suis pas dans cet état d’esprit. Il y a certaines idées qui naissent comme ça, mais je ne sais pas si j’ai envie d’en parler. Dans un sens, je suis inspiré mais je ne sais pas si j’ai envie d’aller jusqu’au bout, en fait. En plus, j’imagine qu’il va y avoir toute une vague de films sur le sujet… Pour résumer mon propos, je dirais que j’ai envie qu’on en sorte de cette crise et, après, on verra ce qu’il va en rester. Il y a un tel manque de visibilité : l’on ne sait pas ce qu’il va advenir de nous dans un mois. Je me sens complètement freiné, bloqué, un petit peu emprisonné, évidemment pas dans le sens propre… J’ai dû mal à voir l’avenir. Ce manque de visibilité m’angoisse. Aujourd’hui, le plus important est de rester en bonne santé pour soi et pour les gens que l’on aime.
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