Dada: l’art africain au secours du soulèvement artistique contre la guerre de 14
Un an après les célébrations du centenaire de sa naissance, le mouvement anti-art, Dada, livre encore des clés de sa révolte.
En rupture avec les valeurs qui ont conduit à la guerre
Né d’une bande d’artistes allemands et roumains au mythique Cabaret Voltaire à Zurich, un soir de février 1916, et baptisé Dada par une pointe de crayon posée au hasard sur une page de dictionnaire, comme le veut la légende, ce mouvement se veut l’expression du rejet de «la grande boucherie» de 14-18, en cours.
En rupture radicale avec «les flics et les patrons, les bourgeois et les prolétaires, les fascistes et les socialistes, les bellicistes et les pacifistes bêlants», tous ceux qui ont conduit au désastre de cette période «au nom de la morale, des valeurs, de la liberté, de la grandeur ou encore de l’héroïsme», ces anti-artistes se tournent vers d’autres fréquentations.
Celles que donnent à voir les quelque 300 pièces exposées à l’Orangerie au titre de «sources et influences extra-occidentales». Comprendre : la confrontation des dadaïstes avec les cultures océanienne, amérindienne, asiatique et surtout africaine, considérées jusque-là par l’Occident comme «barbares» ou «archaïques».
Habilement disposés en résonance, de manière à presque gommer les différences, les créations Dada y sont présentées face à leurs nouvelles sources de l’époque.
La «tête mécanique» de Raoul Hausmann, dite également «L’esprit de notre temps», côtoie par exemple une statuette magique de la république du Congo. Les masques de Marcel Janco se fondent dans un mur de visages «primitifs» africains ou asiatique.
«Nous pensions… que l’art primitif était vraiment de l’art», disait ce graveur et sculpteur roumain, ami de Tristan Tzara, venu à Zurich étudier l’architecture.
Les arts africains, une planche de salut pour les insurgés de l'art
Outre les tableaux et dessins intégrant jusqu’à la catharsis l’esthétique africaine, l’exposition fait la part belle aux femmes du mouvement. Les poupées et les collages de Hannah Höch, réalisées en toute «absence d’inhibition», ou les objets en perles et marionnettes en bois confectionnées par Sophie Taeuber, témoignent d'un processus fusionnel opéré avec ces cultures.
Une planche de salut pour ces insurgés de l’art, qui voyaient dans les tranchées de Verdun l’échec cuisant de toute une civilisation se prétendant «instruite» et «civilisée».
La découverte de ces sources nouvelles avait été rendue possible par le travail d’écrivains et critiques d’art d’avant-garde tels Guillaume Apollinaire ou Carl Einstein.
Dans son ouvrage Negerplastik ou Sculpture nègre, publié en 1915, ce dernier avait été un des premiers à publier des reproductions de statuettes et fétiches africains et à faire l’éloge de la force créatrice de cet art.
Autre artisan du changement de perception des arts dits «nègres» et renommés désormais «arts premiers», Paul Guillaume. Un galeriste et collectionneur parisien qui contribuera à la diffusion des arts extra-européens.
C’est lui qui fournira des œuvres pour une première exposition, en 1917, réunissant des œuvres d’art dadaïstes et africaines «dialoguant sans hiérarchie», à la galerie Corray à Zurich.
Dada, un antidote à la tentation belliciste
Donné pour mort aux environs de 1924 par André Breton, qui en avait fait partie un court moment avant de devenir le pape du mouvement surréaliste, le mouvement Dada est en constante résurrection. Notamment dans les périodes de fortes crispations politique et militaire, comme c’est le cas en ce moment sur la planète.
Les expositions relatives à cette nébuleuse de l’art, qui a rallié des électrons libres de l’art de Berlin, Hanovre, Cologne et rayonné à Paris, Barcelone et New York, sonnent régulièrement comme un avertisseur d’incendie.
En prônant le nécessaire «entrelacement des contraires et de toutes les contradictions», l’esthétique Dada propose également l’antidote idéal à toute tentation de basculer à nouveau dans la tourmente guerrière.
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