Cet article date de plus de quatre ans.

Covid-19 : l'Afrique épargnée par le tsunami annoncé et tant redouté, mais "gare au triomphalisme"

Certains n'hésitent pas à parler de "miracle africain". Les prévisions apocalyptiques sur les ravages du Covid-19 sur ce continent ne se sont pas réalisées. Mais les appels à la vigilance se multiplient.

Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Opération de désinfection contre le Covid-19 à Nairobi, la capitale kenyane, le 15 avril 2020. (LUIS TATO / AFP)

Tous les spécialistes en conviennent, le continent africain n'a pas été submergé par le tsunami de coronavirus que tout le monde lui avait prédit. Les chiffres publiés quotidiennement par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et par diverses autres institutions à travers le monde, sont sans équivoque : le séisme sanitaire annoncé et tant redouté par les experts se fait toujours attendre. Comme l'indique le journal Libération dans son éditorial du 7 mai 2020, personne n'a pour l'instant d'explication certaine à "ce miracle africain", juste des éléments qui, mis bout à bout, éclairent le phénomène. Ce qui est sûr, écrit notre confrère, "c'est que l'Afrique est en train de donner des leçons au reste du monde".

Un démenti cinglant des statistiques

Les chiffres sont sans équivoque. L'Afrique reste, de loin, le continent le moins affecté par l'épidémie du Covid-19. Selon un bilan fourni par l'AFP, le continent africain comptait le 11 mai, quelque 2318 décès et 65 338 cas de personnes infectées. L'Europe totalisait le même jour 157 271 décès pour 1 756 578 cas, tandis que les Etats-Unis et le Canada comptaient 84 950 décès et 1 409 724 cas.

"Si il y avait eu un tsunami, une vague de patients en insuffisance respiratoire, on l'aurait vu. Très clairement, l'épidémie en Afrique n'est pas celle qui avait été annoncée", explique à Africa Radio, le docteur Eric Delaporte, du centre hospitalier de Montpellier en France.

"Des préjugés qu'on ressasse"

Avant même l'annonce de l'arrivée du virus en Afrique, de nombreux spécialistes ont tiré la sonnette d'alarme et prédit le pire sur ce continent pauvre, dépourvu d'infrastructures sanitaires dignes de ce nom et aux prises avec d'autres maladies particulièrement mortelles. Dans son édition du 5 mai, le journal Le Monde rappelle que dès la mi-avril, certaines prévisions anticipaient 300 000 morts, même si le continent adoptait des mesures maximales de précautions. Et de se demander si "l'afro-alarmiste" n'avait pas été excessif et si on n'avait pas pêché par "excès de catastrophisme". A cette interrogation, l'historien Achille Bembé, professeur d'histoire et de sciences politiques à l'université sud-africaine de Witwatersrand, s'exprime sans détour. La crise générée par le Covid-19, analyse-t-il, a montré à quel point l'Afrique suscite des préjugés inqualifiables.

Chaquefois qu'il est question d'Afrique, c'est la catastrophe. Les Africains en ont marre. Ils n'écoutent même plus ce genre d'analyses. Ce sont des préjugés qu'on ressasse. Peu importe les situations ou les événements

Achille Bembe, historien et professeur de sciences politiques

à RFI

Des ébauches d'explications sur le "miracle"

Aujourd'hui, les prévisions apocalyptiques des premiers jours ont cédé la place aux explications sur la lente progression de l'épidémie sur le continent africain. Parmi les facteurs qui ralentissent la transmission, l'OMS avance notamment la jeunesse de la population africaine. 60% de ses habitants ont moins de 25 ans, avec, donc, un système immunitaire plus résistant. Des populations qui ont, en plus, bénéficié de la lutte contre les maladies transmissibles, telles que le VIH et la tuberculose, "pour réduire les vulnérabilités possibles". D'autres voix au sein du monde médical avancent le possible affaiblissement du virus qui aurait du mal à résister aux fortes chaleurs africaines. 

Certains spécialistes ont mis en avant le faible nombre de tests et le manque de données, qui faussent en partie le bilan qui serait sous-estimé. Une piste écartée par le médecin camerounais John Nkengosong. Il dirige le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies. "Les hôpitaux seraient envahis de malades, ce qui n'est pas le cas", a-t-il confié à l'AFP, tout en reconnaîssant que les statistiques publiées quotidiennement ne sont pas parfaites.

Mais l'OMS salue surtout les mesures préventives prises par les gouvernements africains pour contenir la propagation du virus. La plupart des pays ont fermé leurs frontières sans tarder et ordonné des mesures de confinement et de distanciation sociale strictes. D'où la mise en garde de sa directrice régionale pour l'Afrique, Matshidiso Moeti, à ceux qui seraient tentés de baisser la garde.

Bien que le Covid-19 ne se propage probablement pas de manière aussi exponentielle en Afrique qu'ailleurs dans le monde, il risque de couver dans les points chauds de transmission

Matshidiso Moeti, directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique

au cours d'un point de presse

L'OMS redoute donc une flambée plus prolongée sur quelques années en Afrique, si les mesures de confinement n'étaient plus prioritaires. Une inquiétude partagée par certains médecins africains qui multiplient les appels à la vigilance. Le risque, explique le professeur Yap Boum, épidémiologiste à Yaoundé au Cameroun, c'est que la population prenne à la légère l'épidémie. Ce qui peut entraîner une propagation beaucoup plus importante et anéantir les résultats acquis grâce aux mesures de restriction, redoute-t-il. "Il est important de dire non au triomphalisme", a plaidé le docteur Yap Boum sur l'antenne d'Africa Radio. Des mises en garde pour signifier que rien n'est encore joué. Et qu'il faut éviter que cette épidémie ne s'installe durablement sur le continent.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.