Coopérer pour mieux former et améliorer les soins dans les pays en développement
La qualité des soins et des services de santé se définit selon l’Organisation mondiale de la santé comme la capacité de « garantir à chaque patient l’assortiment d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science, au meilleur coût pour le même résultat, au moindre risque iatrogénique, pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, résultats, contacts humains à l’intérieur du système de soins ».
Cette définition générale n’intègre pas des dimensions essentielles liées à la culture, l’éducation, l’histoire, la formation, les compétences et les infrastructures.
Le manque d’hygiène, première cause de mortalité
À titre d’exemple, l’eau et l’assainissement sont indispensables à la santé publique. Ainsi, peut-on envisager d’améliorer durablement la qualité et la sécurité des soins dans un pays en voie de développement alors que les établissements de santé ne disposent pas des installations opérationnelles, fiables et sûres pour l’eau, l’énergie, l’assainissement, l’hygiène des mains et l’élimination des déchets ?
Chaque année, 1,8 million de personnes, dont 90 % d’enfants de moins de cinq ans, vivant pour la plupart dans les pays en développement, meurent de maladies diarrhéiques (y compris du choléra). 88 % des maladies diarrhéiques sont imputables à la mauvaise qualité de l’eau, à un assainissement insuffisant et à une hygiène défectueuse. L’amélioration de la qualité de l’eau ferait reculer de 6 % à 25 % la morbidité attribuable aux maladies diarrhéiques, cas graves inclus.
Les stocks de médicaments, de fournitures et d’équipements des établissements sont souvent très insuffisants.
De même, la conception des locaux devrait permettre l’intimité, le respect de la vie privée et faciliter la prestation de services de qualité. Ce n’est souvent pas le cas, comme je l’ai constaté dans les services d’urgence des hôpitaux de Côte d’Ivoire lors d’une visite de 12 établissements hospitaliers réalisée en novembre 2017 dans le cadre d’un projet EHESP-Expertise France.
Nous savons que le manque de qualité des soins est responsable de nombreux décès et de séquelles importantes chez bien des malades. Ses conséquences économiques pèsent lourdement sur la collectivité.
Que reste-t-il alors pour envisager une amélioration concrète de la qualité et de la sécurité des soins ? Comme le souligne le rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur l’aide publique au développement publié en juin dernier, quelle est alors la valeur ajoutée réelle de ces actions de coopération compte tenu des différences culturelles et structurelles entre « aidants et aidés » ?
C’est tout l’enjeu des actions de coopération.
« Il n’y a richesse, ni force que d’hommes. » Cette citation de Jean Bodin (Les six livres de la République, 1576) reflète un enjeu majeur dans ces pays. Si le manque de moyens et la difficulté de maintenir dans un état satisfaisant les infrastructures demeurent une difficulté quasi-structurelle, les professionnels de ces pays – globalement formés – sont très désireux de parfaire leurs compétences dans divers domaines.
Il est donc essentiel de s’appuyer sur les forces vives des pays concernés en mettant en œuvre des formations qui intéressent à la fois les décideurs et les professionnels de terrain.
Cependant, il faut s’interroger sur la façon dont ces formations doivent être pensées.
La transmission en question
Qu’est-ce que transmettre ? Que souhaitons-nous transmettre ? La réussite d’une action de coopération repose sur le degré d’appropriation par les professionnels. Il faut veiller à ne pas plaquer de l’extérieur des méthodes ou postulats, mais s’inspirer des expériences et réussites locales. C’est à partir de bonnes pratiques qu’il faut réfléchir aux démarches pédagogiques les plus à même de favoriser l’appropriation des professionnels formés.
L’exemple de « l’école des maris » est de ce point de vue très éclairant. Il s’agit d’un projet que j’ai découvert en novembre 2017 à l’Hôpital de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire et qui existe aussi au Niger. Il consiste à éduquer les époux sur l’importance d’accompagner leur épouse pour qu’elles fréquentent les centres de santé afin d’améliorer leur suivi médical lors de leurs grossesses. Cela contribue ainsi à agir de manière de préventive sur la mortalité maternelle, qui reste un fléau qui frappe quasiment unilatéralement les pays en voie de développement. La quasi-totalité des décès maternels (99 %) se produisent dans des pays en développement, dont plus de la moitié en Afrique subsaharienne. Ce projet avait permis de réduire de 50 % les décès en 6 mois en 2017 dans cet établissement.
Comme l’illustre cet exemple réussi, il faut imaginer des actions de coopérations qui s’efforce de créer une histoire commune prenant soin non pas de gommer les différences mais d’essayer d’en faire un tout cohérent pour paraphraser l’écrivain et philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne « Faire humanité ensemble et ensemble habiter la terre ».
Ainsi, la pédagogie active doit impliquer les stagiaires dans une démarche interactive forte en alternant des travaux de groupes et des séquences d’enseignement à visée pratique.
« Cap Qualité hôpitaux de Côte d’Ivoire 2020 »
La formation « Cap Qualité hôpitaux de Côte d’ivoire 2020 » s’est déroulée en avril et en juin 2018. Elle a concerné 120 professionnels des hôpitaux de Côte d’Ivoire : directeurs d’établissement, médecins, sages-femmes, infirmiers, aides-soignants, directeurs qualité, référents qualité, référents hygiène, directeurs administratifs, etc. Elle a été organisée en lien avec Expertise France et le Ministère de la Santé et de l’hygiène publique de Côte d’Ivoire.
La formation s’est déroulée autour de 4 « modules » :
La compréhension de l’importance des processus dans l’organisation et la performance d’un établissement,
Le rôle essentiel du management et du travail collectif pour améliorer la prise en charge des patients,
L’appropriation d’une méthode de travail et d’outils permettant de conduire une démarche collective autour de la conduite du changement,
Enfin, l’élaboration d’une feuille de route et le partage de bonnes pratiques avec des actions concrètes concourant à l’amélioration de la qualité.
De l’alloco à la basilique de Yamoussoukro, inspirations locales
Les stagiaires ont dans un premier temps travaillé à partir de trois exemples concrets connus des participants, qui font la fierté de la nation ivoirienne.
Premier cas : la basilique Notre-Dame-de-la-Paix de Yamoussoukro, capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire. Sa construction a duré 4 ans et a été achevée en 1990
Elle est présentée comme l’édifice religieux chrétien le plus large au monde (150 m de largeur contre 115 m pour la basilique Saint-Pierre
Second exemple ; la préparation d’un plat populaire en Côte d’Ivoire (et dans l’Afrique de l’ouest) : l’alloco. L’alloco est un plat de bananes plantains frites, cuite dans l’huile de palme et servi avec une sauce piment.
Enfin une dernière success story : le parcours du footballeur Didier Drogba. Il fait l’objet d’un véritable culte en Côte d’Ivoire. Considéré comme l’un des meilleurs joueurs de foot africain, il est un exemple pour beaucoup d’ivoiriens et a décidé d’utiliser son nom et son argent pour promouvoir l’éducation en Côte d’Ivoire.
Les stagiaires ont été invités à interagir et intervenir par petits groupes de travail. L’objectif était de les amener à réfléchir aux conditions de réussite de ces projets, idées ou d’un destin singulier. Ils devaient décrire les étapes menant à la réalisation d’un projet ou une action comme préparé un plat d’alloco : une idée initiale (préparer un plat), des produits de qualité (comment assurer la culture de ces produits, en assurer l’acheminement), des compétences (comment assurer la préparation et la cuisson), et enfin l’évaluation.
L’objectif était de décrire un processus complet et une gestion de projet afin de maîtriser des concepts autour de mots clés : prévoir, acquérir et gérer des ressources (financières, humaines, matérielles), disposer des compétences adaptées, assurer une cohérence, évaluer, ajuster. Ces concepts permettant de décrire un processus ou une action
Mieux appréhender le fonctionnement hospitalier
Les stagiaires ont ensuite été invités à décrire un processus hospitalier (la gestion des déchets, les bonnes pratiques en hygiène) en s’appuyant sur les mêmes déterminants que ceux mis en valeur dans la première partie de l’exercice. L’objectif était de montrer que la réussite d’un projet ou d’une action repose sur les mêmes déterminants à l’hôpital comme dans la vie en général.
Lors des échanges avec les stagiaires, les professionnels ont fait part de leur expérience et de leurs difficultés à l’hôpital. Soigner en Côte d’Ivoire est un défi permanent : absentéisme, compétence inadapté (affectation d’une infirmière alors qu’un technicien de laboratoire est attendu), coupure d’eau et d’électricité, matériel hors d’usage.
Pour réfléchir à la manière de gérer des situations de dysfonctionnements, les stagiaires ont été amenés à réfléchir à trois types de situations dans le cadre d’une approche ludique autour de jeux interactifs tels que « la fable du coursier ».
La fable du coursier : La fable du coursier permet d’analyser les causes d’un dysfonctionnement. Avec la méthode des 5 « POURQUOI », on cherche à identifier les raisons d’un dysfonctionnement et la cause racine. Cette cause est souvent moins visible qu’il n’y paraît. Ainsi, dans la fable de coursier, l’imputabilité du retard semble à première vue de la responsabilité du coursier. C’est simple et… commode. L’analyse des faits permet de constater que le retard est consécutif à un défaut d’arbitrage dans la définition des priorités qui relève du chef et non pas du coursier.
Et maintenant ?
À la fin de la formation, chaque établissement a proposé une action qui a constitué une réussite et dont les conditions de mise en œuvre semblaient facilement reproductibles.
Les projets paraissant les plus emblématiques ont été retenus. L’hôpital de Sassandra (situé dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, en bordure de l’océan atlantique, plus précisément dans la région sanitaire du Gbôklè-Nawa-San Pedro, l’Hôpital Général de Sassandra (HGS) dispose d’une superficie de 18 136 mètres carrés dont 5 269,2 mètres) a ainsi mis en place une démarche relative à promouvoir les bonnes pratiques en hygiène.
Jusqu’en 2009, les activités d’hygiène et de sécurité étaient méconnues dans la plupart des services de santé de Côte d’Ivoire (CI) dont l’Hôpital Général de Sassandra (HGS).
Les différentes stratégies utilisées étaient :
L’évaluation des pratiques de gestion des déchets médicaux produits dans les différents services ;
Le renforcement du matériel d’hygiène,
La mise à disposition des services de soins de supports de gestion des déchets,
Les coachings périodiques du personnel de santé (nouveaux comme anciens).
Cette démarche s’est traduite par une nette réduction du nombre de cas d’infections de site opératoire chez les césarisées passé de 6 % à 1 % et de celui des AES de 10 % à 2 % de 2013 à fin 2015.
Le Centre Hospitalier Régional (CHR) de Touba – situé dans la Région sanitaire du Kabadougou Bafing Folon au Nord – Ouest de la Cote d’Ivoire- a également travaillé sur les bonnes pratiques en hygiènes en promouvant l’information via la diffusion de protocoles et la formation des agents. Ainsi, le nombre de personnes formées est passé de 45 % à 78 % entre 2015 et 2016.
Tous ces projets ont permis l’élaboration d’une feuille de route « qualité » qui concoure de manière opérationnelle, à améliorer la qualité de prise en charge des patients touchant aussi bien les soins que les services (accueil, hygiène, bonnes pratiques). La diffusion de ces bonnes pratiques est réalisée sous l’égide de la Direction de la Médecine Hospitalière et de Proximité en octobre 2017 auprès de tous les hôpitaux de Côte d’Ivoire.
Ce texte s’inscrit dans une série d’articles autour de la thématique « Santé publique », sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.
Hubert Jaspard, Directeur adjoint – Direction des Etudes, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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