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Centre du Mali: pourquoi Peuls et Dogons s’affrontent-ils?

Au moins 11 civils peuls ont été enlevés et tués le 7 août 2018 dans la région de Mopti (centre du Mali) au cours d'une attaque attribuée à des chasseurs de l'ethnie dogon, rapporte l’AFP. Depuis quelques mois, des heurts opposent les deux communautés qui cohabitent depuis des siècles. Chargée de combattre les groupes djihadistes, l’armée est accusée d’exactions contre les Peuls.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
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Berger peul sur les bords du fleuve Niger (AFP - CLAUDE THOUVENIN / BIOSPHOTO)

Selon la principale association peule au Mali, Tabital Pulaak, les victimes ont été enlevées par des miliciens dogons à moto alors qu'elles se rendaient à une foire. Elles ont ensuite été exécutées «par la milice des chasseurs», a précisé la même source. Un élu local, qui attribue ces meurtres aux «chasseurs basés dans le village Tréta», fait état d’un bilan plus lourd : «14 civils peuls, tous mariés et chefs de famille, (ont été) enlevés et froidement assassinés».

Outre les 11 personnes enlevées, «quatre autres civils peuls ont été arrêtés ensuite», a poursuivi cette source. «Tous ont été conduits dans le village de Kunti» où ils «ont été assassinés», a précisé l’élu. «Mais un civil a pu s'échapper en faisant le mort» et a «donné tous les détails», a ajouté l'élu.  

La loi des djihadistes
Dans le centre du Mali, les violences intercommunautaires se multiplient depuis trois ans entre Peuls, traditionnellement éleveurs (parfois nomades), et les ethnies bambara et dogon, pratiquant majoritairement l'agriculture. Appelés dozos en Afrique de l’Ouest, les chasseurs traditionnels sont membres de la communauté dogon. Les deux communautés évoluent dans les mêmes zones depuis des lustres.
             
Le 25 juillet, une précédente attaque avait entraîné la mort de 17 civils peuls. Là encore, elle avait été attribuée à des chasseurs dogons.
           
Depuis le début de l'année, la Mission de l'ONU au Mali (Minusma) a recensé une centaine d'«incidents de violence intercommunautaire qui ont fait au moins 289 morts parmi les civils», selon un bilan de l'ONU publié le 17 juillet. Près de 77% de ces incidents «se sont produits dans la région de Mopti», a précisé l’organisme onusien.
           
Enfants dogons irriguant d'oignons un champ ( REUTERS/ Florin Iorganda)

Dans les faits, la situation au centre du pays ne se résume pas à ces affrontements intercommunautaires. L’Etat malien a déserté la région face aux groupes djihadistes qui font régner leur loi «et terrorisent les populations». Les festivités comme les mariages sont interdites dans de nombreuses localités. «Depuis plusieurs années, les salles de classe sont fermées dans la plupart des villages. Les enseignants, les juges et les fonctionnaires ont fui», a constaté l’envoyé spécial de Libération. Résultat : les communautés locales sont prises entre deux feux : entre l’armée malienne et les groupes djihadistes qui obéissent à un prêcheur local, Amadou Koufa, allié à Iyad Ag Ghali et à al-Qaïda.

Les Peuls harcelés
L’armée a été mise en cause dans 58 cas de violations des droits de l’Homme. Notamment lors du massacre de 25 Peuls dans les localités de Nantaka et Kobaka près de Mopti. Selon des témoins, les militaires auraient commencé par arrêter tous les hommes. Ils «auraient ensuite libéré les Songhaïs, les Tamasheqs noirs et les Bozo, gardant prisonniers 25 Peuls». L’armée a démenti.

Les Peuls dénoncent régulièrement des exactions à leur encontre, au nom de la lutte contre les djihadistes, de la part de groupes de chasseurs armés, tolérés voire encouragés selon eux par les autorités ou l'armée.

Le 30 juin, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté à Bamako, capitale du Mali, pour dénoncer les exactions commises contre des civils dans la région de Mopti. Et plus particulièrement contre les Peuls. Une région où «c’est la loi du plus fort qui règne aujourd’hui, il n’y a plus de justice». «Quand tu parles peul ou que tu ressembles aux Peuls, tu es une cible tout de suite», avait alors expliqué à RFI un responsable associatif. Lequel avait «même peur de retourner» dans la région, «parce que quand tu es là-bas, les djihadistes te prennent pour cible, vont dire "toi tu étais à Bamako, tu es avec les autorités" et les militaires se lèvent pour aller nous tuer, soi-disant que tous les Peuls sont des djihadistes».

Les effets du réchauffement climatique
Selon un observateur européen, cité par Libération, «trois facteurs souterrains ont contribué à l’explosion de la région. "Le réchauffement climatique", qui a perturbé les circuits de transhumance (…), "la démographie", qui a accentué la pression sur la terre (…) et "la prolifération des armes légères"». Selon cette source, «l’étincelle a été l’arrivée des djihadistes, qui ont miné le système de justice traditionnelle permettant jusque-là de désamorcer les conflits intercommunautaires»

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