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Afrique de l'Ouest: quand le football est associé à la sorcellerie

«En Afrique de l’Ouest, les accusations de recours à des pratiques de sorcellerie pour interférer dans le jeu sont prises très au sérieux, plus même que les pratiques de dopage liées aux drogues ou autres substances chimiques.» Uroš Kovač, doctorant en anthropologie à l'Université d'Amsterdam, revient dans The Conversation sur les rapports entre ce qui est connu sous le terme de «juju» et le foot.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les jeunes joueurs de football africains utilisent des techniques diverses pour passer à travers les mailles du filet européen.  (Uroš Kovač, Author provided)

 

«Le football est 100% propre» aurait déclaré Cristiano Ronaldo, des propos rapportés dans une récente enquête de France Info sur les rares cas de dopage dans le monde du foot.

Mais qu’entend-on vraiment par le terme dopage ? L’Agence mondiale antidopage (AMA) – faisant autorité sur le sujet – définit le dopage comme le recours à des méthodes ou prise de substances interdites visant à améliorer les performances athlétiques.

Or, ces substances doivent-elles être uniquement définies par leur composition chimique ? En tout cas pas au sein des équipes ouest-africaines qui considèrent le recours à des pratiques spirituelles tout à fait sérieusement.

Le football en Afrique de l’Ouest est souvent associé à la sorcellerie. Au Nigéria comme au Cameroun, ces pratiques sont connues sous le terme de juju.

Les athlètes en font usage afin d’améliorer leurs performances sur le même mode que celui décrit par l’AMA, allant même plus loin car certains les utilisent même afin de saboter le jeu de leurs opposants. Mais, contrairement au dopage « traditionnel » fondé sur les substances chimiques, le cœur de ces pratiques repose sur les pouvoirs spirituels attribués aux juju.

Dopage spirituel
Selon les joueurs camerounais auprès de qui j’ai réalisé mon travail de terrain en 2015, le monde spirituel se superpose au monde matériel, et les actions entreprises dans le premier ont de lourdes conséquences dans le second. Beaucoup ont d’ailleurs aussi recours à des séances de prières collectives avant d’entrer sur le terrain.

En Afrique de l’Ouest, les accusations de recours à des pratiques de sorcellerie pour interférer dans le jeu sont prises très au sérieux, plus même que les pratiques de dopage liées aux drogues ou autres substances chimiques.

Le concept du sort est difficile à expliciter notamment en raison du secret qui l’entoure et de la volatilité des pratiques. Les informations recueillies sont issues de rumeurs, d’accusation. Sont ainsi évoquées différentes pratiques comme la conservation de certaines herbes, d’écorces, ou de cordelettes portées par les joueurs et acquises auprès de guérisseurs qui les auraient auparavant imprégnées de pouvoirs surnaturels.

Sur la chaussure de ce joueur, on lit une mention « Sainte Trinité », les joueurs se recueillant aussi avant le jeu.  (Uroš Kovač)

Les joueurs savent que les arbitres camerounais les sanctionneraient s’ils trouvaient de tels objets sur eux. Ils les cachent donc dans leurs protège-tibias, leurs chaussures ou dans les élastiques de leurs shorts. D’autres utilisent les herbes sous forme de concoctions qu’ils boivent ou dont ils s’aspergent ou lavent le visage, les mains et les pieds.

Si les autorités de la FIFA ont exprimé leur vigilance quant à ces formes supposées de dopage, ils ont surtout concentré leur attention sur la portée chimique des contenus et non sur leurs propriétés spirituelles.

Certains pourraient argumenter que les sorts ne sont que des illusions psychologiques, des placebos, des superstitions. Mais le fait que les joueurs s’observent entre eux pendant le jeu, à l’affût d’éventuelles traces de sorcellerie, démontre l’importance de leur usage et leur impact sur le moral des équipes.

Un joueur m’a ainsi raconté comment, un jour de match, ses adversaires l’ont obligé à se déshabiller pendant la rencontre, au milieu du terrain, ne lui laissant que son caleçon. Ils insistaient sur la présence d’une amulette. Certains joueurs ont aussi expliqué avoir été pointés du doigt en raison de l’odeur qu’ils dégageaient après s’être enduits de potions.

La plupart des footballeurs camerounais sont sévères quant à ces pratiques, tout comme le dopage, et insistent pour qu’elles cessent. D’autres ont recours à des astuces beaucoup plus pragmatiques.

Rééquilibrer les forces
La triche sur l’âge des joueurs est un secret de polichinelle : la plupart des athlètes produisant des documents attestant qu’ils ont moins de 19 ans avant de rejoindre leur futur club ont bien souvent dépassé l’âge requis.

Au Cameroun, obtenir de tels documents en vue de rejoindre un club européen est une pratique courante : si les clubs et les autorités locales cherchent à limiter la triche, la plupart des joueurs ne considèrent pas cette pratique comme méprisable.

Les joueurs en Afrique de l’Ouest exècrent les conditions dans lesquelles ils doivent s’entraîner.  (Uroš Kovač.)

Les athlètes qui mentent sur leur âge réel considèrent qu’il s’agit d’un juste retour des choses par rapport à leurs camarades européens qui eux, ont bénéficié dès leur enfance de bien meilleures infrastructures, d’équipements et conditions d’entraînement, et ont donc plus de chances de rentabiliser leur investissement sur le long terme.

Certes, les autorités internationales ne cessent d’alerter les athlètes quant aux différentes formes de « triche ». Mais, pour les jeunes footballeurs africains, cette question doit s’insérer dans celle plus large, des rapports de force – économiques, politiques, sociaux et historiques- entre les clubs et les pays. En modifiant leur âge, ces joueurs défient ces hautes autorités et institutions sportives qui se proclament gardiennes d’une certaine moralité et intégrité.

En « trichant » ils remettent en cause les règles d’un jeu qu’il considèrent comme déséquilibré d’avance et inégalitaire.

Déconstruire une notion hégémonique
L’AMA et les autorités régulant les questions de dopage se fondent sur la séparation des corps et de l’esprit, du biologique et du psychologique, du spirituel et du physique. Mais ce faisant, ces autorités ne prennent pas en compte les modes de pensées non-occidentaux où mondes matériels et spirituels sont imbriqués.

La spiritualité n’est pas propre au sport en Afrique.

Ainsi le propriétaire thaïlandais de l’équipe de Leicester avait même fait déplacer des moines bouddhistes depuis la Thaïlande afin de bénir les joueurs de son club durant une saison considérée comme miraculeuse en 2015-2016.

Les sorts devraient-ils alors être régulés et interdits par l’AMA ou d’autres autorités sportives ? Les joueurs doivent-ils être sanctionnés pour avoir menti sur leur âge ? Certainement pas.

Le cas camerounais donne ici une autre lecture de ce que l’on considère comme de la triche ou du dopage. Il nous permet de penser différemment ces notions et d’interroger les définitions données par des instances telles que l’AMA ou le Comité olympique, et de cesser de les interpréter comme des vérités universelles.

En effet, il nous faut les considérer pour ce qu’elles sont : des notions hégémoniques construites dans un certain cadre historique, développées à partir de points de vue philosophiques spécifiques et appliquées dans un contexte où le rapport de force était inégal.


The ConversationL’article a été rédigé en 2017 dans le cadre du projet Globalsport un projet de recherche financé par l’European Research Council.

Uroš Kovač, Doctoral student in Anthropology, University of Amsterdam
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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